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La veuve resta froide à cette plaisanterie.

– À propos de remonter notre ménage gratis, reprit Calebasse, nous pourrons peut-être nous fournir à une autre boutique. Vous savez bien qu’un vieux homme est venu habiter, depuis quelques jours, la maison de campagne de M. Griffon, le médecin de l’hospice de Paris; cette maison isolée à cent pas du bord de l’eau, en face du four à plâtre?

La veuve baissa la tête.

– Nicolas disait hier que maintenant il y aurait peut-être là un bon coup à faire, reprit Calebasse. Et moi je sais depuis ce matin qu’il y a là du butin pour sûr; il faudra envoyer Amandine flâner autour de la maison, on n’y fera pas attention; elle aura l’air de jouer, regardera bien partout et viendra nous rapporter ce qu’elle aura vu. Entends-tu ce que je te dis? ajouta durement Calebasse en s’adressant à Amandine.

– Oui, ma sœur, j’irai, répondit l’enfant en tremblant.

– Tu dis toujours: «Je ferai» et tu ne fais pas, sournoise! La fois où je t’avais commandé de prendre cent sous dans le comptoir de l’épicier d’Asnières pendant que je l’occupais d’un autre côté de sa boutique, c’était facile: on ne se défie pas d’un enfant. Pourquoi ne m’as-tu pas obéi?

– Ma sœur… le cœur m’a manqué… je n’ai pas osé…

– L’autre jour tu as bien osé voler un mouchoir dans la balle du colporteur, pendant qu’il vendait dans le cabaret. S’est-il aperçu de quelque chose, imbécile?

– Ma sœur, vous m’y avez forcée… le mouchoir était pour vous; et puis ce n’était pas de l’argent…

– Qu’est-ce que ça fait?

– Dame!… prendre un mouchoir, ça n’est pas si mal que de prendre de l’argent.

– Ma parole d’honneur! c’est Martial qui t’apprend ces vertucheries-là, n’est-ce pas? reprit Calebasse avec ironie; tu vas tout lui rapporter, petite moucharde; crois-tu que nous ayons peur qu’il nous mange, ton Martial?… Puis, s’adressant à la veuve, Calebasse ajouta: Vois-tu, ma mère, ça finira mal pour lui… Il veut faire la loi ici. Nicolas est furieux contre lui, moi aussi. Il excite Amandine et François contre nous, contre toi… Est-ce que ça peut durer?…

– Non…, dit la mère d’un ton bref et dur.

– C’est surtout depuis que sa Louve est à Saint-Lazare qu’il est comme un déchaîné après tout le monde… Est-ce que c’est notre faute, à nous, si elle est en prison… sa maîtresse? Une fois sortie, elle n’a qu’à venir ici… et je la servirai… bonne mesure… quoiqu’elle fasse la méchante…

La veuve, après un moment de réflexion, dit à sa fille:

– Tu crois qu’il y a un coup à faire sur ce vieux qui habite la maison du médecin?

– Oui, ma mère…

– Il a l’air d’un mendiant!

– Ça n’empêche pas que c’est un noble.

– Un noble?

– Oui, et qu’il ait de l’or dans sa bourse, quoiqu’il aille à Paris à pied tous les jours, et qu’il revienne de même, avec son gros bâton pour toute voiture.

– Qu’en sais-tu s’il a de l’or?

– Tantôt j’ai été au bureau de poste d’Asnières pour voir s’il n’y avait pas de lettre de Toulon…

À ces mots qui lui rappelaient le séjour de son fils au bagne, la veuve du supplicié fronça ses sourcils et étouffa un soupir.

Calebasse continua:

– J’attendais mon tour, quand le vieux qui loge chez le médecin est entré; je l’ai tout de suite reconnu à sa barbe blanche comme ses cheveux, à sa face couleur de buis, et à ses sourcils noirs. Il n’a pas l’air facile… Malgré son âge, ça doit être un vieux déterminé… Il a dit à la buraliste: «Avez-vous des lettres d’Angers pour M. le comte de Saint-Remy? – Oui, a-t-elle répondu, en voilà une. – C’est pour moi, a-t-il dit; voilà mon passeport.» Pendant que la buraliste l’examinait, le vieux, pour payer le port, a tiré sa bourse de soie verte. À un bout j’ai vu de l’or reluire à travers les mailles; il y en avait gros comme un œuf… au moins quarante ou cinquante louis! s’écria Calebasse, les yeux brillants de convoitise… et pourtant il est mis comme un gueux. C’est un de ces vieux avares farcis de trésors… Allez, ma mère! nous savons son nom, ça pourra peut-être servir… pour s’introduire chez lui quand Amandine nous aura dit s’il a des domestiques.

Des aboiements violents interrompirent Calebasse.

– Ah! les chiens crient, dit-elle; ils entendent un bateau. C’est Martial ou Nicolas…

Au nom de Martial, les traits d’Amandine exprimèrent une joie contrainte.

Après quelques minutes d’attente, pendant lesquelles elle fixait un œil impatient et inquiet sur la porte, l’enfant vit, à son grand regret, entrer Nicolas, le futur complice de Barbillon.

La physionomie de Nicolas Martial était à la fois ignoble et féroce; petit, grêle, chétif, on ne concevait pas qu’il pût exercer son dangereux et criminel métier. Malheureusement une sauvage énergie morale suppléait chez ce misérable à la force physique qui lui manquait.

Par-dessus son bourgeron bleu, Nicolas portait une sorte de casaque sans manches, faite d’une peau de bouc à longs poils bruns; en entrant il jeta par terre un saumon de cuivre qu’il avait péniblement apporté sur son épaule.

– Bonne nuit et bon butin, la mère! s’écria-t-il d’une voix creuse et enrouée, après s’être débarrassé de son fardeau; il y a encore trois saumons pareils dans mon bachot, un paquet de hardes et une caisse remplie de je ne sais quoi; car je ne me suis pas amusé à l’ouvrir. Peut-être que je suis volé… on verra!

– Et l’homme du quai de Billy? demanda Calebasse pendant que la veuve regardait silencieusement son fils.

Celui-ci, pour toute réponse, plongea sa main dans la poche de son pantalon et, la secouant, y fit bruire un grand nombre de pièces d’argent.

– Tu lui as pris tout ça?… s’écria Calebasse.

– Non, il a aboulé de lui-même deux cents francs; et il en aboulera encore huit cents quand j’aurai… mais suffit!… D’abord déchargeons mon bachot, nous jaserons après… Martial n’est pas ici?

– Non, dit la sœur.

– Tant mieux! Nous serrerons le butin sans lui… Autant qu’il ne sache pas…

– Tu as peur de lui, poltron? dit aigrement Calebasse.

– Peur de lui?… moi!… (Il haussa les épaules.) J’ai peur qu’il ne nous vende… voilà tout. Quant à le craindre… Coupe-sifflet a la langue trop bien affilée!…

– Oh! quand il n’est pas là… tu fanfaronnes… mais qu’il arrive, ça te clôt le bec.

Nicolas parut insensible à ce reproche et dit:

– Allons, vite! vite!… Au bateau… Où est donc François, la mère? Il nous aiderait.

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