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Lorsqu’il s’agit d’infortunes méritantes, ceux qui donnent souvent donneraient peut-être toujours… et ceux qui refusent toujours donneraient peut-être souvent, s’ils savaient ou s’ils voyaient ce que l’espoir d’un appui bienveillant ou ce que la crainte d’un refus dédaigneux… ce que leur volonté enfin… peut soulever d’ineffable ou d’affreux dans le cœur de ceux qui les implorent.

– Quelle faiblesse! dit Mme de Fermont avec un triste sourire en s’asseyant sur le lit de sa fille. Encore une fois, ma pauvre Claire, notre sort est là… (Elle montrait la lettre.) Je brûle de le connaître et je n’ose… Si c’est un refus, hélas! il sera toujours assez tôt…

– Et si c’est une promesse de secours, dis, maman… Si cette pauvre petite lettre contient de bonnes et consolantes paroles qui nous rassureront sur l’avenir en nous promettant un modeste emploi dans la maison de M. d’Orbigny, chaque minute de perdue n’est-elle pas un moment de bonheur perdu?

– Oui, mon enfant; mais si au contraire…

– Non, maman, vous vous trompez, j’en suis sûre. Quand je vous disais que M. d’Orbigny n’avait autant tardé à vous répondre que pour pouvoir vous donner quelque certitude favorable… Permettez-moi de voir la lettre, maman; je suis sûre de deviner, seulement à l’écriture, si la nouvelle est bonne ou mauvaise… Tenez, j’en suis sûre maintenant, dit Claire en prenant la lettre; rien qu’à voir cette bonne écriture simple, droite et ferme, on devine une main loyale et généreuse, habituée à s’offrir à ceux qui souffrent…

– Je t’en supplie, Claire, pas de folles espérances, sinon j’oserais encore moins ouvrir cette lettre.

– Mon Dieu, bonne petite maman, sans l’ouvrir, moi, je puis te dire à peu près ce qu’elle contient; écoute-moi: «Madame, votre sort et celui de votre fille sont si dignes d’intérêt que je vous prie de vouloir bien vous rendre auprès de moi dans le cas où vous voudriez vous charger de la surveillance de ma maison…»

– De grâce, mon enfant, je t’en supplie encore… pas d’espoir insensé… Le réveil serait affreux… Voyons, du courage, dit Mme de Fermont en prenant la lettre des mains de sa fille et s’apprêtant à briser le cachet.

– Du courage? Pour vous, à la bonne heure! dit Claire, souriant et entraînée par un de ces accès de confiance si naturels à son âge; moi, je n’en ai pas besoin; je suis sûre de ce que j’avance. Tenez, voulez-vous que j’ouvre la lettre? Que je la lise? Donnez, peureuse…

– Oui, j’aime mieux cela, tiens… Mais non, non, il vaut mieux que ce soit moi!

Et Mme de Fermont rompit le cachet avec un terrible serrement de cœur.

Sa fille, aussi profondément émue, malgré son apparente confiance, respirait à peine.

– Lis tout haut, maman, dit-elle.

– La lettre n’est pas longue; elle est de la comtesse d’Orbigny, dit Mme de Fermont en regardant la signature.

– Tant mieux, c’est bon signe… Vois-tu, maman, cette excellente jeune dame aura voulu te répondre elle-même.

– Nous allons voir.

Et Mme de Fermont lut ce qui suit d’une voix tremblante:

«Madame,

«M. le comte d’Orbigny, fort souffrant depuis quelque temps, n’a pu vous répondre pendant mon absence…»

– Vois-tu, maman, il n’y a pas de sa faute.

– Écoute, écoute!

«Arrivée ce matin de Paris, je m’empresse de vous écrire, madame, après avoir conféré de votre lettre avec M. d’Orbigny. Il se rappelle fort confusément les relations que vous dites avoir existé entre lui et monsieur votre frère. Quant au nom de monsieur votre mari, madame, il n’est pas inconnu à M. d’Orbigny, mais il ne peut se rappeler en quelle circonstance il l’a entendu prononcer. La prétendue spoliation dont vous accusez si légèrement M. Jacques Ferrand, que nous avons le bonheur d’avoir pour notaire, est, aux yeux de M. d’Orbigny, une cruelle calomnie dont vous n’avez sans doute pas calculé la portée. Ainsi que moi, madame, mon mari connaît et admire l’éclatante probité de l’homme respectable et pieux que vous attaquez si aveuglément. C’est vous dire, madame, que M. d’Orbigny, prenant sans doute part à la fâcheuse position dans laquelle vous vous trouvez, et dont il ne lui appartient pas de rechercher la véritable cause, se voit dans l’impossibilité de vous secourir.

«Veuillez recevoir, madame, avec l’expression de tous les regrets de M. d’Orbigny, l’assurance de mes sentiments les plus distingués.

«Comtesse d’ORBIGNY»

La mère et la fille se regardèrent avec une stupeur douloureuse, incapables de prononcer une parole.

Le père Micou frappa à la porte et dit:

– Madame, est-ce que je peux entrer, pour le port et pour la commission? C’est vingt sous.

– Ah! c’est juste; une si bonne nouvelle vaut bien ce que nous dépenserons en deux jours pour notre existence, dit Mme de Fermont avec un sourire amer; et, laissant la lettre sur le lit de sa fille, elle alla vers une vieille malle sans serrure, se baissa et l’ouvrit.

– Nous sommes volées! s’écria la malheureuse femme avec épouvante; rien, plus rien, ajouta-t-elle d’une voix morne.

Et, anéantie, elle s’appuya sur la malle.

– Que dis-tu, maman?… Le sac d’argent…

Mais Mme de Fermont, se relevant vivement, sortit de la chambre et, s’adressant au revendeur, qui se trouvait ainsi avec elle sur le palier:

– Monsieur, lui dit-elle, l’œil étincelant, les joues colorées par l’indignation et par l’épouvante, j’avais un sac d’argent dans cette malle… On me l’a volé avant-hier sans doute, car je suis sortie pendant une heure avec ma fille… Il faut que cet argent se retrouve, entendez-vous? Vous en êtes responsable.

– On vous a volée! Ça n’est pas vrai; ma maison est honnête, dit insolemment et brutalement le receleur; vous dites cela pour ne pas me payer mon port de lettre et ma commission.

– Je vous dis, monsieur, que cet argent étant tout ce que je possédais au monde, on me l’a volé; il faut qu’il se retrouve, ou je porte ma plainte. Oh! je ne ménagerai rien, je ne respecterai rien… voyez-vous, je vous en avertis.

– Ça serait joli, vous qui n’avez seulement pas de papiers… allez-y donc, porter votre plainte! Allez-y donc tout de suite… je vous en défie, moi!

La malheureuse femme était atterrée.

Elle ne pouvait sortir et laisser sa fille seule, alitée, depuis la frayeur que le gros boiteux lui avait faite le matin, et surtout après les menaces que lui adressait le revendeur.

Celui-ci reprit:

– C’est une frime; vous n’avez pas plus de sac d’argent que de sac d’or; vous voulez ne pas me payer mon port de lettre, n’est-ce pas? Bon! ça m’est égal… quand vous passerez devant ma porte, je vous arracherai votre vieux châle noir des épaules… il est bien pané, mais il vaut toujours au moins vingt sous.

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