Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Hilaire se baissa, ramassa le fruit, l’éplucha et le mangea, ce qui signifiait qu’il avait compris.

Jamais Chéri-Bibi n’avait été si bien servi par les circonstances. On eût dit que, dans ce besoin extrême, elles se liguaient toutes pour le sauver de l’abîme où avait tenté de le précipiter ce brigand d’Askof.

Étant sûr d’avoir été compris, Chéri-Bibi qui, pour pouvoir être entendu de M. Hilaire, était quasi sorti de la cage de l’escalier, restant suspendu presque tout entier à un barreau, reprit son équilibre sur le palier et rentra tout doucement, continuant de se glisser comme une couleuvre dans le cabinet du président des assises. Or, quand il y fut, il entendit une voix qui disait au fond de l’obscurité: Vous apporterez de la lumière!

Chéri-Bibi poussa un sourd blasphème et referma la porte derrière lui.

Il venait de reconnaître la voix de Dimier, le président des assises.

S’il avait trouvé ouverte la porte du cabinet du président des assises, c’est que celui-ci, en visite à la Conciergerie, venait de la faire ouvrir. Et, pendant que Chéri-Bibi parlait à M. Hilaire, M. Dimier était entré dans la Tour de l’Est.

Et Chéri-Bibi, tout-à-coup, pensa que l’événement pourrait peut-être le servir.

Il ne pouvait douter que ce fût pour voir Garot et Manol, à la veille de leur procès, que M. Dimier avait fait ouvrir son cabinet. Donc, on ne s’étonnerait point dans la salle des gardes de voir Hilaire conduire celui que chacun prendrait pour l’un des bandits dans la Tour de l’Est et non dans la Tour de l’Ouest, puisque M. le président des assises l’y attendait.

Mais, quand le Subdamoun se trouverait en face de M. Dimier, qu’allait-il se passer?

Il fallait, coûte que coûte, que M. Dimier se prêtât à la combinaison.

Nous savons en quelle estime Chéri-Bibi avait M. Dimier. Il l’appréciait, en particulier, autant qu’il méprisait, en général, pour des raisons à lui connues, la magistrature.

Sans le connaître M. Dimier avait, dans un ouvrage sur les erreurs judiciaires, osé parler de l’innocence première de Chéri-Bibi. Enfin, non seulement M. Dimier était un magistrat intègre, mais un honnête homme qui ne pouvait qu’être écœuré par-dessus tout de la façon dont étaient conduites les affaires publiques.

Si bien que Chéri-Bibi osa penser que dès que M. Dimier serait mis, par lui, au courant de la situation, il saurait s’arranger pour ne point entraver l’évasion d’un homme qui était nécessaire au rétablissement de l’ordre.

Donc, Chéri-Bibi s’avança vers M. Dimier et lui dit d’une voix qu’il voulait rendre sinon attrayante, du moins sympathique:

– Monsieur le président, ne vous effrayez pas! et surtout n’appelez pas! Je vais vous dire de quoi il retourne!

M. Dimier, stupéfait et inquiet, fit un mouvement de recul; mais, retrouvant aussitôt son habituel courage, il se dressa devant l’ombre mystérieuse qui venait de fermer la porte et dit:

– Qui êtes-vous?

– Je suis l’innocent et je travaille pour l’innocent! répondit très énigmatiquement la voix de l’ombre…

Cette réponse n’eut point le don de satisfaire M. Dimier qui fit un pas vers la porte.

– Inutile! fit l’autre… Vous ne passerez pas avant de m’avoir entendu!

– Que voulez-vous?

– Votre silence! Vous ne me connaissez pas. Je vous connais, moi. Vous êtes M. Dimier, président des assises et vous êtes venu ici pour interroger Garot et Manol. Un homme va entrer tout à l’heure, qui ne sera ni l’un ni l’autre, un homme qui viendra ici pour s’évader. Il s’en ira avec moi par la cheminée par laquelle je suis venu. Je vous demande une chose, une seule: de n’appeler, de ne crier, de ne vous apercevoir de sa fuite que lorsqu’il sera trop tard pour l’empêcher, c’est simple!

M. Dimier avait laissé parler l’homme dans l’ombre, sans l’interrompre. Quand il eut fini, il dit:

– Vous prétendez me connaître: si vous me connaissiez, vous ne me proposeriez point une chose qui est contraire à mon devoir!

– Je vous propose de sauver un homme!

– Un criminel!

– Non, monsieur le président, cet homme n’est pas un criminel, c’est le Subdamoun!

À ce nom, M. Dimier eut un mouvement qui n’échappa pas à Chéri-Bibi. Chéri-Bibi se dit: «Il est sauvé!» et il ne s’opposa nullement à ce que la porte s’ouvrît pour laisser passage à l’homme qui apportait une lampe. Il sentait, il savait que M. Dimier ne le dénoncerait pas! Il se contenta de s’aplatir dans un coin du mur, masqué par la porte et il se redressa quand la porte fut refermée.

Chéri-Bibi n’avait plus la taille du marchand de cacahuètes, mais bien celle de Chéri-Bibi, c’est-à-dire presque celle d’un géant quand M. Dimier, levant la lampe sur lui, l’examina en silence.

– Je ne suis pas beau! fit Chéri-Bibi.

– Vous êtes atroce! répliqua M. Dimier, sauvez-vous!

– Quoi?

– Je vous dis: sauvez-vous! Repartez par où vous êtes venu, je ne vous ai pas vu, je ne vous dénoncerai pas! Je ne vous connais pas… et faites en sorte que je ne vous connaisse jamais… allez!

M. Dimier avait tranquillement déposé sa lampe sur son bureau, s’était assis et s’était mis à feuilleter son dossier.

Chéri-Bibi restait là. Il ne comprenait pas.

– Je vous ai dit de vous en aller! répéta l’autre, agacé.

– M’en aller, mais vous ne m’avez donc pas compris, monsieur le président? Je suis venu pour sauver le Subdamoun!

– J’entends bien! mais je ne dois laisser sauver personne, moi. Je suis magistrat, moi! et mon devoir est de m’opposer à l’évasion des prisonniers, quels qu’ils soient… Vous saisissez… quels qu’ils soient! Vous n’êtes pas prisonnier, vous, allez-vous en!

Il y eut un silence terrible.

– Ce serait mon père, monsieur, que je m’opposerais encore à son évasion ou alors j’aurais donné ma démission de magistrat!

Chéri-Bibi avait vu le moment où il allait lui crier: «Taisez-vous, c’est mon fils»… mais il pensa, sans doute, que ce ne serait pas là une suffisante recommandation et il garda son secret pour lui.

Il s’assit car la parole du président lui avait cassé les jambes. Le dernier coup de la destinée était trop rude aussi. Si jamais il s’était attendu à cela: Alors, il allait falloir tuer M. Dimier!

Cette nécessité qui lui apparaissait maintenant comme inéluctable, il en lisait les termes en lettres flamboyantes sur le noble front têtu du sublime président de la cour d’assises.

80
{"b":"100393","o":1}