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Comme la marquise les félicitait et les remerciait de leur courage et de leur dévouement pour son fils, Jean-Jean, qui était l’orateur de l’association, assura qu’ils n’avaient d’autre but dans la vie que de se faire tuer pour le commandant, lequel leur avait appris «le chemin de l’honneur».

– As pas peur, Mame la marquise! Mame la marquise peut compter sur Polydore et Jean-Jean! à la vie, à la mort!

– Les braves types! fit Cécily quand ils se furent éloignés.

– Ça, dit Frédéric, je ne sais pas d’où ils viennent, mais je n’en connais pas de plus braves!

– Et sous leur écorce grossière, dit encore Cécily, attendrie, ils sont doux comme des agneaux! et ont des cœurs de petits communiants.

Frédéric sourit.

Le lieutenant resta seul avec Mlle de la Morlière.

Celle-ci lui demanda:

– Dites-moi la vérité. Où est Jacques? Si vous me dites où il est, vous serez récompensé!

– Vous avez quelque chose pour moi? interrogea l’officier avec empressement.

– Oui!

– Vous êtes allée au cours? Vous avez vu Marie-Thérèse? La jeune fille lui montra une lettre.

– Oh! donnez vite!

– Où est Jacques?

– Pourquoi vous le cacherais-je? fit Frédéric en prenant la lettre que la jeune fille lui abandonna, Jacques est chez Sonia Liskinne avec M. Lavobourg.

– Je m’en doutais, fit Lydie, tristement, il ne quitte plus cette femme, maintenant…?

– Vous ne parlez pas sérieusement, mademoiselle? Vous savez quels intérêts se débattent en ce moment, chez la belle Sonia…

– Chez la belle Sonia… Oui, elle est vraiment belle… Je la regardais tantôt à la Chambre… Savez-vous que je comprends qu’elle ait fait tourner bien des têtes? Vous non plus, vous ne la quittez plus! Vous étiez dans sa loge…

– Avec mes deux mathurins qui se cachaient dans le fond, prêts à tout événement… Ah! je vous jure que nous parlons d’autre chose que d’amour avec elle! C’est une femme qui vaut dix hommes! Entre nous, c’est le plus précieux auxiliaire de Jacques.

– Mon Dieu! murmura Lydie en pâlissant. Lisez votre lettre, monsieur Héloni… je ne vous regarde pas…

Et elle alla s’asseoir mélancoliquement auprès d’un guéridon sur lequel se trouvaient des illustrés qu’elle feuilleta.

– Merci, cher petit facteur, lui dit Frédéric qui avait lu… Vous retournerez demain au cours?

Et il lui tendit une autre lettre toute préparée. Lydie prit la lettre:

– Vous me faites faire un joli métier…

– Oh! mademoiselle, vous savez que j’aime Marie-Thérèse comme… comme Jacques vous aime… d’un amour aussi pur et aussi profond…

Lydie se leva et regardant l’officier bien en face:

– Frédéric, dit-elle… vous voyez, je vous appelle Frédéric, moi aussi… je vais vous parler comme une sœur. Frédéric, croyez-vous que Jacques m’aime toujours autant?

– Que voulez-vous dire? s’écria Frédéric, j’en suis sûr!

Cette sincérité évidente et cette spontanéité dans la réplique semblèrent apaiser un instant l’incompréhensible émoi de Mlle de la Morlière:

– Merci! dit-elle. Vous m’avez fait du bien! Évidemment, je suis un peu folle… Ce sont toutes ces émotions et puis que voulez-vous, mon cher Frédéric, ajouta-t-elle, en s’efforçant de sourire, depuis que j’ai vu la belle Sonia, il me semble que si j’étais homme une petite fille insignifiante comme moi compterait si peu… si peu auprès d’elle.

– C’est un sacrilège de parler ainsi! Tenez, voilà le commandant! Je vais tout lui dire.

– Non! Non! ne lui dites rien. Je vous en supplie.

Jacques arrivait. La jeune fille courut au-devant de lui, toute rouge d’une émotion qu’elle n’essayait pas de dissimuler.

– Ah! Jacques! quelle joie de vous revoir, après cette affreuse séance!

– Ma petite Lydie!

Elle se mit à pleurer doucement. Elle était jolie quand elle ne pleurait pas, mais les larmes la rendaient adorable.

En voyant couler ces larmes qu’il séchait à l’ordinaire si promptement, Jacques, cette fois, ne put retenir un mouvement d’énervement qui n’échappa point à Lydie.

Et, quand le commandant lui eut annoncé qu’il désirait embrasser tout de suite sa mère parce qu’il était dans la nécessité de retourner immédiatement chez M. Lavobourg (elle comprit: chez Sonia Liskinne), elle n’eut pas un mot pour se plaindre de cette nécessité-là, et rien, dans son attitude, ne put trahir la douleur aiguë qui vint la «pincer au cœur».

Cependant les jeunes gens se connaissaient si bien et l’amour de Jacques pour Lydie était, de son côté, si sincère que celui-ci eut la sensation immédiate de ce qui se passait à côté de lui, dans cette jeune et ardente poitrine qui ne battait que pour lui seul au monde; et il profita de l’instant où Frédéric paraissait très absorbé dans la contemplation d’un vieux tableau représentant un ancêtre de Mlle de la Morlière à la bataille de Marignan pour saisir dans ses bras l’héritière de ce valeureux guerrier et la consoler d’un baiser suivi d’une douce parole qui la fit pâlir de joie, elle, et le fit rougir, lui, de remords.

– Ma petite Lydie, je t’adore…

C’était vrai, mais ce qui était vrai aussi, c’est que le héros du Subdamoun pensait, dans le même moment, à la belle Sonia.

Cécily arriva. Elle eut un cri joyeux. La mère et le fils s’étreignirent à leur tour.

Ce n’était ni de l’admiration, ni de l’amour que Cécily avait pour Jacques, c’était de la dévotion. Si bien que, tout au fond d’elle-même, dans les minutes les plus redoutables, elle ne désespérait jamais car elle le voyait quasi invulnérable.

Elle ne l’avait point détourné de sa grande entreprise. Mais, en son âme simple où le bien et le mal ne se mêlaient jamais, elle était encore toute troublée de ces événements tragiques qui ressemblaient si fort à des assassinats et qui déblayaient singulièrement et si heureusement la route devant le héros en marche. Ce fut une bien autre affaire quand Jacques lui eut appris la dernière nouvelle:

– Figurez-vous que Cravely, raconta Jacques, avait fait suivre le mystérieux visiteur qui a laissé Carlier en si mauvais état. Or, cet homme, qui avait échappé un instant à son pisteur a été retrouvé.

– Eh bien? qu’est-ce qu’il a dit? demanda Cécily avec anxiété.

– Mais, ma mère, il n’a rien dit, parce qu’on l’a retrouvé pendu!

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