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Cécily n’avait plus qu’un fils, mais elle avait une fille, et combien charmante, dans cette gracieuse Lydie qu’elle avait fini d’élever à côté de Jacques. Celle-là encore petite-fille, celui-ci déjà grand garçon. Bientôt ils s’aimèrent.

Mais Jacques, qui n’avait plus de fortune, voulait apporter en cadeau de noces, à Lydie, la gloire.

– Nous nous marierons après le triomphe, lui avait-il dit!

Et la gloire, c’était cette prodigieuse aventure qui menaçait de tout emporter, de les broyer tous comme des fétus de paille… Lydie avait bien vu cela, dans ce tragique après-midi… si rempli d’horreur… pour elle et pour Cécily…

Les deux femmes étaient dans les bras l’une de l’autre, Lydie essuyant les larmes de Cécily, quand la vieille Jacqueline entra dans le salon, annonçant le lieutenant Frédéric Héloni.

– Faites-le entrer s’écrièrent-elles toutes deux en se levant vivement, tant elles avaient hâte de recevoir des nouvelles.

L’officier les rassura d’abord d’un mot:

– Tout va bien!

– Jacques?

– Quelques égratignures sans importance!…

– Oh! vous l’avez sauvé!

– Ne parlons pas de cela!

– Il va venir?

– Oui, un instant, avant le dîner.

– Mais, fit Lydie, haletante, nous ne savons pas ce qui s’est passé à la Chambre, après cette affreuse chose… Nous sommes parties dès que nous l’avons vu hors de danger… nous espérions qu’il accourrait ici!

– Voilà ce qui s’est passé, ça a été rapide. Après une suspension de séance pendant laquelle on a emporté les corps de Carlier et de Bonchamps, la séance a repris. Et la Chambre a voté en cinq minutes et à l’unanimité la nomination d’une commission d’enquête à laquelle l’extrême-gauche a fait donner les pouvoirs judiciaires les plus étendus! Mais il faut que ces pouvoirs soient ratifiés par le Sénat et celui-ci ne ratifiera pas… Nous sommes sûrs de la majorité du Sénat! Dans ces conditions, pour nous, c’est du temps de gagné et nous ne demandons pas autre chose pour le moment!

– Et l’assassinat de Carlier? interrogea avec une grande hésitation, Cécily.

– Pendant la suspension de séance, après le départ de Jacques, Hérisson eut une conférence avec le procureur général et les principaux du parti. Il paraît que le crime, en ce qui concerne Carlier, n’est pas absolument démontré.

– Oh! tant mieux! fit la marquise avec un long soupir. Frédéric reprit:

– Le poignard qu’on a trouvé plongé dans sa poitrine était une arme à lui et l’habit, le gilet étaient ouverts comme s’il avait voulu se frapper lui-même. Y a-t-il eu suicide? A-t-il perdu la tête en voyant que son visiteur ne lui apportait pas la preuve qu’il avait promise à la Chambre? Toutes ces hypothèses sont plausibles. Enfin (et la voix du lieutenant baissa le ton) les papiers qui nous avaient été volés ont été retrouvés.

– Où?

– … Chez Sonia… et ce n’est pas le moins étrange!

– Mais vous voyez donc que l’on a assassiné cet homme, ce Carlier, pour rentrer en possession de ces papiers! s’écria Cécily, qui tremblait singulièrement… et c’est un homme de votre parti!

– De notre parti… silence donc, madame!

– Oui, oui… de notre parti… Mais cette mort… Ce crime!

– Ah! ce n’est pas nous qui en sommes responsables… s’exclama l’officier…

– Ce crime m’épouvante! reprit Cécily en montrant plus d’effroi qu’elle n’en avait jamais ressenti dans cette période cependant si dangereuse pour son fils…

– Nous, il nous étonne! Mais puisqu’il nous sert, vous pensez bien que nous avons autre chose à faire que de nous y attarder pour le moment! Les événements vont se précipiter… Il faut que nous profitions de la mort de Bonchamps! Ce président vertueux et têtu, qui perdait la République pour mieux sauver la Constitution, nous gênait!

– Si je vous disais, soupira la malheureuse Cécily, que pendant cette atroce séance, quand je ne regardais pas mon fils, je le regardais, lui, le président Bonchamps et qu’en le voyant si cruellement souffrir, haleter, étouffer, je me demandais s’il n’était point vrai, comme le bruit en avait couru, qu’il fût empoisonné.

– Son médecin lui-même a démenti ces odieux propos! Et c’est vous, madame, qui vous en faites à nouveau l’écho!

– Ah! je n’ose plus penser!

– Nos mains sont pures. Jacques l’a dit, reprit Frédéric, mais nous ne sommes plus à un moment de la bataille où nous puissions choisir nos amis et nos ennemis!

– J’ai cru, pour mon compte, que je devenais folle… et le serais certainement devenue si vous ne vous étiez jeté dans la mêlée,… mon cher Frédéric…

– Oh! Je n’étais pas seul, fit-il modestement…

– C’est vrai, qu’avez-vous fait de nos deux braves gardes du corps? demanda la marquise…

– Ils sont dans la cuisine, madame… Jacqueline doit être en train de les gâter!

– Allez donc nous les chercher, mon cher, que je les remercie… Vous voulez bien?

– Oh! ils vont être dans une joie!

Héloni disparut et revint avec Jacqueline et les deux hommes: c’étaient deux admirables brutes, larges d’épaules et de poitrine, plantés sur leurs jambes comme sur des piliers de bronze, tournant entre leurs poings énormes une espèce de chapeau de toile cirée, comme on en voit aux petits enfants costumés en soi-disant marins, et qui devaient, lorsqu’ils étaient coiffés, donner un bien singulier cachet à leurs têtes formidables.

Ces têtes faisaient rire ou faisaient peur. Elles n’étaient cependant ni ridicules ni méchantes. Elles étaient pires. Elles étaient inquiétantes.

Ce n’étaient point deux petits anges.

Ils avaient déserté, tout là-bas, au fond de l’Extrême-Orient, au temps de leur service, racontaient-ils, parce qu’ils étaient les souffre-douleur d’un quartier-maître qui les faisait coller aux fers tous les huit jours. Et depuis, ils avaient bourlingué à travers le monde, ne songeant pas à rentrer en France, malgré la prescription, car ils n’avaient plus de famille. Frédéric les avait trouvés au Subdamoun au moment où l’on constituait la colonne d’expédition et ils s’étaient offerts, comme porteurs, tout simplement.

Or, pendant les combats, ils s’étaient conduits comme des héros, se jetant au-devant des coups et les épargnant à Jacques qui était revenu sans une blessure.

L’un s’appelait Jean-Jean et l’autre Polydore. Ils étaient à peu près de même taille, de même corpulence. Ce qui les distinguait un peu et trahissait leur origine, c’est que Jean-Jean avait l’accent normand du pays de Caux et Polydore, l’accent breton des environs de Brest.

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