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«D’abord il s’était installé avec sa garde dans la cour de l’hôtel à Versailles. Il était arrivé à faire distribuer à ses “poteaux” des cartes de civisme qui venaient du club de l’Arsenal. Avec ces cartes-là, il faisait ce qu’il voulait. C’est ainsi qu’il s’était fait donner la garde de la belle Sonia et de Lavobourg, par Pagès lui-même.

«Son but était évidemment de faire évader la belle Sonia et de livrer Lavobourg qui avait trahi le Subdamoun trop tard pour que les révolutionnaires lui en montrassent beaucoup de reconnaissance!

«Or, il est arrivé que, préoccupé uniquement du sort du Subdamoun qui venait d’être arrêté, “papa” oublia de donner des ordres en conséquence à ses “poteaux”, et quand il revint retrouver ses “hurons”, comme il les appelle, ceux-ci avaient rendu à la fois la belle Sonia et Lavobourg à la bande de Pagès, qui était revenue les leur chercher…

«C’est ainsi que Sonia et Lavobourg ont été envoyés tout de suite à la Conciergerie, où le Subdamoun, lui, ne fut transféré que dans la nuit… Je te dis que “papa” ne sait plus où donner de la tête!

– Nous ne viendrons jamais à bout de ce monstre! soupira Véra.

– Allons donc! Que le cher petit Jacques éternue dans le son et il ne restera plus rien de Ch. B.!

Le baron d’Askof allait prononcer le nom, mais d’avoir seulement osé commencer à souffler la première syllabe de cela… il pâlit et s’arrêta.

À ce moment, la porte s’ouvrit tout doucement, tout doucement…

Et le faux étudiant russe et la fausse blanchisseuse reculèrent épouvantés.

Le père Cacahuètes, lui-même, venait d’entrer et refermait la porte aussi doucement qu’il l’avait ouverte.

– Pardon, excuse, la compagnie, fit-il d’une voix presque éteinte, mais monsieur et madame la baronne me pardonneront certainement mon indiscrétion quand ils sauront ce qui m’amène…

Jamais il n’était apparu aussi misérable, aussi pitoyable. Ses épaules s’étaient encore courbées et sa tête, lamentable, pendait sur sa poitrine comme si les vertèbres cervicales avaient perdu ta force de la soutenir, ballottait, était agitée de droite et de gauche d’un mouvement nerveux, incessant, qui forçait à détourner le regard tant le spectacle en était pénible.

Véra avait reculé jusqu’à la muraille. Elle ne bougea plus, hypnotisée par la mauvaise bête surgie au milieu de son chemin.

Quant à Askof, il eut un grondement, une révolte rapide de sa solide mâchoire, une injure entre les dents, au mauvais sort qui le faisait toujours le jouet du monstre.

Enfin, le petit vieux soupira:

– Monsieur le baron! pardonnez-moi… Il faut que je prenne le temps de me remettre… J’ai tant couru… Figurez-vous que je craignais de vous manquer… vous et madame la baronne… et comme vous m’êtes tous deux infiniment sympathiques, je ne me le serais jamais pardonné…

– Trêve de plaisanterie, «papa», coupa court Askof d’une voix blanche… Comment avez-vous su que nous devions nous voir ici? Déjà il soupçonnait l’ex-larbin de Lavobourg de l’avoir vendu.

– Eh! gloussa le vieillard! eh! eh! nous avons la même blanchisseuse… Eh! eh! eh! une petite blanchisseuse de la rue aux Phoques, mes enfants… qui blanchit tous mes amis, tous les amis du père Cacahuètes… Maison bien tenue… n’est-ce pas, mon enfant? fit-il à Véra.

Askof eut un râle d’admiration à l’adresse du bandit-roi.

Il pensait: «Même ça!»… Il avait même ça; leur blanchisseuse! et quand, pour eux, il s’était agi de fuir après la fâcheuse histoire du coup d’État, quand ils avaient voulu échapper à la fois aux griffes du nouveau gouvernement et à celles de Chéri-Bibi, c’était la blanchisseuse de Mme la baronne, laquelle était la blanchisseuse de Chéri-Bibi (la blanchisseuse de Chéri-Bibi!) qui avait offert ses bons offices, qui avait fourni un déguisement à Véra et qui avait gardé Véra chez elle comme une petite ouvrière repasseuse… en attendant des temps meilleurs, et… et les ordres de Chéri-Bibi!

Pendant ce temps-là, lui, le baron, dans les faubourgs, se faisait passer pour un communiste russe avec quelques amis traîtres comme lui au marchand de cacahuètes… Ah! bien! encore une association secrète dont Chéri-Bibi avait bien dû rire… Askof aurait parié maintenant que le père Zim, le patron du bouchon artistique plein de vieux tableaux et de bric-à-brac qui les accueillait, les nourrissait et leur donnait à boire, était encore un homme de Chéri-Bibi… Mais Chéri-Bibi ne s’occupait, pour le moment, que de la baronne.

– Madame la baronne, tout à l’heure vous allez rentrer au magasin, vos courses faites. Vous pénétrerez dans le bureau de la patronne; cette chère dame vous attend dans le petit cabinet où elle range ses livres de comptes; elle vous attend à la fenêtre… j’aime mieux vous en prévenir tout de suite pour que vous ne soyez pas trop surprise en arrivant; elle vous attend pendue à la fenêtre!

La «petite blanchisseuse», à ce mot, commença à basculer de sa chaise, mais la patte formidable de Chéri-Bibi la remit en place.

– Sur son petit pupitre, la patronne a laissé une petite lettre où elle dit adieu à son petit ami… Pour tout le monde, cette chère dame sera morte d’amour! Morte d’amour à son âge… elle avait cinquante-deux ans! mais il n’y a pas d’âge pour les braves! ni pour les imbéciles! Nous qui sommes malins, madame, nous savons de quoi cette pauvre femme est morte! Il n’y a pour cela qu’à regarder sa langue. Quand vous entrerez dans le petit cabinet de la blanchisseuse, regardez la langue de la blanchisseuse pendue à la fenêtre… Cette langue est d’une longueur! madame la baronne, Mme la blanchisseuse, votre patronne, est morte d’avoir eu la langue trop longue!

Véra était prête à s’évanouir.

Askof intervint pâle et solennel, car il voyait Chéri-Bibi les tuant comme des chiens tous les deux, à la seule idée que la baronne et lui pouvaient soupçonner le lieu de la retraite de Cécily; Askof jugeait que jamais encore il n’y avait eu une minute aussi grave entre ce maudit marchand de cacahuètes, la baronne et lui…

– Et maintenant, parlons de cette chose pour laquelle je, suis venu vous déranger, mon cher Askof. Vous allez m’aider à sortir le Subdamoun de sa prison!

– Et que faut-il faire pour cela? demanda Askof en enfonçant ses ongles dans sa main tremblante d’impuissance.

– Que faudra-t-il faire pour le faire sortir de sa prison? répéta le vieillard, en caressant ses énormes mains, eh! bien, mais, pour cela, monsieur, il vous suffira d’y entrer!

– Comment voulez-vous que j’entre à la Conciergerie? demanda Askof.

– La tête de mon mari est mise à prix! On le recherche partout! gémit la blanchisseuse. On le reconnaîtra tout de suite. Vous voulez donc le perdre? S’il en est ainsi, dites-le donc! et assez de nous torturer!

– Comme vous l’aimez! fit Chéri-Bibi, le plus sérieusement du monde. Mais, moi aussi, je l’aime… je l’aime parce que j’ai besoin de lui. Aussi, rassurez-vous, je vous le ramènerai, mort ou vivant!

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