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Qu’étaient donc tous ces gens-là? Et à quoi Chéri-Bibi pouvait-il les faire servir pour le bien de la France, comme il le disait?

Enfin, M. Hilaire n’ignorait plus que, à quelques pas de lui, on tentait le plus audacieux des coups d’État et que grâce à Chéri-Bibi il se trouvait avoir dans tout ceci une responsabilité qu’il lui était, du reste, impossible de mesurer.

Si on ajoute à tous ces malheurs d’ordre public les raisons que M. Hilaire avait de ne pas se réjouir dans le particulier, après la scène conjugale qui avait apporté la perturbation dans les magasins de la Grande Épicerie moderne, on comprendra assez facilement, la mélancolie de M. Hilaire.

Comme il levait la tête, en proie à toutes ces tristes réflexions, il ne fut pas peu surpris d’apercevoir à la terrasse d’un petit café en face, les deux figures bonasses de ses compagnons de la nuit précédente, MM. Barkimel et Florent, lesquels se levèrent aussitôt et s’en allèrent comme s’ils ne l’avaient point vu.

Le fait était extraordinaire. Qu’étaient-ils donc venus faire à Versailles?

C’est ce que M. Barkimel était en train d’expliquer à M. Florent qui ne le savait pas encore.

M. Florent, après les émotions d’une journée et d’une nuit particulièrement mouvementée, dormait du sommeil du juste, quand il avait été brusquement tiré du lit, à une heure exceptionnellement matinale, par l’arrivée inopinée de M. Barkimel.

À toutes les questions que M. Florent avait posées à M. Barkimel, celui-ci n’avait consenti à répondre que par ces mots:

– Levez-vous!

– Mais enfin, me direz-vous?

– Levez-vous!

– Courons-nous quelque danger personnel?

– Nous avons un grand devoir à accomplir.

– Alors, me voilà, obtempéra M. Florent, tout en tremblant d’inquiétude.

Et M. Barkimel avait entraîné M. Florent à Versailles. Il paraissait fort préoccupé et continuait de ne point répondre à toutes les questions de son ami.

Arrivés dans la ville, ils ne furent pas peu étonnés d’assister à un spectacle dont, cependant, M. Barkimel prétendait avoir été averti.

– Vous êtes donc dans le secret des dieux? avait demandé M. Florent stupéfait.

– Je savais que l’on allait tenter de renverser la République, aujourd’hui, à Versailles, parfaitement! se rengorgea M. Barkimel.

– Vous saviez tout cela et vous nous amenez dans cette dangereuse cohue? Pourquoi faire?

– Nous devons nous opposer à ce qu’on renverse la République, monsieur Florent!

– Mais je vous ai toujours entendu dire qu’une bonne poigne!

– Moi? vous avez rêvé! Et si j’ai pu dire, en effet, qu’une bonne poigne est quelquefois nécessaire, j’ai toujours pensé qu’elle devait être au bout du bras d’un ferme républicain et non pas d’un soldat de fortune, monsieur Florent…

– Vraiment! vous me stupéfiez! et comment nous opposerons-nous à ce qu’on renverse la République?

– En surveillant M. Hilaire, tout simplement! Comprenez-vous, maintenant?

– Mais, de moins en moins! M. Hilaire a toujours été un des fervents de la Révolution.

– Monsieur Florent, taisez-vous, voici justement M. Hilaire. Je vous dirai ce qu’il faut en penser tout à l’heure…

– Écoutez, reprit Barkimel au bout d’un instant, voici ce qui m’est arrivé ce matin. Il pouvait être cinq heures. On frappe à ma porte à coups redoublés. Je me lève croyant qu’il y avait le feu, j’ouvre et je me trouve devant un monsieur très convenablement mis, habillé tout de noir, qui tenait humblement son chapeau melon à la main et me dit:

«- M. Barkimel, s’il vous plaît, puis-je vous dire un petit mot?

«Je lui réponds qu’on ne réveille pas les gens à une heure pareille! Il me dit que c’est pour mon bien et qu’il a quelque chose de très grave à me confier de la part d’un grand personnage qui désire, pour le moment, conserver l’anonymat. Je le fais entrer, je lui demande la permission de me remettre dans mon lit; il s’assied près de moi et, tout à coup, il me dit, me passant sa main sur la mienne:

«- Monsieur Barkimel, voulez-vous être décoré?

En entendant ce passage inattendu du récit de M. Barkimel, M. Florent devient cramoisi, puis violet. On dirait qu’il va étouffer; en vérité il suffoque!

Enfin M. Florent peut placer un mot:

– C’était un fumiste! fait-il.

C’est au tour de M. Barkimel de rougir.

– Pourquoi un fumiste? balbutia-t-il. Cet homme parlait très sérieusement et il me l’a prouvé ensuite… Pourquoi un fumiste?

– Pour rien, toussa M. Florent; continuez!

– Alors, je dis à cet homme, continue M. Barkimel, que mon plus grand bonheur serait d’être officier d’académie!

– Évidemment! acquiesça M. Florent en pâlissant.

«- Pour cela, que faut-il faire? demandai-je à mon visiteur.

«- Être un bon républicain, répondit-il, et un fidèle ami!

«- Un fidèle ami de qui?

«- Mais, par exemple, de M. Hilaire!

«- Ah! bien, ce ne sera pas difficile, m’écriai-je: j’ai toujours aimé la République et je ne quitte pas M. Hilaire.

«- Eh bien! quittez-le de moins en moins, conseilla le visiteur… Avec vous, je n’irai pas par quatre chemins, ajouta cet homme, car vous êtes d’une intelligence au-dessus de la moyenne… Sachez donc que les bons républicains de l’Arsenal sont bien étonnés de certains faits et gestes de M. Hilaire. Ils le trouvent tiède par moments et très bizarre dans d’autres… Ils ont besoin d’être sûrs du secrétaire d’un comité aussi influent… Or, ils n’ignorent pas que M. Hilaire est toujours fournisseur de la maison des Touchais, rendez-vous du Subdamoun et de tous ses aristocrates… Enfin hier, il aurait dû venir au club, où on l’attendait et où les plus graves résolutions ont été prises contre les menées dictatoriales de Jacques Ier! Nous ne l’avons pas vu! Pourquoi? Et voici le fait le plus mystérieux de tous! L’un des premiers personnages du club de l’Arsenal a disparu! n’est pas rentré de la nuit chez lui… et l’on a tout lieu de croire quelque méchant attentat! Je vous parle du citoyen Tholosée que vous connaissez peut-être!

«- Oui, fis-je, je connais le citoyen Tholosée, c’est un brave républicain… Je l’ai vu souvent chez M. Hilaire, j’avais plaisir à lui serrer la main!

– Quelle blague! s’écria M. Florent, vous m’avez dit cent fois que cet énergumène vous faisait peur!

– C’est justement parce qu’il me faisait peur, répliqua M. Barkimel, que je lui serrais la main avec plaisir… Il vaut mieux être bien que d’être mal avec les gens qui vous font peur.

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