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Une demi-minute plus tard, il était dans la rue.

Monsieur Hilaire! clama Mme Hilaire.

Mais M. Hilaire ne répondit point à cet appel qu’il jugea trop tardif et il continua hâtivement son chemin.

Au coin de la rue Saint-Antoine, il rencontra MM. Barkimel et Florent, qui venaient chez lui, effrayés par les nouvelles du jour.

– Nous dansons sur un volcan! dit M. Barkimel.

– Sur ce que vous voudrez, répliqua M. Hilaire, mais dansons!

Et il les entraîna.

Ce dimanche, malgré l’heure matinale, les rues étaient déjà animées d’une foule oisive, inquiète, prêtant l’oreille à tous les bruits, prompte à s’émouvoir et traduisant son émotion par des cris, des proclamations, des chants.

Il y avait des mouvements de troupe. Deux bataillons qui avaient quitté leur caserne pour venir renforcer la garde du Palais-Bourbon où continuait de siéger la commission d’enquête, furent acclamés.

Flottard, le gouverneur civil, qui passa à cheval, entre deux généraux, arborant un magnifique costume copié sur celui des commissaires aux armées, fut hué et acclamé tour à tour.

Un peu partout, de vigoureux horions furent échangés.

Les éditions spéciales des journaux vinrent apporter des nouvelles de la commission d’enquête.

En dépit du secret extraordinaire dont elle entourait ses travaux, on savait qu’elle avait décidé de demander, dès le début de la séance de lundi, la suspension de l’immunité et de l’inviolabilité parlementaires pour plus de cent cinquante députés et sénateurs dont on donnait les noms et qu’elle rendait responsables de l’assassinat de Carlier.

En tête de liste, on lisait le nom du commandant Jacques.

Mais revenons à nos trois promeneurs, à MM. Hilaire, Barkimel et Florent, qui, en arrivant place de l’Hôtel-de-Ville, furent si brutalement bousculés qu’ils se résolurent à passer sur la rive gauche. Mais là, ils trouvèrent l’université en ébullition et, pour fuir une charge de cavalerie, ils durent se réfugier dans une cour. Ils s’aperçurent qu’ils étaient en plein club des Francs-Archers, mais qu’ils avaient perdu M. Hilaire, lequel avait soudain disparu.

Paris était encombré maintenant de ces clubs que soutenaient mystérieusement les communistes internationaux, en attendant leur tour…

Les cercles populaires avaient établi leur tyrannie dans tous les districts et leurs orateurs ne se gênaient plus pour déclarer que «la Convention française n’avait rien fait de bon tant qu’elle n’avait pas été dominée par la Commune»! De là à prêcher un gouvernement de l’Hôtel de Ville, il n’y avait plus qu’un pas!

Sans compter que les clubs se permettaient d’envoyer des délégués au gouvernement, qui était obligé de les recevoir!

Ils lui signifiaient des réclamations et des résolutions, et même des dénonciations! De la dénonciation à la mise en accusation, il n’y avait pas loin non plus!

M. Florent secouait la tête devant les gémissements de ce pauvre M. Barkimel.

– Ils auront beau faire, ils n’approcheront jamais de ce club des Jacobins de dictatoriale mémoire, où les membres du Comité de Salut Public venaient prendre le mot d’ordre du peuple, où l’on donnait la liste des suspects, des accapareurs et des «agents de Pitt et de Cobourg» que le tribunal révolutionnaire se chargeait de son côté d’envoyer à la guillotine!

Au fond, M. Florent tremblait dans sa culotte; ce qu’il en disait, c’était pour rabaisser la superbe de M. Hilaire, secrétaire de l’Arsenal et pour étonner M. Barkimel par son érudition. Mais il commençait à n’être point plus rassuré que l’ex-marchand de parapluies!

Et ce fut lui qui, le premier, demanda à quitter cette cour où un orateur de carrefour s’écriait:

– Le peuple seul, citoyens, jouit du privilège de ne pas se tromper! Il faut que le peuple envoie des commissaires dans les provinces! Il faut qu’il destitue tous les généraux et qu’il les remplace par des enfants du peuple comme le firent les Français en 93! Il faut que les soldats élisent leurs officiers! et nous n’aurons plus à compter avec l’aventure d’un commandant Jacques qui est la honte de la République! Citoyens! Le monde a les yeux sur vous! Vous faites l’admiration de l’univers! Et c’est le club de l’Université et des Francs-Archers qui sauvera la France et l’Europe du dernier effort de la tyrannie!

– Sortons! souffla M. Florent en saisissant un pan de la jaquette de M. Barkimel!

– Oui, sortons, grelotta M. Barkimel. Cet homme me fait peur… il parle comme un bolchevick!

Et ils se dirigèrent vers la sortie.

Ils avaient perdu leur sauvegarde, ce bon M. Hilaire dont ils appréciaient par-dessus tout l’amitié tutélaire et qu’ils fréquentaient avec assiduité à cause de sa situation exceptionnelle au club de l’Arsenal.

Ils le retrouvèrent sur le trottoir, regardant de droite et de gauche et paraissant fort en peine…

– Mes amis, leur dit-il, vous n’avez point vu un vieux bonhomme qui a des lunettes noires, qui marche tout courbé et qui a au bras un petit baril plein d’olives et de cacahuètes! Tout à l’heure, il est entré une minute dans la cour du club des Francs-Archers, le temps de dire un mot à deux hommes qui se trouvaient à côté de vous. J’ai couru après lui, mais les deux hommes m’ont bousculé et je n’ai plus revu le marchand de cacahuètes. Je me suis retourné du côté des deux hommes et je ne les ai plus revus non plus!

– Et que voulez-vous faire avec votre marchand de cacahuètes? demanda M. Florent.

– Eh! bien, lui acheter des cacahuètes, répondit M. Hilaire.

Soudain il jeta un cri et se faufila avec une rapidité surprenante parmi les groupes.

MM. Barkimel et Florent crurent l’avoir perdu encore une fois. Mais ils le rejoignirent sur le quai et tout de suite il leur fit signe de se tenir tranquilles et de se taire.

Alors ils s’aperçurent que M. Hilaire suivait deux individus d’une tenue et d’une allure singulières.

Au premier abord, ces deux individus donnaient l’impression de matelots, avec leur déhanchement, leur façon de marcher en tanguant, leur manière de rouler les mâchoires comme s’ils exprimaient le jus d’une éternelle chique. Mais leur figure n’avait pas cet air bon enfant et naïf que l’on voit aux marins en bordée dans les villes. Il se dégageait de toute leur personne quelque chose de redoutable et ils étaient loin d’inspirer, à première vue, la confiance.

Enfin, ils parlaient le langage des pires apaches.

MM. Barkimel et Florent ne purent comprendre l’intérêt que pouvait avoir M. Hilaire à suivre ainsi ces formidables drôles. Ils firent comme lui cependant.

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