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Ayant conseillé à M. Hilaire de se rendre de bonne heure, vers les sept heures et demie au plus tard, à son poste de secrétaire, Tholosée, de plus en plus excité, reprit le chemin de l’Arsenal.

Mais il laissait M. Hilaire dans la joie.

Sous prétexte de se rendre au club pour y accomplir des devoirs «inéluctables», M. Hilaire sortirait de bonne heure, et, ma foi, il ne serait pas autrement fâché de remplacer une soirée qui avait menacé d’abord d’être plutôt pénible, qui s’était annoncée ensuite comme exclusivement politique, de la remplacer, disons-nous, par une nuit de plaisir, de chants et de danses au Grand Parc. Il irait au bal, en compagnie de ses braves amis Barkimel et Florent, lesquels ne le gêneraient en rien dans ses recherches.

Fort de ce que le farouche Tholosée venait de dire devant sa femme et après avoir calculé que la défaillance de Mme Hilaire se produisait généralement vers les huit heures et demie après le dîner, il s’exprima ainsi:

– Tu vois, Virginie, que je ne pourrai pas dîner. Du reste, je suis comme toi, aujourd’hui je n’ai pas faim. Je partirai pour l’Arsenal à sept heures et demie.

Mais à sept heures et demie il dut déchanter quand toutes les portes du magasin ayant été fermées, il vit Mme Hilaire glisser dans sa poche la clef de la dernière ouverture basse percée dans la tôle et s’acheminer vers la salle à manger, où la bonne venait de découvrir une soupière fumante.

Mme Hilaire, sans paraître émue par les émanations du potage aux légumes, s’assit et se mit à lire le journal apporté par le citoyen Tholosée.

M. Hilaire la considéra d’un œil consterné.

– Virginie! lui dit-il de son ton le plus humble et le plus engageant, Virginie, as-tu bientôt fini de me faire de la peine? Tu sais que je dois être à sept heures et demie au club; pourquoi me refuses-tu la clef de la porte? Il faut que je m’en aille!

Silence de Virginie.

– On me blâmera et on me cassera… et tu seras bien avancée… toi qui désires avoir un mari conseiller municipal.

«Tu ne veux pas manger? Et tout à l’heure, il arrivera ce qui arrive chaque fois; épuisée par le besoin, vaincue par la faiblesse et victime de ton amour-propre, tu t’écrouleras sur le plancher, et je croirai une fois de plus que tu vas mourir, moi qui t’adore!

En effet, voilà soudain que Virginie laisse glisser sa tête sur son épaule, ouvre la bouche comme pour exhaler un dernier soupir et montre des yeux expirants; puis, elle s’écroule sur le plancher assez adroitement cependant pour ne point casser la chaise.

– Là! qu’est-ce que je te disais! s’écrie M. Hilaire, hors de lui. Cette fois, il ne pousse aucun cri de désespoir, mais montre tous les signes de la plus folle exaspération.

Et comme son malheur veut qu’il ait à côté de lui un baril de mélasse dans lequel trempe la pelle à servir, il charge cette pelle d’une abondante marchandise et envoie, à toute volée, son cataplasme sur la figure agonisante de Mme Hilaire.

Fin du silence de Virginie et résurrection de la bonne dame.

– Brigand! hurle-t-elle! Bandit! Cartouche! Robert Macaire! Balaoo! Chéri-Bibi!

– Enfin, tu parles!

Virginie s’était relevée sans l’aide de personne et, tout en vomissant ses injures encombrées d’un sirop qui lui coulait de toutes parts, elle s’était ruée sur son mari.

Mais ce dernier n’avait point quitté la pelle à mélasse et déclarait froidement qu’il n’hésiterait point à sacrifier le reste du tonneau si Mme Hilaire ne consentait à reprendre ses esprits.

Alors, vaincue, elle se mit à pleurer.

Ce n’était point un spectacle charmeur que celui de Mme Hilaire pleurant dans sa mélasse. Mais il apitoya ce bon M. Hilaire.

– Allons, poupée! fit-il, plus ému lui-même qu’il n’eût fallu le paraître en un pareil moment pour garder tout le bénéfice d’une telle victoire… je vois ce que c’est… Tu veux que je te porte dans ta chambre, comme les autres fois.

Et il porta Mme Hilaire dans leur chambre du premier étage, déployant une force peu commune pour son âge déjà mûr.

M. Hilaire ne redescendit de cette chambre que le lendemain matin pour l’ouverture du magasin, car le dimanche, le magasin, servi par un personnel restreint, était ouvert jusqu’à midi.

Mme Hilaire apparut bientôt à son tour.

Elle s’en fut à son comptoir et vaqua à ses occupations coutumières avec une mine satisfaite et une grâce nonchalante dont tout le monde fut charmé. M. Hilaire tout le premier.

«Au fond, songea-t-il, ce n’est pas une méchante femme. Elle est dépourvue de rancune.»

Sur ces entrefaites, survint Mlle Jacqueline, son livre de messe à la main. M. Hilaire s’empressa auprès d’elle, pour lui dire tout bas:

– Je ne sais rien encore, Mademoiselle Jacqueline! Il m’a été impossible de sortir hier soir… mais ce soir… soyez sûre.

Et il lui jeta tout haut:

– Qu’est-ce que Mlle Jacqueline désire?

Mais tout de suite il se rendit compte que son manège avait manqué de légèreté et de naturel. De son côté, Mlle Jacqueline rougit. Il rougit à son tour. Elle balbutia:

– Je désirerais des mendiants et des noisettes avelines, monsieur Hilaire.

– À quatre francs le demi-kilo?

– Oui.

En la servant, il risqua un coup d’œil du côté du comptoir. Mme Hilaire faisait ses additions. Elle ne devait s’être aperçue de rien.

– Vite, filez!

Jacqueline s’en alla. M. Hilaire revint au comptoir, les mains dans les poches, avec un air détaché:

– Ma bonne Virginie, fit-il à son exquise moitié, si tu veux, nous irons faire un petit tour cet après-midi!

Silence de Virginie.

– Je t’offre une promenade en voiture!

Silence de Virginie.

– Ce soir, nous pourrions aller au théâtre!

Silence de Virginie.

– Au bal!

Silence de Virginie.

M. Hilaire n’y tint plus. Il se claqua la cuisse, croisa les bras, fit:

– Oh! Oh! Oh!

Et puis, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il avait bondi jusqu’à la salle à manger où, en un tournemain, il s’était débarrassé de son tablier à bavette, avait revêtu son veston, qui pendait à une patère, et coiffé son chapeau melon du dimanche.

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