Pendant sept ou huit semaines, je n'ai pour ainsi dire eu qu'une activité: grimper sur des femmes et me faire grimper dessus par elles. C'était stupéfiant. Il suffisait que je demande, d'une manière ou d'une autre, pour qu'elles soient d'accord. Ma technique s'affinait au fil des jours. D'abord, j'ai diversifié mes méthodes de conquête (la main entre les jambes, procédé primitif, comportait tout de même des risques évidents – à ma quatrième tentative, après trois triomphes retentissants, j'ai pris autre chose de retentissant dans la figure (la main d'une certaine Vanessa, manifestement coincée)): j'utilisais des approches du genre «Tu viens chez moi?» avec parfois quelques variantes plus astucieuses («Tu habites loin? Tu m'offres un verre?»). Ensuite, j'ai compris qu'il fallait tout de même consentir à quelques bavardages préliminaires. Au mépris de toute règle de sécurité, j'ai risqué deux essais sur de parfaites inconnues, l'une dans le métro, l'autre aux Galeries Lafayette: celle du métro est devenue toute rouge et s'est sauvée en courant presque, comme si elle craignait que je ne la poursuive, celle des Galeries m'a regardé droit dans les yeux et a murmuré en secouant la tête d'un air consterné: «Pauvre con.» (J'avais tenu à tenter cette deuxième expérience pour m'assurer que l'échec du métro n'était pas dû à la personnalité trop puritaine de la victime – celle des Galeries transpirait la lubricité.) Il fallait donc discuter un peu avant de passer à l'acte – pas obligatoirement avec la perinne visée, d'ailleurs; s'adresser aux autres devant elle lors d'une soirée, comme chez Marthe, suffisait amplement. (Refusant toujours de m'estimer spécialement envoûtant lorsque je parle, j'imagine qu'elles acceptent dans ces circonstances parce qu'elles se disent à peu près: «Voilà un homme apparemment normal, gentil et sensé, qui me traite comme une garce vicieuse: que emander de plus?») Enfin, et surtout, je me suis aperçu qu'il ne fallait pas piocher à l'aveuglette dans le tas de femmes. Par exemple, les femmes très-extraverties, qui parlent de cul comme d'autres de cuisine et s’habillent de façon aguichante (cela n'a absolument rien à voir avec leur beauté, bien entendu – seulement avec les talons hauts, les bas et les décolletés plongeants, ces grosses ficelles publicitaires presque pathétiques), ne donnent pas toujours de très bons résultats: non seulement le pourcentage d'échecs est sensiblement plus élevé que chez les plus discrètes, mais en outre, leurs performances s'avèrent souvent décevantes. D'autre part, j'ai remarqué que l'âge jouait également un rôle primordial: vaut mieux s'adresser à des «femmes» qu'à des «filles» (c'est une question de vocabulaire, mais je situe très arbitrairement la frontière vers 26 ou 27 ans). La plupart des filles, ayant peu vécu, n'ont sans doute pas encore le détachement et la sérénité nécessaires pour pouvoir admettre sans honte qu'elles «aiment ça», comme on dit, et que rien ne les empêche d'accepter simplement pour le plaisir, sans alibi amoureux. Les raisons possibles sont multiples, mais le fait est: en dessous de 26 ou 27 ans, le taux de réussite est moins impressionnant. Au-dessus, même si je n'ai pas établi de statistiques précises, on doit frôler les 80 % - je sais que cela peut paraître énorme, mais c'est incontestable: toutes les femmes sont prêtes à coucher avec un homme de passage, pour peu qu'il demande. Qu'elles soient seules ou en couple, célibataires ou mariées (sauf celles qui sont amoureuses (disons: sauf la grande majorité de celles qui sont amoureuses)).
Pour élargir mon champ d'action, je sortais quasiment tous les soirs. C'est ainsi qu'en un peu moins de deux mois, en respectant les quelques règles énoncées plus haut, j'ai connu (de manière aussi directe qu'agréable et éphémère) Flavia, secrétaire de rédaction, Lucie, scripte, Marie-Noëlle, institutrice, Laurence, traductrice et mariée, Hélène, maquettiste au chômage, Sylvie, traductrice, Sylvie, femme de dentiste, Anne, employée de banque, Béatrice, peintre, qui vivait avec le même homme depuis quatre ans, Louise, sœur d'une amie, Isabelle, Sandra, Odile, et d'autres dont j'ai oublié jusqu'au prénom. (Je dois paraître vantard, je m'en rends compte, mais je ne suis pas particulièrement fier de cette liste, pas plus que si je donnais celle des personnes avec lesquelles j'ai dîné au restaurant, par exemple.)
Durant deux mois, j'ai baigné dans la luxure. Je voyais des seins et des fesses partout, je devenais insatiable, je me noyais dans la chair. J'étais sidéré par la vertigineuse diversité des femmes, même «nues» (j'avais une préférence pour les grandes filles molles, mais toutes les autres me plaisaient aussi): les différences physiques, bien sûr, innombrables, mais également la gamme infinie de leurs comportements au lit – ou ailleurs. J'ai rencontré celle qui me tapait dessus comme une sauvage pendant ses orgasmes, celle qu'il fallait actionner calmement pendant une bonne demi-heure avant d'obtenir le moindre soupir mais qui pouvait jouir ensuite six ou sept fois consécutives en ne laissant passer que quelques secondes entre chaque orgasme, celle qui me repoussait violemment dès qu'elle se sentait sur le point de jouir (pour ne pas pécher, j'imagine), celle qui n'enlevait jamais son soutien-gorge, celle qui aimait que je la morde et celle qui aimait que je lui tape sur les fesses (Flavia), celle qui ne supportait pas le moindre geste vif ou brutal, celle qui se masturbait sans arrêt (pendant mais aussi après, quand je reprenais mon souffle – heureusement que je ne suis pas susceptible), celle qui pleurait à chaudes larmes après chaque orgasme, celle qui simulait de manière très exagérée (c'était comique, elle me faisait penser à Sarah Bernhardt dans une grande scène tragique), celle qui tenait absolument à ouvrir la bouche à genoux devant moi, dans les lieux publics (les toilettes des restaurants ou des cafés, les wagons de métro vides, les squares déserts – et même une fois à l'étage meubles du Bon Marché, cachée derrière un canapé (je devais avoir l'air bizarre, seul debout près d'un canapé les yeux exorbités)), celle qui voulait que je lui raconte en même temps, et en détail, ce que je faisais avec les autres, celle qui m'appelait Vincent, celle qui aimait que je l'insulte (après «salope», «putain», «chienne» et «garce» je ne savais plus quoi dire, je me sentais tout bête, je me creusais furieusement la cervelle – «Euh… Salope, je l'ai déjà dit?» -, si concentré sur mon vocabulaire que j'en oubliais de prendre plaisir à ce que nous étions en train de faire – «Vilaine, ça va?» (pour tout arranger, elle me répétait «Vas-y, sers-toi de moi, fais-moi tout ce que tu veux!» et je ne trouvais rien de vraiment immoral à lui faire (on a vite fait le tour d'un corps, tout de même – je pouvais toujours lui tirer les oreilles ou lui secouer les jambes, mais ça n'allait pas chercher bien loin dans le génie pornographique) (c'était celle du Bon Marché)), celle qui se sermonnait toute seule («Je devrais avoir honte, je devrais avoir honte…» – l'endroit qu'elle préférait, c'était devant la glace), celle qui inondait les draps d'un ou deux litres d'un liquide incolore et inodore, très fluide, qui ressemblait à de l'eau, celle qui ne supportait pas que je garde les yeux ouverts (celle qui n'enlevait jamais son soutien-gorge), celle qui se remettait sous tension à peine une minute ou deux après la séance précédente, à mon grand désarroi (je n'ai pas la faculté de récupération des stars du sport), celle qui, comme les hommes, devait tout arrêter immédiatement après son orgasme (elle devenait électrique, «intouchable» – pour un couple provisoire, ce n'est pas l'idéal, car on n'a pas le temps d'apprendre à se synchroniser: le pauvre bonhomme reste en suspension, tétanisé et brûlant, frustré, les nerfs à fleur de peau), celle qui ne prenait de plaisir que par-derrière (celle du Bon Marché, qui aimait que je l'insulte), celle qui, manifestement, n'avait accepté que pour passer le temps ou se donner un genre catin (elle regardait les murs de ma chambre pendant que je me démenais et me concentrais sur celle de l'avant-veille (celle qui se masturbait comme une possédée) pour essayer d'en finir au plus vite, et alors que j'apercevais enfin le bout du tunnel, au dernier instant, elle s'est écriée: «Merde! J'ai fermé la voiture?»), celle qui m'empoignait brutalement par les hanches pour m'utiliser comme un godemiché avec un corps autour et celle qui touchait mon machin avec émotion et respect, les yeux émerveillés, brillants, comme si j'avais Patrick Bruel entre les jambes (la même que celle qui n'enlevait jamais son soutien-gorge et ne voulait pas que je la regarde). Je ne sais combien il y en a eu, mais ça doit faire un paquet.
J'ai profité de ces deux mois pour parfaire ma connaissance de l'espèce féminine. Je ne m'étendrai pas sur les principales différences anatomiques, pour éviter de devenir vulgaire si ce n'est déjà fait, mais certaines parties du corps me touchaient particulièrement: le pli de l'aine, par exemple, lorsqu'elles étaient assises nues sur le bord de lit – comme une ligne tracée dans de la pâte à modeler. Les plis plus discrets (presque des traces, des souvenirs de plis) qui marquent le haut des cuisses, a l'intérieur, à l'endroit où la peau est la plus douce et la plus fine – lorsqu'elle est allongée sur le dos, les jambes pliées et écartées, ces lignes semblent délimiter une zone sacrée, presque circulaire, une vallée à la fois interdite et accueillante, comme sur une carte, ou une île mystérieuse isolée au milieu du corps. Les plis des genoux, surtout lorsque les jambes sont peu musclées, peu anguleuses, flexibles et paresseuses. Les traits rosé pâle sous les seins. Toutes les marques de sous-vêtements trop serrés ou de ceinture, comme des empreintes dans la cire. Les plis, parfois à peine visibles, qui soulignent les fesses sur quelques centimètres, à partir de l'entrejambe. Et juste en dessous, ceux qui écartent légèrement les cuisses, comme des jarretières invisibles remontées très haut, et qui, lorsqu'elle se tient debout de dos, les pieds joints, laissent parfois un losange de jour – ça, alors, ça me faisait presque pleurer d'émotion. Pour résumer en deux mots: les plis. (Mais pas les plis de graisse, attention, ça n'a rien à voir.) Les plis qui prouvent que la chair est molle, que la chair est fragile. Je n'aimais pas les muscles, les fesses dures, les chevilles trop marquées, les hanches osseuses. J'aimais que leur corps soit humain. Je me renseignais, je posais beaucoup de questions, j'écoutais tout ce qu'elles disaient, comme un chercheur ou un élève consciencieux. Il ne faut pas croire que je me passionnais uniquement pour ce qu'elles avaient sous la ceinture: leur esprit me fascinait tout autant. En me renseignant sur leurs fantasmes, j'ai eu la surprise de découvrir qu'elles avaient quasiment toutes le même. Le fantasme de la femme-objet. Il pouvait évidemment prendre plusieurs formes selon les caractères, mais le thème de base restait sensiblement le même – «Je veux qu'on "utilise" mon corps.» Au hit-parade, les deux vedettes étaient: la femme ligotée (éventuellement bâillonnée ou aveuglée), et la femme mise à la disposition de plusieurs hommes (deux en règle générale, trois plus rarement). Ces deux scénarios venaient très largement en tête. Derrière suivaient plusieurs variantes: la putain, l'odalisque, la gentille servante disponible qui ne demande qu'à rendre service, l'épouse docile offerte à des inconnus par son mari, etc. – l'objet. (Inutile de rappeler ce que tout le monde sait, les fantasmes ne sont pas faits pour être vécus, du moins les plus spéciaux (le ligotage, par exemple, peut facilement se laisser vivre), et pas une de ces femmes n'aurait aimé se faire prendre de force dans la vraie vie.) (Je dois reconnaître que, si l'on peut m'accuser de n'importe quoi sauf de considérer les femmes comme des objets (j'aurais même plutôt tendance à attribuer ce rôle aux hommes – à celui qui s'appelle Halvard Sanz, en tout cas, pauvre petite boule impuissante dans le grand flipper du monde), ces histoires de femme-objet ne me laissaient cependant pas indifférent. Holà. Loin de là.) À bonne distance venaient les fantasmes inverses, les envies de pouvoir absolu, de domination («Donnez-moi un homme, un mâle viril de préférence, ôtez-lui toute capacité de résistance et tout esprit d'initiative, et laissez-moi seule avec lui dans une pièce. Je veux l'utiliser comme un esclave vigoureux, ou un corps inerte mais exploitable, je veux l'user, le vider, puis le jeter»), et les fantasmes impliquant une autre femme (plusieurs d'entre elles avaient déjà essayé). Je n'ai pas beaucoup entendu parler d'amour sur une peau de bête devant un feu de cheminée qui crépite, ni de volupté au crépuscule sur un voilier blanc ancré dans les Caraïbes.