– Va te faire foutre, toi! a beuglé le monstre.
Et là-dessus, il lui a envoyé un coup de poing dans la tête. Et là-dessus, moi, j'ai perdu les pédales et me suis jeté sur le monstre. Au diable mes plans de guerre froide, j'entre dans la famille des gens normaux et je le mets dehors comme une vieille chaussette. C'était plus fort que moi, de toute façon, je ne crois pas qu'une seule pensée m'ait traversé l'esprit pendant que je lui fonçais dessus (lorsque j'essaie de revivre la scène, je me vois effectuer un bond de plusieurs mètres en l'air, du fauteuil au lit, les bras écartés). Et tandis que Caracas filait se tapir, épouvantée, sous la table, j'ai empoigné le monstre à deux mains et tenté de le tirer vers la porte. Mais il ne s’est pas laissé faire, évidemment, et une âpre lutte s'est engagée. Abominable. Moi-même, j'avais du mal à le croire. (Mais plus rien ne comptait que la rage: en essayant de toutes mes forces de le traîner hors de la pièce, je me répétais sans cesse la même phrase superbe: «Ah tu as touché à mon chat! Ah tu as touché à mon chat!») Au début, il ne faisait que se retenir à la couette, au lit, à la moquette, mais constatant que je parvenais malgré tout à le tirer vers la porte, il a changé de méthode: il est passé à son tour à l'attaque. Hurlant, braillant, vociférant, il s'est mis à me griffer, à me mordre les mains et les bras, à donner de furieux coups de pied et de poing dans tous les sens. Comme vieille chaussette, elle était encore vivace. Ils étaient plusieurs, il me fallait traîner hors de chez moi tout un groupe de déments. Abominable. Je ne peux repenser à ces instants irréels sans avoir envie de rire ou de vomir. Je progressais centimètre par centimètre sur la moquette – l’animal épileptique, à deux corps, qui rampe – en acceptant de prendre les coups comme ils venaient. Elle ne m'épargnait ni les insultes ni les critiques les plus vives, mais je ne comprenais pas la moitié de ce qu'elle criait. Abominable, on ne peut pas mieux dire.
Tout près du but, j'ai malheureusement dû relâcher mon effort pour ouvrir la porte d'une main, faiblesse qu'il a mise à profit pour revenir d'un mètre ou deux vers l'intérieur – certainement habitué à ce genre de situation, il connaissait toutes les ficelles. Mais la vue du palier a décuplé mes forces et, en une ultime et foudroyante explosion de fureur, je l'ai lancé dehors – j'ai même dû lui faire mal.
J'ai claqué la porte et m'y suis adossé (j'ai remarqué que je faisais comme dans les films, mais je ne me voyais pas repartir tout de suite d'un pas léger et me mettre à ranger la pièce en sifflotant). J'ai entendu un bruit sourd, comme s'il venait de se laisser tomber sur le paillasson, puis il a recommencé à hurler.
– Espèce d'enculé! Ordure! T'avais dit cinq heures et demie! Il est pas cinq heures et demie, enculé!
Toujours sous la table, Caracas semblait atterrée par la violence et l'ingratitude du monde. J'ai regardé autour de moi, je laverais un autre jour, j'ai ramassé la couette qui traînait et me suis couché très fatigué. À quelques mètres, le monstre gueulait toujours. C'est le type qui tape sur ses femmes, ont dû penser les voisins en sueur sous leurs draps. Tant pis. Je n'avais pas trop envie d'ouvrir la porte pour lui demander de se taire, pas trop envie non plus d'appeler la police. Au pire, si cela durait, Cissé Sikhouna sortirait pour l'assommer. J'ai éteint la lumière et fermé les yeux. Quand je me suis endormi, le monstre gueulait toujours. Quand je me suis endormi, quand j'ai quitté le monde, je n'avais qu'une image en tête, une image de douceur et de clarté légère. Pollux Lesiak. Pollux.