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– Et vous me devez?

– Trente francs tout au juste.

– Trente francs, quand le cuivre est à vingt sous la livre! Trente francs!

– Mettons trente-cinq francs et ne souffle pas, ou je t’envoie au diable, toi, ton cuivre, ton chien et ta charrette.

– Mais, père Micou, vous me filoutez par trop! Il n’y a pas de bon sens!

– Veux-tu me prouver comme quoi il t’appartient, ce cuivre, et je t’en donne quinze sous la livre.

– Toujours la même chanson… Vous vous ressemblez tous, allez, tas de brigands! peut-on écorcher les amis comme ça! Mais c’est pas tout: si je vous prends de la marchandise en troc, vous me ferez bonne mesure, au moins?

– Comme de juste. Qu’est-ce qu’il te faut? des chaînes ou des crampons pour tes bachots?

– Non, il me faudrait quatre ou cinq plaques de tôle très-forte, comme qui dirait pour doubler des volets.

– J’ai ton affaire… quatre lignes d’épaisseur… une balle de pistolet ne traverserait pas ça.

– C’est ce que je veux… justement!…

– Et de quelle grandeur?

– Mais… en tout, sept à huit pieds carrés.

– Bon! Qu’est-ce qu’il te faudrait encore?

– Trois barres de fer de trois à quatre pieds de long et de deux pouces carrés.

– J’ai démoli l’autre jour une grille de croisée, ça t’ira comme un gant… Et puis?

– Deux fortes charnières et un loquet pour ajuster et fermer à volonté une soupape de deux pieds carrés.

– Une trappe, tu veux dire?

– Non, une soupape…

– Je ne comprends pas à quoi ça peut te servir, une soupape.

– C’est possible; moi, je le comprends.

– À la bonne heure; tu n’auras qu’à choisir, j’ai là un tas de charnières. Et qu’est-ce qu’il te faudra encore?

– C’est tout.

– Ça n’est guère.

– Préparez-moi tout de suite ma marchandise, père Micou, je la prendrai en repassant; j’ai encore des courses à faire.

– Avec ta charrette? Dis donc, farceur, j’ai vu un ballot au fond; c’est encore quelque friandise que tu as prise dans le buffet à tout le monde, petit gourmand?

– Comme vous dites, père Micou; mais vous ne mangez pas de ça. Ne me faites pas attendre mes ferrailles, car il faut que je sois à l’île avant midi.

– Sois tranquille, il est huit heures; si tu ne vas pas loin, dans une heure tu peux revenir, tout sera prêt, argent et fournitures… Veux-tu boire la goutte?

– Toujours… vous me la devez bien!…

Le père Micou prit dans une vieille armoire une bouteille d’eau-de-vie, un verre fêlé, une tasse sans anse, et versa.

– À la vôtre, père Micou!

– À la tienne, mon garçon, et à ces dames de chez toi!

– Merci… Et ça va bien toujours, votre garni?

– Comme ci, comme ça… J’ai toujours quelques locataires pour qui je crains les descentes du commissaire… mais ils paient en conséquence.

– Pourquoi donc?

– Es-tu bête! Quelquefois je loge comme j’achète… à ceux-là, je ne demande pas plus de passeport que je ne te demande de facture de vente à toi.

– Connu!… Mais, à ceux-là, vous louez aussi cher que vous m’achetez bon marché.

– Faut bien se rattraper… J’ai un de mes cousins qui tient une belle maison garnie de la rue Saint-Honoré, même que sa femme est une forte couturière qui emploie jusqu’à des vingt ouvrières, soit chez elle, soit dans leur chambre.

– Dites donc, vieux obstiné, il doit y en avoir de girondes là-dedans?

– Je crois bien! Il y en a deux ou trois que j’ai vues quelquefois apporter leur ouvrage… Mille z’yeux! Sont-elles gentilles! Une petite surtout, qui travaille en chambre, qui rit toujours, et qui s’appelle Rigolette… Dieu de Dieu, mon fiston, quel dommage de ne plus avoir ses vingt ans!

– Allons, papa, éteignez-vous, ou je crie au feu!

– Mais c’est honnête, mon garçon… c’est honnête…

– Colasse! va… et vous disiez que votre cousin…

– Tient très-bien sa maison; et, comme il est du même numéro que cette petite Rigolette…

– Honnête?

– Tout juste!

– Colas!

– Il ne veut que des locataires à passe-port ou à papiers. Mais s’il s’en présente qui n’en aient pas, comme il sait que j’y regarde moins, il m’envoie ces pratiques-là.

– Et elles paient en conséquence?

– Toujours.

– Mais c’est tous amis de la pègre ceux qui n’ont pas de papiers!

– Eh! non! Tiens, justement, à propos de ça, mon cousin m’a envoyé il y a quelques jours une pratique… que le diable me brûle si j’y comprends rien… Encore une tournée!

– Ça va… le liquide est bon… À la vôtre, père Micou!

– À la tienne, garçon! Je te disais donc que l’autre jour mon cousin m’a envoyé une pratique où je ne comprends rien. Figure-toi une mère et sa fille qui avaient l’air bien panées et bien râpées, c’est vrai; elles portaient leur butin dans un mouchoir. Eh bien! quoique ça doive être des rien du tout, puisqu’elles n’ont pas de papiers et qu’elles logent à la quinzaine… depuis qu’elles sont ici, elles ne bougent pas plus que des marmottes; il n’y vient jamais d’hommes, mon fiston, jamais d’hommes… et pourtant, si elles n’étaient pas si maigres et si pâles, ça ferait deux fameux brins de femme, la fille surtout! Ça vous a quinze ou seize ans tout au plus… c’est blanc comme un lapin blanc, avec des yeux grands comme ça… Nom de nom, quels yeux! Quels yeux!

– Vous allez encore vous incendier… Et qu’est-ce qu’elles font, ces deux femmes?

– Je te dis que je n’y comprends rien… Il faut qu’elles soient honnêtes et pourtant pas de papiers… Sans compter qu’elles reçoivent des lettres sans adresse… Faut que leur nom soit guère bon à écrire.

– Comment cela?

– Elles ont envoyé ce matin mon neveu André au bureau de la poste restante, pour réclamer une lettre adressée à Mme X. Z. La lettre doit venir de Normandie, d’un bourg appelé Les Aubiers. Elles ont écrit cela sur un papier, afin qu’André puisse réclamer la lettre en donnant ces renseignements-là… Tu vois que ça n’a pas l’air de grand-chose, des femmes qui prennent le nom d’un X et d’un Z. Eh bien, pourtant, jamais d’hommes!

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