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– C’est pas à cause du châle… que je parle; je ne suis pas assez chiche pour lésiner sur un châle: un de plus ou un de moins, la mère Burette ne changera pas son prix; elle achète en bloc, reprit Nicolas. Mais, au lieu de dire que tu prends ce châle, tu peux me demander que je te le donne… Allons, voyons, garde-le… Garde-le… je te dis… ou sinon je l’envoie au feu pour faire bouillir la marmite.

Ces paroles calmèrent la mauvaise humeur de Calebasse; elle prit le châle sans rancune.

Nicolas était sans doute en veine de générosité, car, déchirant avec ses dents le chef d’une des pièces de soierie, il en détacha deux foulards et les jeta à Amandine et à François, qui n’avaient pas cessé de contempler cette étoffe avec envie.

– Voilà pour vous, gamins! Cette bouchée-là vous mettra en goût de grinchir. L’appétit vient en mangeant. Maintenant allez vous coucher… j’ai à jaser avec la mère; on vous portera à souper là-haut.

Les deux enfants battirent joyeusement des mains et agitèrent triomphalement les foulards volés qu’on venait de leur donner.

– Eh bien! petits bêtas, dit Calebasse, écouterez-vous encore Martial? Est-ce qu’il vous a jamais donné des beaux foulards comme ça, lui?

François et Amandine se regardèrent, puis ils baissèrent la tête sans répondre.

– Parlez donc, reprit durement Calebasse; est-ce qu’il vous a jamais fait des cadeaux, Martial?

– Dame!… non… il ne nous en a jamais fait, dit François en regardant son mouchoir de soie rouge avec bonheur.

Amandine ajouta bien bas:

– Notre frère Martial ne nous fait pas de cadeaux… parce qu’il n’a pas de quoi…

– S’il volait, il aurait de quoi, dit durement Nicolas; n’est-ce pas, François?

– Oui, mon frère, répondit François. Puis il ajouta: Oh le beau foulard!… Quelle jolie cravate pour le dimanche!

– Et moi, quelle belle marmotte! reprit Amandine.

– Sans compter que les enfants du chaufournier du four à plâtre rageront joliment en vous voyant passer, dit Calebasse; et elle examina les traits des enfants pour voir s’ils comprendraient la méchante portée de ces paroles. L’abominable créature appelait la vanité à son aide pour étouffer les derniers scrupules de ces malheureux. – Les enfants du chaufournier, reprit-elle, auront l’air de mendiants, ils en crèveront de jalousie; car vous autres, avec vos beaux mouchoirs de soie, vous aurez l’air de petits bourgeois!

– Tiens! c’est vrai, reprit François; alors je suis bien plus content de ma belle cravate, puisque les petits chaufourniers rageront de ne pas en avoir une pareille… N’est-ce pas, Amandine?

– Moi, je suis contente d’avoir ma belle marmotte… voilà tout.

– Aussi, toi, tu ne seras jamais qu’une colasse! dit dédaigneusement Calebasse.

Puis, prenant sur la table du pain et un morceau de fromage, elle les donna aux enfants et leur dit:

– Montez vous coucher… Voilà une lanterne, prenez garde au feu, et éteignez-la avant de vous endormir.

– Ah çà! ajouta Nicolas, rappelez-vous bien que si vous avez le malheur de parler à Martial de la caisse, des saumons de cuivre et des hardes, vous aurez une danse que le feu y prendra; sans compter que je vous retirerai les foulards.

Après le départ des enfants, Nicolas et sa sœur enfouirent les hardes, la caisse d’étoffes et les saumons de cuivre au fond d’un petit caveau surbaissé de quelques marches, qui s’ouvrait dans la cuisine, non loin de la cheminée.

– Ah çà! la mère… à boire et du chenu!… s’écria le bandit; du cacheté, de l’eau-de-vie!… J’ai bien gagné ma journée… Sers le souper, Calebasse; Martial rongera nos os, c’est bon pour lui… Jasons maintenant du bourgeois du quai de Billy, car demain ou après-demain il faut que ça chauffe, si je veux empocher l’argent qu’il a promis… Je vas te conter ça, la mère… Mais à boire, tonnerre!!! à boire… C’est moi qui régale!

Et Nicolas fit de nouveau bruire les pièces de cent sous qu’il avait dans sa poche; puis, jetant au loin sa peau de bouc, son bonnet de laine noire, il s’assit à table devant un énorme plat de ragoût de mouton, un morceau de veau froid et une salade.

Lorsque Calebasse eut apporté du vin et de l’eau-de-vie, la veuve, toujours impassible et sombre, s’assit d’un côté de la table, ayant Nicolas à sa droite, sa fille à sa gauche; en face d’elle étaient les places inoccupées de Martial et des deux enfants.

Le bandit tira de sa poche un large et long couteau catalan à manche de corne, à lame aiguë. Contemplant cette arme meurtrière avec une sorte de satisfaction féroce, il dit à la veuve:

– Coupe-sifflet tranche toujours bien!… Passez-moi le pain, la mère!…

– À propos de couteau, dit Calebasse, François s’est aperçu de la chose dans le bûcher.

– De quoi? dit Nicolas sans la comprendre.

– Il a vu un des pieds…

– De l’homme? s’écria, Nicolas.

– Oui, dit la veuve en mettant une tranche de viande dans l’assiette de son fils.

– C’est drôle!… La fosse était pourtant bien profonde, dit le brigand, mais depuis le temps… la terre aura tassé…

– Il faudra cette nuit jeter tout à la rivière, dit la veuve.

– C’est plus sûr, répondit Nicolas.

– On y attachera un pavé avec un brin de vieille chaîne de bateau, dit Calebasse.

– Pas si bête!… répondit Nicolas en se versant à boire; puis, s’adressant à la veuve, tenant la bouteille haute: Voyons, trinquez avec nous, ça vous égaiera, la mère!

La veuve secoua la tête, recula son verre et dit à son fils:

– Et l’homme du quai de Billy?

– Voilà la chose…, dit Nicolas, sans s’interrompre de manger et de boire. En arrivant à la gare, j’ai attaché mon bachot et j’ai monté au quai; sept heures sonnaient à la boulangerie militaire de Chaillot, on ne s’y voyait pas à quatre pas. Je me promenais le long du parapet depuis un quart d’heure, lorsque j’entends marcher doucement derrière moi; je ralentis; un homme embaluchonné dans un manteau s’approche de moi en toussant; je m’arrête, il s’arrête… Tout ce que je sais de sa figure, c’est que son manteau lui cachait le nez, et son chapeau les yeux.

(Nous rappellerons au lecteur que ce personnage mystérieux était Jacques Ferrand le notaire, qui, voulant se défaire de Fleur-de-Marie, avait, le matin même, dépêché Mme Séraphin chez les Martial, dont il espérait faire les instruments de son nouveau crime.)

«- Bradamanti, me dit le bourgeois, reprit Nicolas; c’était le mot de passe convenu avec la vieille pour me reconnaître avec le particulier.

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