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Ainsi, pour celui qui (chose aussi rare que belle) se conserve pur malgré de détestables exemples, aucun appui, aucun encouragement.

Ainsi, pour celui qui, plongé en naissant dans un foyer de dépravation domestique, est vicié tout jeune encore, aucun espoir de guérison!

«Si! si! moi je le guérirai, cet orphelin que j’ai fait, répond la société, mais en temps et lieu… mais à ma mode… mais plus tard.

«Pour extirper la verrue, pour inciser l’apostème… il faut qu’ils soient à point.»

Un criminel demande à être attendu…

«Prisons et galères, voilà mes hôpitaux… Dans les cas incurables, j’ai le couperet.

«Quant à la cure de mon orphelin, j’y songerai, vous dis-je; mais patience, laissons mûrir le germe de corruption héréditaire qui couve en lui, laissons-le grandir, laissons-le étendre profondément ses ravages.

«Patience donc, patience. Lorsque notre homme sera pourri jusqu’au cœur, lorsqu’il suintera le crime par tous les pores, lorsqu’un bon vol ou un bon meurtre l’auront jeté sur le banc d’infamie où s’est assis son père, oh! alors nous guérirons l’héritier du mal… comme nous avons guéri le donateur.

«Au bagne ou sur l’échafaud, le fils trouvera la place paternelle encore toute chaude…»

Oui, dans ce cas, la société raisonne ainsi.

Et elle s’étonne, et elle s’indigne, et elle s’épouvante de voir des traditions de vol et de meurtre fatalement perpétuées de génération en génération.

Le sombre tableau qui va suivre, les pirates d’eau douce, a pour but de montrer ce que peut être dans une famille l’hérédité du mal, lorsque la société ne vient pas, soit légalement, soit officieusement, préserver les malheureux orphelins de la loi des terribles conséquences de l’arrêt fulminé contre leur père.

Le lecteur nous excusera de faire précéder ce nouvel épisode d’une sorte d’introduction.

Voici pourquoi nous agissons ainsi:

À mesure que nous avançons dans cette publication, son but moral est attaqué avec tant d’acharnement, et, selon nous, avec tant d’injustice, qu’on nous permettra d’insister sur la pensée sérieuse, honnête, qui, jusqu’à présent, nous a soutenu, guidé.

Plusieurs esprits graves, délicats, élevés, ayant bien voulu nous encourager dans nos tentatives et nous faire parvenir des témoignages flatteurs de leur adhésion, nous devons peut-être à ces amis connus et inconnus de répondre une dernière fois à des récriminations aveugles, obstinées, qui ont retenti, nous dit-on, jusqu’au sein de l’assemblée législative.

Proclamer l’odieuse immoralité de notre œuvre, c’est proclamer implicitement, ce nous semble, les tendances odieusement immorales des personnes qui nous honorent de leurs vives sympathies.

C’est donc au nom de ces sympathies autant qu’au nôtre que nous tenterons de prouver par un exemple, choisi parmi plusieurs, que cet ouvrage n’est pas complètement dépourvu d’idées généreuses et pratiques.

L’an passé, dans l’une des premières parties de ce livre nous avons donné l’aperçu d’une ferme modèle, fondée par Rodolphe pour encourager, enseigner et rémunérer les cultivateurs pauvres, probes et laborieux.

À ce propos, nous ajoutions:

«Les honnêtes gens malheureux méritent au moins autant d’intérêt que les criminels; pourtant il y a de nombreuses sociétés destinées au patronage des jeunes détenus ou libérés, mais aucune société n’est fondée dans le but de secourir les jeunes gens pauvres dont la conduite aurait toujours été exemplaire. De sorte qu’il faut nécessairement avoir commis un délit… pour être apte à jouir du bénéfice de ces institutions, d’ailleurs si méritantes et si salutaires.»

Et nous faisions dire à un paysan de la ferme de Bouqueval:

«Il est humain et charitable de ne jamais désespérer des méchants; mais il faudrait aussi faire espérer les bons. Un honnête garçon, robuste et laborieux, ayant envie de bien faire, de bien apprendre, se présenterait à cette ferme de jeunes ex-voleurs, qu’on lui dirait: – Mon gars, as-tu un brin volé et vagabondé? – Non. – Eh bien! il n’y a point de place ici pour toi.».

Cette discordance avait aussi frappé des esprits meilleurs que le nôtre. Grâce à eux, ce que nous regardions comme une utopie vient d’être réalisé.

Sous la présidence d’un des hommes les plus éminents, les plus honorables de ce temps-ci, M. le comte Portalis, et sous l’intelligente direction d’un véritable philanthrope au cœur généreux, à l’esprit pratique et éclairé, M. Allier, une société vient d’être fondée dans le but de venir au secours des jeunes gens pauvres et honnêtes du département de la Seine, et de les employer dans les colonies agricoles.

Ce seul et simple rapprochement suffit pour constater la pensée morale de notre œuvre.

Nous sommes très-fier, très-heureux de nous être rencontré dans un même milieu d’idées, de vœux et d’espérance avec les fondateurs de cette nouvelle œuvre et patronage; car nous sommes un des propagateurs les plus obscurs, mais les plus convaincus, de ces deux grandes vérités: qu’il est du devoir de la société de prévenir le mal et d’encourager, de récompenser le bien autant qu’il est en elle.

Puisque nous avons parlé de cette nouvelle œuvre de charité, dont la pensée juste et morale doit avoir une action salutaire et féconde, espérons que ses fondateurs songeront peut-être à combler une autre lacune, en étendant plus tard leur tutélaire patronage ou du moins leur sollicitude officieuse sur les jeunes enfants dont le père aurait été supplicié ou condamné à une peine infamante entraînant la mort civile, et qui, nous le répétons, sont rendus orphelins par le fait de l’application de la loi.

Ceux de ces malheureux enfants qui seraient déjà dignes d’intérêt par leurs saines tendances et par leur misère mériteraient encore une attention particulière, en raison même de leur position exceptionnelle, pénible, difficile, dangereuse.

Oui, pénible, difficile, dangereuse.

Disons-le encore: presque toujours victime de cruelles répulsions, souvent la famille d’un condamné, demandant en vain du travail, se voit, pour échapper à la réprobation générale, contrainte d’abandonner les lieux où elle trouvait des moyens d’existence.

Alors, aigris, irrités par l’injustice, déjà flétris à l’égal des criminels pour des fautes dont ils sont innocents… quelquefois à bout de ressources honorables, les infortunés ne seront-ils pas bien près de faillir, s’ils sont restés probes?

Ont-ils, au contraire, déjà subi une influence presque inévitablement corruptrice, ne doit-on pas tenter de les sauver, lorsqu’il en est temps encore?

La présence de ces orphelins de la loi au milieu des autres enfants recueillis par la société dont nous parlons serait d’ailleurs pour tous d’un utile enseignement… Elle montrerait que, si le coupable est inexorablement puni, les siens ne perdent rien, gagnent même dans l’estime du monde, si, à force de courage, de vertus, ils parviennent à réhabiliter un nom déshonoré.

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