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– Je vous remercie, monsieur Rodolphe, vous pouvez être tranquille, je garderai votre secret…

Et Rigolette continua de lire la lettre de Germain.

«Si vous voulez, mademoiselle, jeter un coup d’œil sur ces notes, vous verrez que j’ai été toute ma vie bien malheureux… excepté pendant le temps que j’ai passé auprès de vous… Ce que je n’aurais jamais osé vous dire, vous le trouverez écrit dans une espèce de memento intitulé: Mes seuls jours de bonheur.

«Presque chaque soir, en vous quittant, j’épanchais ainsi les consolantes pensées que votre affection m’inspirait, et qui seules adoucissaient l’amertume de ma vie. Ce qui était amitié chez vous était de l’amour chez moi. Je vous ai caché que je vous aimais ainsi jusqu’à ce moment où je ne suis plus pour vous qu’un triste souvenir. Ma destinée était si malheureuse que je ne vous aurais jamais parlé de ce sentiment; quoique sincère et profond, il vous eût porté malheur.

«Il me reste un dernier vœu à former, et j’espère que vous voudrez bien l’accomplir.

«J’ai vu avec quel courage admirable vous travaillez, et combien il vous fallait d’ordre, de sagesse, pour vivre du modique salaire que vous gagnez si péniblement; souvent, sans vous le dire, j’ai tremblé en pensant qu’une maladie, causée peut-être par l’excès du labeur, pouvait vous réduire à une position si affreuse que je ne pouvais l’envisager sans frémir. Il m’est bien doux de penser que je pourrai du moins vous épargner en grande partie les tourments et peut-être… les misères que votre insouciante jeunesse ne prévoit pas, heureusement.»

– Que veut-il dire, monsieur Rodolphe? dit Rigolette étonnée.

– Continuez… nous allons voir.

Rigolette reprit:

«Je sais de combien peu vous vivez et de quelle ressource vous serait, en des temps difficiles, la plus modique somme; je suis bien pauvre, mais à force d’économie, j’ai mis de côté quinze cents francs, placés chez un banquier; c’est tout ce que je possède. Par mon testament, que vous trouverez ici, je me permets de vous les léguer; acceptez cela d’un ami, d’un bon frère… qui n’est plus.»

– Ah! monsieur Rodolphe! dit Rigolette en fondant en larmes et donnant la lettre au prince, cela me fait trop de mal. Bon Germain, s’occuper ainsi de mon avenir! Ah! quel cœur, mon Dieu! Quel cœur excellent!

– Digne et brave jeune homme! reprit Rodolphe avec émotion. Mais calmez-vous, mon enfant; Dieu merci, Germain n’est pas mort; ce testament anticipé aura du moins servi à vous apprendre combien il vous aimait… combien il vous aime.

– Et dire, monsieur Rodolphe, reprit Rigolette en essuyant ses larmes, que je ne m’en étais jamais doutée! Dans les commencements de notre voisinage, M. Giraudeau et M. Cabrion me parlaient toujours de leur passion enflammée, comme ils disaient; mais, voyant que cela ne les menait à rien, ils s’étaient déshabitués de me dire de ces choses-là; Germain, au contraire, ne m’avait jamais parlé d’amour. Quand je lui ai proposé d’être bons amis, il a franchement accepté, et depuis nous avons vécu en vrais camarades. Mais, tenez… je puis bien vous avouer cela maintenant, monsieur Rodolphe, certainement; je n’étais pas fâchée que Germain ne m’eût pas dit, comme les autres, qu’il m’aimait d’amour.

– Mais enfin vous en étiez… étonnée?

– Oui, monsieur Rodolphe, je pensais que c’était sa tristesse… qui le rendait ainsi.

– Et vous lui en vouliez un peu… de cette tristesse?

– C’était son seul défaut, dit naïvement la grisette; mais maintenant je l’excuse… je m’en veux de la lui avoir reprochée.

– D’abord parce que vous savez qu’il avait malheureusement beaucoup de sujets de chagrin, et puis… peut-être parce que vous voilà certaine que, malgré cette tristesse… il vous aimait d’amour? ajouta Rodolphe en souriant.

– C’est vrai… être aimée d’un si brave jeune homme, ça flatte le cœur… n’est-ce pas, monsieur Rodolphe?

– Et un jour peut-être vous partagerez cet amour.

– Dame! monsieur Rodolphe, c’est bien tentant; ce pauvre Germain est si à plaindre! Je me mets à sa place… si, au moment où je me croyais abandonnée, méprisée de tout le monde, une personne, bien amie, venait à moi encore plus tendre que je ne l’espérais, je serais si heureuse. Après un moment de silence, Rigolette reprit avec un soupir: D’un autre côté… nous sommes si pauvres tous les deux que ça ne serait peut-être pas raisonnable. Tenez, monsieur Rodolphe, je ne veux pas penser à cela, je me trompe peut-être; ce qu’il y a de sûr, c’est que je ferai pour Germain tout ce que je pourrai tant qu’il restera en prison. Une fois libre, il sera toujours temps de voir si c’est de l’amour ou de l’amitié que j’aurai pour lui; alors, si c’est de l’amour… que voulez-vous, mon voisin… ça sera de l’amour… Jusque-là ça me gênerait de savoir à quoi m’en tenir. Mais il se fait tard, monsieur Rodolphe; voulez-vous rassembler ces papiers pendant que je vais faire un paquet de linge? Ah! j’oubliais le sachet renfermant la petite cravate orange que je lui ai donnée. Il est dans ce tiroir, sans doute. Oui, le voilà. Oh! voyez donc comme il est joli, ce sachet, et tout brodé! Pauvre Germain, il l’a gardée comme une relique, cette petite cravate! Je me rappelle bien la dernière fois où je l’ai mise, et quand je la lui ai donnée… Il a été si content, si content!…

À ce moment on frappa à la porte de la chambre.

– Qui est là? demanda Rodolphe.

– On voudrait parler à m’ame Mathieu, répondit une voix grêle et enrouée, avec l’accent qui distingue la plus basse populace. (Mme Mathieu était la courtière en diamants dont nous avons parlé.)

Cette voix, singulièrement accentuée, éveilla quelques vagues souvenirs dans la pensée de Rodolphe. Voulant les éclaircir, il prit la lumière et alla lui-même ouvrir la porte. Il se trouva face à face avec un des habitués du tapis-franc de l’ogresse, qu’il reconnut sur-le-champ, tant l’empreinte du vice était fatalement, profondément marquée sur cette physionomie imberbe et juvénile: c’était Barbillon.

Barbillon, le faux cocher de fiacre qui avait conduit le Maître d’école et la Chouette au chemin creux de Bouqueval; Barbillon, l’assassin du mari de cette malheureuse laitière qui avait ameuté contre la Goualeuse les laboureurs de la ferme d’Arnouville.

Soit que ce misérable eût oublié les traits de Rodolphe, qu’il n’avait vu qu’une fois au tapis-franc de l’ogresse, soit que le changement de costume l’empêchât de reconnaître le vainqueur du Chourineur, il ne manifesta aucun étonnement à son aspect.

– Que voulez-vous? lui dit Rodolphe.

– C’est une lettre pour m’ame Mathieu… Faut que je lui remette à elle-même, répondit Barbillon.

– Ce n’est pas ici qu’elle demeure; voyez en face, dit Rodolphe.

– Merci, bourgeois; on m’avait dit la porte à gauche, je me suis trompé.

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