Est-il besoin de dire que, dans le cas où la santé de la jeune fille se fût le moins du monde altérée par le surcroît de travail qu’elle s’imposait vaillamment pour consacrer quelques heures chaque semaine à la fille du lapidaire et au fils du Maître d’école, Rodolphe fût à l’instant venu au secours de sa protégée?
Il étudiait avec autant de bonheur que d’émotion ce caractère si naturellement heureux et si peu habitué au chagrin que çà et là un éclair de gaieté venait l’illuminer encore.
Au bout d’une heure environ, le fiacre, de retour de la rue Saint-Honoré, s’arrêta boulevard Saint-Denis, n° 11, devant une maison de modeste apparence.
Rodolphe aida Rigolette à descendre; celle-ci entra chez le portier et lui communiqua les intentions de Germain, sans oublier la gratification promise. Grâce à l’aménité de son caractère, le fils du Maître d’école était partout aimé. Le confrère de M. Pipelet fut consterné d’apprendre que la maison perdait un locataire si honnête et si tranquille… Telles furent ses expressions.
La grisette, munie d’une lumière, rejoignit son compagnon, le portier ne devant monter que quelque temps après pour recevoir ses dernières instructions.
La chambre de Germain était située au quatrième étage. En arrivant devant la porte, Rigolette dit à Rodolphe, en lui donnant la clef:
– Tenez, mon voisin… ouvrez; la main me tremble trop… Vous allez vous moquer de moi; mais, en pensant que ce pauvre Germain ne reviendra plus jamais ici… il me semble que je vais entrer dans la chambre d’un mort…
– Soyez donc raisonnable, ma voisine, n’ayez pas de ces idées-là!
– J’ai tort, mais c’est plus fort que moi… Et elle essuya une larme.
Sans être aussi ému que sa compagne, Rodolphe éprouvait néanmoins une impression pénible en pénétrant dans ce modeste réduit.
Sachant de quelles détestables obsessions les complices du Maître d’école avaient poursuivi et poursuivaient peut-être encore Germain, il pressentait que cet infortuné avait dû passer de bien tristes heures dans cette solitude.
Rigolette posa la lumière sur une table.
Rien de plus simple que l’ameublement de cette chambre de garçon, composé d’une couchette, d’une commode, d’un secrétaire de noyer, de quatre chaises de paille et d’une table; des rideaux de coton blanc drapaient les fenêtres et l’alcôve; pour tout ornement on voyait sur la cheminée une carafe et un verre.
À l’affaissement du lit, qui n’était pas défait, on s’apercevait que Germain avait dû s’y jeter quelques instants tout habillé pendant la nuit qui avait précédé son arrestation.
– Pauvre garçon! dit tristement Rigolette en examinant avec intérêt l’intérieur de la chambre, on voit bien qu’il ne m’a plus pour sa voisine… C’est rangé, mais ça n’est pas soigné; il y a de la poussière partout, les rideaux sont enfumés, les vitres sont ternes, le carreau n’est pas ciré… Ah! quelle différence! Rue du Temple, ça n’était pas plus beau, mais c’était plus gai, parce que tout brillait de propreté, comme chez moi…
– C’est qu’aussi vous étiez là pour donner vos avis.
– Mais voyez donc! s’écria Rigolette en montrant le lit, il ne s’est pas couché l’autre nuit, tant il était inquiet! Tenez, ce mouchoir qu’il a laissé là, il a été tout trempé de larmes. Ça se voit bien… Et elle le prit en ajoutant: Germain a gardé une petite cravate de soie orange que je lui ai donnée quand nous étions heureux; moi, je garderai ce mouchoir en souvenir de ses malheurs; je suis sûr qu’il ne s’en fâchera pas…
– Au contraire, il sera très-heureux de ce témoignage de votre affection.
– Maintenant songeons aux choses sérieuses: je ferai tout à l’heure un paquet du linge que je trouverai dans la commode, afin de le lui porter en prison; la mère Bouvard, que j’enverrai ici demain, s’arrangera du reste… Je vais d’abord ouvrir le secrétaire pour y prendre les papiers et l’argent que Germain me prie de lui garder.
– Mais j’y songe, dit Rodolphe, Louise Morel m’a remis hier les treize cents francs en or que Germain lui avait donnés pour acquitter la dette du lapidaire, que j’avais déjà payée; j’ai cet argent: il appartient à Germain, puisqu’il a remboursé le notaire; je vais vous le remettre, vous le joindrez à celui dont vous allez être dépositaire.
– Comme vous voudrez, monsieur Rodolphe; pourtant, j’aimerais presque autant ne pas avoir chez moi une si grosse somme; il y a tant de voleurs maintenant!… Des papiers, à la bonne heure… on n’a rien à craindre, mais de l’argent… c’est dangereux…
– Vous avez peut-être raison, ma voisine; voulez-vous que je me charge de cette somme? Si Germain a besoin de quelque chose, vous me le ferez savoir tout de suite; je vous laisserai mon adresse et je vous enverrai ce qu’il vous demandera.
– Tenez, mon voisin, je n’aurais pas osé vous prier de nous rendre ce service; cela vaut bien mieux; je vous remettrai aussi ce qui proviendra de la vente des effets. Voyons donc ces papiers, dit la jeune fille en ouvrant le secrétaire et plusieurs tiroirs. Ah! c’est probablement cela. Voici une grosse enveloppe. Ah! mon Dieu! voyez donc, monsieur Rodolphe, comme c’est triste ce qu’il y a d’écrit dessus.
Et elle lut d’une voix émue:
«Dans le cas où je mourrais de mort violente ou autrement, je prie la personne qui ouvrira ce secrétaire de porter ces papiers chez Mlle Rigolette, couturière, rue du Temple, n° 17.»
– Est-ce que je puis décacheter cette enveloppe, monsieur Rodolphe?
– Sans doute; Germain ne vous annonce-t-il pas qu’il y a parmi les papiers qu’elle contient une lettre qui vous est particulièrement adressée?
La jeune fille rompit le cachet; plusieurs écrits s’y trouvaient renfermés; l’un d’eux portant cette suscription: À Mademoiselle Rigolette, contenait ces mots:
«Mademoiselle, lorsque vous lirez cette lettre, je n’existerai plus… Si, comme je le crains, je meurs de mort violente en tombant dans un guet-apens semblable à celui auquel j’ai dernièrement échappé, quelques renseignements joints ici sous le titre de: Notes sur ma vie, pourront mettre sur la trace de mes assassins.»
– Ah! monsieur Rodolphe, dit Rigolette en s’interrompant, je ne m’étonne plus maintenant de ce qu’il était si triste! Pauvre Germain! Toujours poursuivi de pareilles idées!
– Oui, il a dû être bien affligé; mais ses plus mauvais jours sont passés… croyez-moi.
– Hélas! je le désire, monsieur Rodolphe; mais pourtant, être en prison… accusé de vol…
– Soyez tranquille: une fois son innocence reconnue, au lieu de retomber dans l’isolement il retrouvera des amis. Vous d’abord, puis une mère bien-aimée, dont il a été séparé depuis son enfance.
– Sa mère! Il a encore sa mère?
– Oui… Elle le croyait perdu pour elle. Jugez de sa joie lorsqu’elle le reverra, mais absous de l’indigne accusation portée contre lui! J’avais donc raison de vous dire que ses plus mauvais jours étaient passés. Ne lui parlez pas de sa mère. Je vous confie ce secret parce que vous vous intéressez si généreusement à Germain qu’il faut au moins qu’à votre dévouement ne se joignent pas de trop cruelles inquiétudes sur son sort à venir.