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– Ose donc répéter que nous sommes des lâches!»

– Vous? Non, non, c’est cette pauvre femme dont vous avez déchiré les vêtements, que vous avez battue, traînée dans la boue: c’est elle qui est lâche… Ne voyez-vous pas comme elle pleure, comme elle tremble en vous regardant? Encore une fois, c’est elle qui est lâche, puisqu’elle a peur de vous!

L’instinct de Fleur-de-Marie la servait parfaitement. Elle eût invoqué la justice, le devoir, pour désarmer l’acharnement stupide et brutal des prisonnières contre Mont-Saint-Jean, qu’elle n’eût pas été écoutée. Elle les émut en s’adressant à ce sentiment de générosité naturelle qui jamais ne s’éteint tout à fait, même dans les masses les plus corrompues.

La Louve et ses compagnes murmurèrent encore, mais elles se sentaient, elles s’avouaient lâches.

Fleur-de-Marie ne voulut pas abuser de ce premier triomphe et continua:

– Votre souffre-douleur ne mérite pas de pitié, dites-vous; mais, mon Dieu! son enfant en mérite, lui! Ne ressent-il pas les coups que vous donnez à sa mère? Quand elle vous crie «grâce!» ce n’est pas pour elle… c’est pour son enfant! Quand elle vous demande un peu de votre pain, si vous en avez de trop, parce qu’elle a plus faim que d’habitude, ce n’est pas pour elle… c’est pour son enfant!… Quand elle vous supplie, les larmes aux yeux, d’épargner ses haillons qu’elle a eu tant de peine à rassembler, ce n’est pas pour elle… c’est pour son enfant! Ce pauvre petit bonnet de pièces et de morceaux doublé de toile à matelas, dont vous vous moquez tant, est bien risible… peut-être; pourtant, à moi, rien qu’à le voir, il me donne envie de pleurer, je vous l’avoue… Moquez-vous de moi et de Mont-Saint-Jean, si vous voulez.

Les détenues ne rirent pas.

La Louve regarda même tristement ce petit bonnet qu’elle tenait encore à la main.

– Mon Dieu! reprit Fleur-de-Marie en essuyant ses yeux du revers de sa main blanche et délicate, je sais que vous n’êtes pas méchantes… Vous tourmentez Mont-Saint-Jean par désœuvrement, non par cruauté. Mais vous oubliez qu’ils sont deux… elle et son enfant. Elle le tiendrait entre ses bras qu’il la protégerait contre vous… Non-seulement vous ne la battriez pas, de peur de faire du mal à ce pauvre innocent, mais s’il avait froid, vous donneriez à sa mère tout ce que vous pourriez pour le couvrir, n’est-ce pas, la Louve?

– C’est vrai… un enfant, qui est-ce qui n’en aurait pas pitié?…

– C’est tout simple, ça…

– S’il avait faim, vous vous ôteriez le pain de la bouche pour lui, n’est-ce pas, la Louve?

– Oui, et de bon cœur… je ne suis pas plus méchante qu’une autre.

– Ni nous non plus…

– Un pauvre petit innocent!

– Qu’est-ce qui aurait le cœur de vouloir lui faire mal?

– Faudrait être des monstres!

– Des sans-cœur!

– Des bêtes sauvages!

– Je vous le disais bien, reprit Fleur-de-Marie, que vous n’étiez pas méchantes; vous êtes bonnes, votre tort c’est de ne pas réfléchir que Mont-Saint-Jean, au lieu d’avoir son enfant dans ses bras pour vous apitoyer… l’a dans son sein… voilà tout…

– Voilà tout! reprit la Louve avec exaltation, non, ça n’est pas tout. Vous avez raison, la Goualeuse, nous étions des lâches… et vous êtes brave d’avoir osé nous le dire, et vous êtes brave de n’avoir pas tremblé après nous l’avoir dit. Voyez-vous, nous avons beau dire et beau faire, nous débattre contre ça, que vous n’êtes pas une créature comme nous autres, faut toujours finir par en convenir… Ça me vexe, mais ça est… Tout à l’heure encore nous avons eu tort… vous étiez plus courageuse que nous…

– C’est vrai qu’il lui a fallu du courage à cette blondinette pour nous dire comme ça nos vérités en face…

– Oh! mais, c’est que ces yeux bleus tout doux, tout doux, une fois que ça s’y met…

– Ça devient des vrais petits lions.

– Pauvre Mont-Saint-Jean! Elle lui doit une fière chandelle!

– Après tout, c’est que c’est vrai, quand nous battons Mont-Saint-Jean, nous battons son enfant.

– Je n’avais pas pensé à cela.

– Ni moi non plus.

– Mais la Goualeuse, elle, pense à tout.

– Et battre un enfant… c’est affreux!

– Pas une de nous n’en serait capable.

Rien de plus mobile que les passions populaires; rien de plus brusque, de plus rapide que leurs retours du mal au bien et du bien au mal.

Quelques simples et touchantes paroles de Fleur-de-Marie avaient opéré une réaction subite en faveur de Mont-Saint-Jean, qui pleurait d’attendrissement.

Tous les cœurs étaient émus, parce que, nous l’avons dit, les sentiments qui se rattachent à la maternité sont toujours vifs et puissants chez les malheureuses dont nous parlons.

Tout à coup la Louve, violente et exaltée en toute chose, prit le petit bonnet qu’elle tenait à la main, en fit une sorte de bourse, fouilla dans sa poche, en tira vingt sous, les jeta dans le bonnet et s’écria en le présentant à ses compagnes:

– Je mets vingt sous pour acheter de quoi faire une layette au petit de Mont-Saint-Jean. Nous taillerons et nous coudrons tout nous-mêmes, afin que la façon ne lui coûte rien…

– Oui… oui…

– C’est ça!… cotisons-nous!…

– J’en suis!

– Fameuse idée!

– Pauvre femme!

– Elle est laide comme un monstre… mais elle est mère comme une autre…

– La Goualeuse avait raison, au fait, c’est à pleurer toutes les larmes de son corps que de voir cette malheureuse layette de haillons.

– Je mets dix sous.

– Moi trente.

– Moi vingt.

– Moi, quatre sous… je n’ai que ça.

– Moi, je n’ai rien… mais je vends ma ration de demain pour mettre à la masse. Qui me l’achète?

– Moi, dit la Louve, je mets dix sous pour toi… mais tu garderas ta ration, et Mont-Saint-Jean aura une layette comme une princesse.

Exprimer la surprise, la joie de Mont-Saint-Jean serait impossible; son grotesque et laid visage, inondé de larmes, devenait presque touchant. Le bonheur, la reconnaissance y rayonnaient.

Fleur-de-Marie aussi était bien heureuse, quoiqu’elle eût été obligée de dire à la Louve, quand celle-ci lui tendit le petit bonnet:

– Je n’ai pas d’argent… mais je travaillerai tant qu’on voudra…

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