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La Goualeuse, arrivant la dernière des détenues, entrait alors dans le préau.

Fleur-de-Marie portait le sarrau bleu et la cornette noire des prisonnières; mais, sous ce grossier costume, elle était encore charmante. Pourtant, depuis son enlèvement de la ferme de Bouqueval (enlèvement dont nous expliquerons plus tard l’issue), ses traits semblaient profondément altérés; sa pâleur, autrefois légèrement rosée, était mate comme la blancheur de l’albâtre; l’expression de sa physionomie avait aussi changé: elle était alors empreinte d’une sorte de dignité triste.

Fleur-de-Marie sentait qu’accepter courageusement les douloureux sacrifices de l’expiation, c’est presque atteindre à la hauteur de la réhabilitation.

– Demandez-leur donc grâce pour moi, la Goualeuse, reprit Mont-Saint-Jean, implorant la jeune fille; voyez comme elles traînent dans la cour tout ce que j’avais rassemblé avec tant de peine pour commencer la layette de mon enfant… Quel beau plaisir ça peut-il leur faire?

Fleur-de-Marie ne dit mot, mais elle se mit à ramasser activement un à un, sous les pieds des détenues, tous les chiffons qu’elle put recueillir.

Une prisonnière retenait méchamment sous son sabot une sorte de brassière de grosse toile bise; Fleur-de-Marie, toujours baissée, leva sur cette femme son regard enchanteur et lui dit de sa voix douce:

– Je vous en prie, laissez-moi reprendre cela, au nom de cette pauvre femme qui pleure…

La détenue recula son pied…

La brassière fut sauvée ainsi que presque tous les autres haillons, que la Goualeuse conquit ainsi pièce à pièce.

Il lui restait à récupérer un petit bonnet d’enfant que deux détenues se disputaient en riant. Fleur-de-Marie leur dit:

– Voyons, soyez tout à fait bonnes… rendez-lui ce petit bonnet…

– Ah! bien oui… c’est donc pour un arlequin au maillot, ce bonnet! il est fait d’un morceau d’étoffe grise, avec des pointes en futaine vertes et noires, et une doublure de toile à matelas.

Ceci était exact.

Cette description du bonnet fut accueillie avec des huées et des rires sans fin.

– Moquez-vous-en, mais rendez-le-moi, disait Mont-Saint-Jean, et surtout ne le traînez pas dans le ruisseau comme le reste… Pardon de vous avoir fait salir les mains pour moi, la Goualeuse, ajouta Mont-Saint-Jean d’une voix reconnaissante.

– À moi le bonnet d’arlequin! dit la Louve, qui s’en empara et l’agita en l’air comme un trophée.

– Je vous en supplie, donnez-le-moi, dit la Goualeuse.

– Non, c’est pour le rendre à Mont-Saint-Jean!

– Certainement.

– Ah! bah! ça en vaut bien la peine… une pareille guenille!

– C’est parce que Mont-Saint-Jean, pour habiller son enfant, n’a que des guenilles… que vous devriez avoir pitié d’elle, la Louve, dit tristement Fleur-de-Marie en étendant la main vers le bonnet.

– Vous ne l’aurez pas! reprit brutalement la Louve; ne faudrait-il pas toujours vous céder, à vous, parce que vous êtes la plus faible?… Vous abusez de cela à la fin!…

– Où serait le mérite de me céder… si j’étais la plus forte?… répondit la Goualeuse avec un demi-sourire plein de grâce.

– Non, non; vous voulez encore m’entortiller avec votre petite voix douce… Vous ne l’aurez pas.

– Voyons, la Louve, ne soyez pas méchante…

– Laissez-moi tranquille, vous m’ennuyez…

– Je vous en prie!…

– Tiens! ne m’impatiente pas… j’ai dit non, c’est non! s’écria la Louve tout à fait irritée.

– Ayez donc pitié d’elle… voyez comme elle pleure!

– Qu’est-ce que ça me fait, à moi?… tant pis pour elle! Elle est notre souffre-douleur…

– C’est vrai, c’est vrai… il ne fallait pas lui rendre ses loques, murmuraient les détenues, entraînées par l’exemple de la Louve. Tant pis pour Mont-Saint-Jean!…

– Vous avez raison, tant pis pour elle! dit Fleur-de-Marie avec amertume, elle est votre souffre-douleur… elle doit se résigner… ses gémissements vous amusent… ses larmes vous font rire… Il vous faut bien passer le temps à quelque chose! On la tuerait sur place qu’elle n’aurait rien à dire… Vous avez raison, la Louve, cela est juste!… Cette pauvre femme ne fait de mal à personne, elle ne peut pas se défendre, elle est seule contre toutes… vous l’accablez… cela est surtout bien brave et bien généreux!

– Nous sommes donc des lâches? s’écria la Louve emportée par la violence de son caractère et par son impatience de toute contradiction. Répondras-tu! Sommes-nous des lâches, hein? reprit-elle de plus en plus irritée.

Des rumeurs menaçantes pour la Goualeuse commencèrent à se faire entendre.

Les détenues offensées se rapprochèrent et l’entourèrent en vociférant, oubliant ou plutôt se révoltant contre l’ascendant que la jeune fille avait jusqu’alors pris sur elles.

– Elle nous appelle lâches!

– De quel droit vient-elle nous blâmer?

– Est-ce qu’elle est plus que nous?

– Nous avons été trop bonnes enfants avec elle.

– Et maintenant elle veut prendre des airs avec nous.

– Si ça nous plaît de faire de la misère à Mont-Saint-Jean, qu’est-ce qu’elle a à dire?

– Puisque c’est comme ça, tu seras encore plus battue qu’auparavant, entends-tu, Mont-Saint-Jean?

– Tiens, voilà pour commencer, dit l’une en lui donnant un coup de poing.

– Et si tu te mêles encore de ce qui ne te regarde pas, la Goualeuse, on te traitera de même.

– Oui!… oui!

– Ça n’est pas tout! cria la Louve; il faut que la Goualeuse nous demande pardon de nous avoir appelées lâches! C’est vrai… si on la laissait faire, elle finirait par nous manger la laine sur le dos. Nous sommes bien bêtes, aussi… de ne pas nous apercevoir de ça!

– Qu’elle nous demande pardon!

– À genoux!

– À deux genoux!

– Ou nous allons la traiter comme Mont-Saint-Jean, sa protégée.

– À genoux! à genoux!

– Ah! nous sommes des lâches!

– Répète-le donc, hein!

Fleur-de-Marie ne s’émut pas de ces cris furieux; elle laissa passer la tourmente; puis, lorsqu’elle put se faire entendre, promenant sur les prisonnières son beau regard calme et mélancolique, elle répondit à la Louve, qui vociférait de nouveau:

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