Литмир - Электронная Библиотека

– Bah!… il dort… Depuis ce matin il ne cogne plus… et son chien est muet.

– Peut-être qu’il l’a étranglé pour le manger. Depuis deux jours ils doivent tous deux enrager la faim et la soif là-dedans.

– Ça les regarde… Martial peut durer encore longtemps comme ça, si ça l’amuse. Quand il sera fini… on dira qu’il est mort de maladie; ça ne fera pas un pli.

– Tu crois?

– Bien sûr. En allant ce matin à Asnières, la mère a rencontré le père Férot, le pêcheur, comme il s’étonnait de ne pas avoir vu son ami Martial depuis deux jours, la mère lui a dit que Martial ne quittait pas son lit, tant il était malade, et qu’on désespérait de lui. Le père Férot a avalé ça doux comme miel… il le redira à d’autres… et quand la chose arrivera… elle paraîtra toute simple.

– Oui, mais il ne mourra pas encore tout de suite; c’est long de cette manière-là.

– Qu’est-ce que tu veux? il n’y avait pas moyen d’en venir à bout autrement. Cet enragé de Martial, quand il s’y met, est méchant en diable, et fort comme un taureau, par là-dessus; il se défiait, nous n’aurions pas pu l’approcher sans danger; tandis que sa porte une fois bien clouée en dehors, qu’est-ce qu’il pouvait faire? Sa fenêtre était grillée.

– Tiens… il pouvait desceller les barreaux… en creusant le plâtre avec son couteau, ce qu’il aurait fait si, montée à l’échelle, je ne lui avais pas déchiqueté les mains à coups de hachette toutes les fois qu’il voulait commencer son ouvrage.

– Quelle faction! dit le brigand en ricanant; c’est toi qui as dû t’amuser!

– Il fallait bien te donner le temps d’arriver avec la tôle que tu avais été chercher chez le père Micou.

– Devait-il écumer… cher frère!

– Il grinçait des dents comme un possédé; deux ou trois fois il a voulu me repousser à travers les barreaux à grands coups de bâton; mais alors, n’ayant plus qu’une main de libre, il ne pouvait pas travailler et desceller la grille. C’est ce qu’il fallait.

– Heureusement qu’il n’y a pas de cheminée dans sa chambre!

– Et que la porte est solide et qu’il a les mains abîmées! sans ça, il serait capable de trouer le plancher.

– Et les poutres, il passerait donc à travers? Non, non, va, il n’y a pas de danger qu’il s’échappe; les volets sont garnis de tôle et assurés par deux barres de fer; la porte… clouée en dehors avec des clous à bateau de trois pouces. Sa bière est plus solide que si elle était en chêne et en plomb.

– Dis donc, et quand, en sortant de prison, la Louve viendra ici pour chercher son homme… comme elle l’appelle?

– Eh bien! on lui dira: «Cherche.»

– À propos, sais-tu que si ma mère n’avait pas enfermé ces gueux d’enfants, ils auraient été capables de ronger la porte comme des rats pour délivrer Martial? Ce petit gredin de François est un vrai démon depuis qu’il se doute que nous avons emballé le grand frère.

– Ah çà! mais est-ce qu’on va les laisser dans la chambre d’en haut pendant que nous allons quitter l’île? Leur fenêtre n’est pas grillée; ils n’ont qu’à descendre en dehors…

À ce moment, des cris et des sanglots, partant de la maison, attirèrent l’attention de Calebasse et de Nicolas.

Ils virent la porte du rez-de-chaussée, jusqu’alors ouverte, se fermer violemment, une minute après, la figure pâle et sinistre de la mère Martial apparut à travers les barreaux de la fenêtre de la cuisine.

De son long bras décharné, la veuve du supplicié fit signe à ses enfants de venir à elle.

– Allons, il y a du grabuge; je parie que c’est encore François qui se rebiffe, dit Nicolas. Gredin de Martial! Sans lui, ce gamin-là aurait été tout seul. Veille toujours bien: et si tu vois les deux femelles, appelle-moi.

Pendant que Calebasse, remontée sur son banc, épiait au loin la venue de Mme Séraphin et de la Goualeuse, Nicolas entra dans la maison.

La petite Amandine, agenouillée au milieu de la cuisine, sanglotait et demandait grâce pour son frère François.

Irrité, menaçant, celui-ci, acculé dans un des angles de cette pièce, brandissait la hachette de Nicolas et semblait décidé à apporter cette fois une résistance désespérée aux volontés de sa mère.

Toujours impassible, toujours silencieuse, montrant à Nicolas l’entrée du caveau qui s’ouvrait dans la cuisine et dont la porte était entrebâillée, la veuve fit signe à son fils d’y enfermer François.

– On ne m’enfermera pas là-dedans! s’écria l’enfant déterminé dont les yeux brillaient comme ceux d’un jeune chat sauvage. Vous voulez nous y laisser mourir de faim avec Amandine, comme notre frère Martial.

– Maman… pour l’amour de Dieu, laissez-nous en haut dans notre chambre, comme hier, demanda la petite fille d’un ton suppliant, en joignant les mains… dans le caveau noir, nous aurons trop peur.

La veuve regarda Nicolas d’un air impatient, comme pour lui reprocher de n’avoir pas encore exécuté ses ordres, puis, d’un nouveau geste impérieux, lui désigna François.

Voyant son frère s’avancer vers lui, le jeune garçon brandit sa hachette d’un air désespéré et s’écria:

– Si on veut m’enfermer là, que ce soit ma mère, mon frère ou Calebasse, tant pis… je frappe, et la hache coupe.

Ainsi que la veuve, Nicolas sentait l’imminente nécessité d’empêcher les deux enfants d’aller au secours de Martial pendant que la maison resterait seule, et aussi de leur dérober la connaissance des scènes qui allaient se passer, car de leur fenêtre on découvrait la rivière, où l’on voulait noyer Fleur-de-Marie.

Mais Nicolas, aussi féroce que lâche, et se souciant peu de recevoir un coup de la dangereuse hachette dont son jeune frère était armé, hésitait à s’approcher de lui.

La veuve, courroucée de l’hésitation de son fils aîné, le poussa rudement par l’épaule au-devant de François.

Mais Nicolas, reculant de nouveau, s’écria:

– Quand il m’aura blessé, qu’est-ce que je ferai, la mère? Vous savez bien que je vais avoir besoin de mes bras tout à l’heure, et je me ressens encore du coup que ce gueux de Martial m’a donné.

La veuve haussa les épaules avec mépris et fit un pas vers François.

– N’approchez pas, ma mère, s’écria François furieux, ou vous allez me payer tous les coups que vous nous avez donnés à nous deux Amandine.

– Mon frère, laisse-toi plutôt renfermer. Oh! mon Dieu, ne frappe pas notre mère! s’écria Amandine épouvantée.

Tout à coup Nicolas vit sur une chaise une grande couverture de laine dont on s’était servi pour le repassage; il la saisit, la déploya à moitié et la lança adroitement sur la tête de François, qui, malgré ses efforts, se trouvant engagé sous ses plis épais, ne put faire usage de son arme.

103
{"b":"125189","o":1}