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– Mais Madame?

– C’est plus difficile; un mot ne suffira pas; je composerai une homélie, je la prêcherai.

– Cela presse.

– Oh! j’y mettrai toute la diligence possible. Nous avons répétition de ballet cette après-dînée.

– Vous prêcherez en dansant?

– Oui, madame.

– Vous promettez de convertir?

– J’extirperai l’hérésie par la conviction ou par le feu.

– À la bonne heure! Ne me mêlez point dans tout cela, Madame ne me le pardonnerait de sa vie; et, belle-mère, je dois vivre avec ma bru.

– Madame, ce sera le roi qui prendra tout sur lui. Voyons, je réfléchis.

– À quoi?

– Il serait peut-être mieux que j’allasse trouver Madame chez elle?

– C’est un peu solennel.

– Oui, mais la solennité ne messied pas aux prédicateurs, et puis le violon du ballet mangerait la moitié de mes arguments. En outre, il s’agit d’empêcher quelque violence de mon frère… Mieux vaut un peu de précipitation… Madame est-elle chez elle?

– Je le crois.

– L’exposition des griefs, s’il vous plaît.

– En deux mots, voici: Musique perpétuelle… assiduité de Guiche… soupçons de cachotteries et de complots…

– Les preuves?

– Aucune.

– Bien; je me rends chez Madame.

Et le roi se prit à regarder, dans les glaces, sa toilette qui était riche et son visage qui resplendissait comme ses diamants.

– On éloigne bien un peu Monsieur? dit-il.

– Oh! le feu et l’eau ne se fuient pas avec plus d’acharnement.

– Il suffit. Ma mère, je vous baise les mains… les plus belles mains de France.

– Réussissez, Sire… Soyez le pacificateur du ménage.

– Je n’emploie pas d’ambassadeur, répliqua Louis. C’est vous dire que je réussirai.

Il sortit en riant et s’épousseta soigneusement tout le long du chemin.

Chapitre CVII – Le médiateur

Quand le roi parut chez Madame, tous les courtisans, que la nouvelle d’une scène conjugale avait disséminés autour des appartements, commencèrent à concevoir les plus graves inquiétudes.

Il se formait aussi de ce côté un orage dont le chevalier de Lorraine, au milieu des groupes, analysait avec joie tous les éléments, grossissant les plus faibles et manœuvrant, selon ses mauvais desseins, les plus forts, afin de produire les plus méchants effets possibles.

Ainsi que l’avait annoncé Anne d’Autriche, la présence du roi donna un caractère solennel à l’événement.

Ce n’était pas une petite affaire, en 1662, que le mécontentement de Monsieur contre Madame, et l’intervention du roi dans les affaires privées de Monsieur.

Aussi vit-on les plus hardis, qui entouraient le comte de Guiche dès le premier moment, s’éloigner de lui avec une sorte d’épouvante; et le comte lui-même, gagné par la panique générale, se retirer chez lui tout seul.

Le roi entra chez Madame en saluant, comme il avait toujours l’habitude de le faire. Les dames d’honneur étaient rangées en file sur son passage dans la galerie.

Si fort préoccupée que fût Sa Majesté, elle donna un coup d’œil de maître à ces deux rangs de jeunes et charmantes femmes qui baissaient modestement les yeux.

Toutes étaient rouges de sentir sur elles le regard du roi. Une seule, dont les longs cheveux se roulaient en boucles soyeuses sur la plus belle peau du monde, une seule était pâle et se soutenait à peine, malgré les coups de coude de sa compagne.

C’était La Vallière, que Montalais étayait de la sorte en lui soufflant tout bas le courage dont elle-même était si abondamment pourvue.

Le roi ne put s’empêcher de se retourner. Tous les fronts, qui déjà s’étaient relevés, se baissèrent de nouveau; mais la seule tête blonde demeura immobile, comme si elle eût épuisé tout ce qui lui restait de force et d’intelligence.

En entrant chez Madame, Louis trouva sa belle-sœur à demi couchée sur les coussins de son cabinet. Elle se souleva et fit une révérence profonde en balbutiant quelques remerciements sur l’honneur qu’elle recevait.

Puis elle se rassit, vaincue par une faiblesse, affectée sans doute, car un coloris charmant animait ses joues, et ses yeux, encore rouges de quelques larmes répandues récemment, n’avaient que plus de feu.

Quand le roi fut assis et qu’il eut remarqué, avec cette sûreté d’observation qui le caractérisait, le désordre de la chambre et celui, non moins grand, du visage de Madame, il prit un air enjoué.

– Ma sœur, dit-il, à quelle heure vous plaît-il que nous répétions le ballet aujourd’hui?

Madame, secouant lentement et languissamment sa tête charmante:

– Ah! Sire, dit-elle, veuillez m’excuser pour cette répétition; j’allais faire prévenir Votre Majesté que je ne saurais aujourd’hui.

– Comment! dit le roi avec une surprise modérée; ma sœur, seriez-vous indisposée?

– Oui, Sire.

– Je vais faire appeler vos médecins, alors.

– Non, car les médecins ne peuvent rien à mon mal.

– Vous m’effrayez!

– Sire, je veux demander à Votre Majesté la permission de m’en retourner en Angleterre.

Le roi fit un mouvement.

– En Angleterre! Dites-vous bien ce que vous voulez dire, madame?

– Je le dis à contrecœur, Sire, répliqua la petite-fille de Henri IV avec résolution.

Et elle fit étinceler ses beaux yeux noirs.

– Oui, je regrette de faire à Votre Majesté des confidences de ce genre; mais je me trouve trop malheureuse à la cour de Votre Majesté; je veux retourner dans ma famille.

– Madame! Madame!

Et le roi s’approcha.

– Écoutez, Sire, continua la jeune femme en prenant peu à peu sur son interlocuteur l’ascendant que lui donnaient sa beauté, sa nerveuse nature; je suis accoutumée à souffrir. Jeune encore, j’ai été humiliée, j’ai été dédaignée. Oh! ne me démentez pas, Sire, dit-elle avec un sourire.

Le roi rougit.

– Alors, dis-je, j’ai pu croire que Dieu m’avait fait naître pour cela, moi, fille d’un roi puissant; mais, puisqu’il avait frappé la vie dans mon père, il pouvait bien frapper en moi l’orgueil. J’ai bien souffert, j’ai bien fait souffrir ma mère; mais j’ai juré que, si jamais Dieu me rendait une position indépendante, fût-ce celle de l’ouvrière du peuple qui gagne son pain avec son travail, je ne souffrirais plus la moindre humiliation. Ce jour est arrivé; j’ai recouvré la fortune due à mon rang, à ma naissance; j’ai remonté jusqu’aux degrés du trône; j’ai cru que, m’alliant à un prince français, je trouverais en lui un parent, un ami, un égal; mais je m’aperçois que je n’ai trouvé qu’un maître, et je me révolte, Sire. Ma mère n’en saura rien, vous que je respecte et que… j’aime…

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