Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Le roi tressaillit; nulle voix n’avait ainsi chatouillé son oreille.

– Vous, dis-je, Sire, qui savez tout, puisque vous venez ici, vous me comprendrez peut-être. Si vous ne fussiez pas venu, j’allais à vous. C’est l’autorisation de partir librement que je veux. J’abandonne à votre délicatesse, à vous, l’homme par excellence, de me disculper et de me protéger.

– Ma sœur! ma sœur! balbutia le roi courbé par cette rude attaque, avez vous bien réfléchi à l’énorme difficulté du projet que vous formez?

– Sire, je ne réfléchis pas, je sens. Attaquée, je repousse d’instinct l’attaque; voilà tout.

– Mais que vous a-t-on fait? Voyons.

La princesse venait, on le voit, par cette manœuvre particulière aux femmes, d’éviter tout reproche et d’en formuler un plus grave, d’accusée elle devenait accusatrice. C’est un signe infaillible de culpabilité; mais de ce mal évident, les femmes, même les moins adroites, savent toujours tirer parti pour vaincre.

Le roi ne s’aperçut pas qu’il était venu chez elle pour lui dire: «Qu’avez vous fait à mon frère?»

Et qu’il se réduisait à dire:

– Que vous a-t-on fait?

– Ce qu’on m’a fait? répliqua Madame. Oh! il faut être femme pour le comprendre, Sire: on m’a fait pleurer.

Et d’un doigt qui n’avait pas son égal en finesse et en blancheur nacrée, elle montrait des yeux brillants noyés dans le fluide, et elle recommençait à pleurer.

– Ma sœur, je vous en supplie, dit le roi en s’avançant pour lui prendre une main qu’elle lui abandonna moite et palpitante.

– Sire, on m’a tout d’abord privée de la présence d’un ami de mon frère. Milord de Buckingham était pour moi un hôte agréable, enjoué, un compatriote qui connaissait mes habitudes, je dirai presque un compagnon, tant nous avons passé de jours ensemble avec nos autres amis sur mes belles eaux de Saint-James.

– Mais, ma sœur, Villiers était amoureux de vous?

– Prétexte! Que fait cela, dit-elle sérieusement, que M. de Buckingham ait été ou non amoureux de moi? Est-ce donc dangereux pour moi, un homme amoureux?… Ah! Sire, il ne suffit pas qu’un homme vous aime.

Et elle sourit si tendrement, si finement, que le roi sentit son cœur battre et défaillir dans sa poitrine.

– Enfin, si mon frère était jaloux? interrompit le roi.

– Bien, j’y consens, voilà une raison; et l’on a chassé M. de Buckingham.

– Chassé!… Oh! non.

– Expulsé, évincé, congédié, si vous aimez mieux, Sire; un des premiers gentilshommes de l’Europe s’est vu forcé de quitter la cour du roi de France, de Louis XIV, comme un manant, à propos d’une œillade ou d’un bouquet. C’est bien peu digne de la cour la plus galante… Pardon, Sire, j’oubliais qu’en parlant ainsi j’attentais à votre souverain pouvoir.

– Ma foi! non, ma sœur, ce n’est pas moi qui ai congédié M. de Buckingham… Il me plaisait fort.

– Ce n’est pas vous? dit habilement Madame. Ah! tant mieux!

Et elle accentua ce tant mieux comme si elle eût, à la place de ce mot, prononcé celui de tant pis.

Il y eut un silence de quelques minutes.

Elle reprit:

– M. de Buckingham parti… je sais à présent pourquoi et par qui… je croyais avoir recouvré la tranquillité… Point… Voilà que Monsieur trouve un autre prétexte; voilà que…

– Voilà que, dit le roi avec enjouement, un autre se présente. Et c’est naturel; vous êtes belle, madame; on vous aimera toujours.

– Alors, s’écria la princesse, je ferai la solitude autour de moi. Oh! c’est bien ce qu’on veut, c’est bien ce qu’on me prépare; mais, non, je préfère retourner à Londres. Là, on me connaît, on m’apprécie. J’aurai mes amis sans craindre que l’on ose les nommer mes amants. Fi! c’est un indigne soupçon de la part d’un gentilhomme! Oh! Monsieur a tout perdu dans mon esprit depuis que je le vois, depuis qu’il s’est révélé à moi, comme le tyran d’une femme.

– Là! là! mon frère n’est coupable que de vous aimer.

– M’aimer! Monsieur m’aimer? Ah! Sire…

Et elle rit aux éclats.

– Monsieur n’aimera jamais une femme, dit-elle; Monsieur s’aime trop lui-même; non, malheureusement pour moi, Monsieur est de la pire espèce des jaloux: jaloux sans amour.

– Avouez cependant, dit le roi, qui commençait à s’animer dans cet entretien varié, brûlant, avouez que Guiche vous aime.

– Ah! Sire, je n’en sais rien.

– Vous devez le voir. Un homme qui aime se trahit.

– M. de Guiche ne s’est pas trahi.

– Ma sœur, ma sœur, vous défendez M. de Guiche.

– Moi! par exemple! moi? Oh! Sire, il ne manquerait plus à mon infortune qu’un soupçon de vous.

– Non, madame, non, reprit vivement le roi. Ne vous affligez pas. Oh! vous pleurez! Je vous en conjure, calmez-vous.

Elle pleurait cependant, de grosses larmes coulaient sur ses mains. Le roi prit une de ses mains et but une de ses larmes.

Elle le regarda si tristement et si tendrement, qu’il en fut frappé au cœur.

– Vous n’avez rien pour Guiche? dit-il plus inquiet qu’il ne convenait à son rôle de médiateur.

– Mais rien, rien.

– Alors je puis rassurer mon frère.

– Eh! Sire, rien ne le rassurera. Ne croyez donc pas qu’il soit jaloux. Monsieur a reçu de mauvais conseils, et Monsieur est d’un caractère inquiet.

– On peut l’être lorsqu’il s’agit de vous.

Madame baissa les yeux et se tut. Le roi fit comme elle. Il lui tenait toujours la main.

Ce silence d’une minute dura un siècle.

Madame retira doucement sa main. Elle était sûre désormais du triomphe. Le champ de bataille était à elle.

– Monsieur se plaint, dit timidement le roi, que vous préférez à son entretien, à sa société, des sociétés particulières.

– Sire, Monsieur passe sa vie à regarder sa figure dans un miroir et à comploter des méchancetés contre les femmes avec M. le chevalier de Lorraine.

– Oh! vous allez un peu loin.

– Je dis ce qui est. Observez, vous verrez, Sire, si j’ai raison.

– J’observerai. Mais, en attendant, quelle satisfaction donner à mon frère?

– Mon départ.

– Vous répétez ce mot! s’écria imprudemment le roi, comme si depuis dix minutes un changement tel eût été produit, que Madame en eût toutes ses idées retournées.

93
{"b":"125136","o":1}