Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– Oui; Mlle de La Vallière est aimée par un de mes bons amis.

Saint-Aignan tressaillit.

– Oh! oh! fit-il.

– Oui, comte, continua de Guiche. Par conséquent, vous comprenez, vous l’homme le plus poli de France, je ne puis laisser faire à mon ami une position ridicule.

– Oh! à merveille.

Et Saint-Aignan se rongeait les doigts, moitié dépit, moitié curiosité déçue.

De Guiche lui fit un beau salut.

– Vous me chassez, dit Saint-Aignan qui mourait d’envie de savoir le nom de l’ami.

– Je ne vous chasse point, très cher… J’achève mes vers à Philis.

– Et ces vers?…

– Sont un quatrain. Vous comprenez, n’est-ce pas? un quatrain, c’est sacré.

– Ma foi! oui.

– Et comme, sur quatre vers dont il doit naturellement se composer, il me reste encore trois vers et un hémistiche à faire, j’ai besoin de toute ma tête.

– Cela se comprend. Adieu, comte!

– Adieu!

– À propos…

– Quoi?

– Avez-vous de la facilité?

– Énormément.

– Aurez-vous bien fini vos trois vers et demi demain matin?

– Je l’espère.

– Eh bien! à demain.

– À demain; adieu!

Force était à Saint-Aignan d’accepter le congé; il l’accepta et disparut derrière la charmille.

La conversation avait entraîné de Guiche et Saint-Aignan assez loin du château.

Tout mathématicien, tout poète et tout rêveur a ses distractions; Saint-Aignan se trouvait donc, quand le quitta de Guiche, aux limites du quinconce, à l’endroit où les communes commencent et où, derrière de grands bouquets d’acacias et de marronniers croisant leurs grappes sous des monceaux de clématite et de vigne vierge, s’élève le mur de séparation entre les bois et la cour des communs.

Saint-Aignan, laissé seul, prit le chemin de ces bâtiments; de Guiche tourna en sens inverse. L’un revenait donc vers les parterres, tandis que l’autre allait aux murs.

Saint-Aignan marchait sous une impénétrable voûte de sorbiers, de lilas et d’aubépines gigantesques, les pieds sur un sable mou, enfoui dans l’ombre.

Il ruminait une revanche qui lui paraissait difficile à prendre, tout déferré, comme eût dit Tallemant des Réaux, de n’en avoir pas appris davantage sur La Vallière, malgré l’ingénieuse tactique qu’il avait employée pour arriver jusqu’à elle.

Tout à coup un gazouillement de voix humaines parvint à son oreille. C’était comme des chuchotements, comme des plaintes féminines mêlées d’interpellations; c’étaient de petits rires, des soupirs, des cris de surprise étouffés; mais, par-dessus tout, la voix féminine dominait.

Saint-Aignan s’arrêta pour s’orienter; il reconnut avec la plus vive surprise que les voix venaient, non pas de la terre, mais du sommet des arbres.

Il leva la tête en se glissant sous l’allée, et aperçut à la crête du mur une femme juchée sur une grande échelle, en grande communication de gestes et de paroles avec un homme perché sur un arbre, et dont on ne voyait que la tête, perdu qu’était le corps dans l’ombre d’un marronnier.

La femme était en deçà du mur; l’homme au-delà.

Chapitre CXXIII – Le labyrinthe

De Saint-Aignan ne cherchait que des renseignements et trouvait une aventure. C’était du bonheur.

Curieux de savoir pourquoi et surtout de quoi cet homme et cette femme causaient à une pareille heure et dans une si singulière situation, de Saint Aignan se fit tout petit et arriva presque sous les bâtons de l’échelle.

Alors, prenant ses mesures pour être le plus confortablement possible, il s’appuya contre un arbre et écouta.

Il entendit le dialogue suivant.

C’était la femme qui parlait.

– En vérité, monsieur Manicamp, disait-elle d’une voix qui, au milieu des reproches qu’elle articulait, conservait un singulier accent de coquetterie, en vérité, vous êtes de la plus dangereuse indiscrétion. Nous ne pouvons causer longtemps ainsi sans être surpris.

– C’est très probable, interrompit l’homme du ton le plus calme et le plus flegmatique.

– Eh bien! alors, que dira-t-on? Oh! si quelqu’un me voyait, je vous déclare que j’en mourrais de honte.

– Oh! ce serait un grand enfantillage et dont je vous crois incapable.

– Passe encore s’il y avait quelque chose entre nous; mais se faire tort gratuitement, en vérité, je suis bien sotte. Adieu, monsieur de Manicamp!

«Bon! je connais l’homme; à présent, je vais voir la femme» se dit de Saint-Aignan guettant aux bâtons de l’échelle l’extrémité de deux jambes élégamment chaussées dans des souliers de satin bleu de ciel et dans des bas couleur de chair.

– Oh! voyons, voyons; par grâce, ma chère Montalais, s’écria de Manicamp, ne fuyez pas, que diable! j’ai encore des choses de la plus haute importance à vous dire.

«Montalais! pensa tout bas de Saint-Aignan; et de trois! Les trois commères ont chacune leur aventure; seulement il m’avait semblé que l’aventure de celle-ci s’appelait M. Malicorne et non de Manicamp.»

À cet appel de son interlocuteur, Montalais s’arrêta au milieu de sa descente.

On vit alors l’infortuné de Manicamp grimper d’un étage dans son marronnier, soit pour s’avantager, soit pour combattre la lassitude de sa mauvaise position.

– Voyons, dit-il, écoutez-moi; vous savez bien, je l’espère, que je n’ai aucun mauvais dessein.

– Sans doute… Mais, enfin, pourquoi cette lettre que vous m’écrivez, en stimulant ma reconnaissance? Pourquoi ce rendez-vous que vous me demandez à une pareille heure et dans un pareil lieu?

– J’ai stimulé votre reconnaissance en vous rappelant que c’était moi qui vous avais fait entrer chez Madame, parce que, désirant vivement l’entrevue que vous avez bien voulu m’accorder, j’ai employé, pour l’obtenir, le moyen le plus sûr. Pourquoi je vous l’ai demandée à pareille heure et dans un pareil lieu? C’est que l’heure m’a paru discrète et le lieu solitaire, Or, j’avais à vous demander de ces choses qui réclament à la fois la discrétion et la solitude.

– Monsieur de Manicamp!

– En tout bien tout honneur, chère demoiselle.

– Monsieur de Manicamp, je crois qu’il serait plus convenable que je me retirasse.

132
{"b":"125136","o":1}