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– Non, et je ne serai probablement pas même quinze jours absent.

La Vallière appuya une main sur son cœur, qui se brisait.

– C’est étrange, poursuivit Raoul en regardant mélancoliquement la jeune fille; souvent je vous ai quittée pour aller en des rencontres périlleuses, je partais joyeux alors, le cœur libre, l’esprit tout enivré de joies à venir, de futures espérances, et cependant alors il s’agissait pour moi d’affronter les balles des Espagnols ou les dures hallebardes des Wallons. Aujourd’hui, je vais, sans nul danger, sans nulle inquiétude, chercher par le plus facile chemin du monde une belle récompense que me promet cette faveur du roi, je vais vous conquérir peut-être; car quelle autre faveur plus précieuse que vous-même le roi pourrait-il m’accorder? Eh bien! Louise, je ne sais en vérité comment cela se fait, mais tout ce bonheur, tout cet avenir fuit devant mes yeux comme une vaine fumée, comme un rêve chimérique, et j’ai là, j’ai là au fond du cœur, voyez-vous, un grand chagrin, un inexprimable abattement, quelque chose de morne, d’inerte et de mort, comme un cadavre. Oh! je sais bien pourquoi, Louise; c’est parce que je ne vous ai jamais tant aimée que je le fais en ce moment. Oh! mon Dieu! mon Dieu!

À cette dernière exclamation sortie d’un cœur brisé, Louise fondit en larmes et se renversa dans les bras de Montalais.

Celle-ci, qui cependant n’était pas des plus tendres, sentit ses yeux se mouiller et son cœur se serrer dans un cercle de fer.

Raoul vit les pleurs de sa fiancée. Son regard ne pénétra point, ne chercha pas même à pénétrer au-delà de ses pleurs. Il fléchit un genou devant elle et lui baisa tendrement la main.

On voyait que, dans ce baiser, il mettait tout son cœur.

– Relevez-vous, relevez-vous, lui dit Montalais, près de pleurer elle-même, car voici Athénaïs qui nous arrive.

Raoul essuya son genou du revers de sa manche, sourit encore une fois à Louise, qui ne le regardait plus, et, ayant serré la main de Montalais avec effusion, il se retourna pour saluer Mlle de Tonnay-Charente, dont on commençait à entendre la robe soyeuse effleurant le sable des allées.

– Madame a-t-elle achevé sa lettre? lui demanda-t-il lorsque la jeune fille fut à la portée de sa voix.

– Oui, monsieur le vicomte, la lettre est achevée, cachetée, et Son Altesse Royale vous attend.

Raoul, à ce mot, prit à peine le temps de saluer Athénaïs, jeta un dernier regard à Louise, fit un dernier signe à Montalais, et s’éloigna dans la direction du château.

Mais, tout en s’éloignant, il se retournait encore.

Enfin, au détour de la grande allée, il eut beau se retourner, il ne vit plus rien.

De leur côté, les trois jeunes filles, avec des sentiments bien divers, l’avaient regardé disparaître.

– Enfin, dit Athénaïs, rompant la première le silence, enfin, nous voilà seules, libres de causer de la grande affaire d’hier, et de nous expliquer sur la conduite qu’il importe que nous suivions. Or, si vous voulez me prêter attention, continua-t-elle en regardant de tous côtés, je vais vous expliquer, le plus brièvement possible, d’abord notre devoir comme je l’entends, et, si vous ne me comprenez pas à demi-mot, la volonté de Madame.

Et Mlle de Tonnay-Charente appuya sur ces derniers mots, de manière à ne pas laisser de doute à ses compagnes sur le caractère officiel dont elle était revêtue.

– La volonté de Madame! s’écrièrent à la fois Montalais et Louise.

– Ultimatum! répliqua diplomatiquement Mlle de Tonnay-Charente.

– Mais, mon Dieu! mademoiselle, murmura La Vallière, Madame sait donc?…

– Madame en sait plus que nous n’en avons dit, articula nettement Athénaïs. Ainsi, mesdemoiselles, tenons-nous bien.

– Oh! oui, fit Montalais. Aussi j’écoute de toutes mes oreilles. Parle, Athénaïs.

– Mon Dieu! mon Dieu! murmura Louise toute tremblante, survivrai-je à cette cruelle soirée?

– Oh! ne vous effarouchez point ainsi, dit Athénaïs, nous avons le remède.

Et, s’asseyant entre ses deux compagnes, à chacune desquelles elle prit une main qu’elle réunit dans les siennes, elle commença.

Sur le chuchotement de ses premières paroles, on eût pu entendre le bruit d’un cheval qui galopait sur le pavé de la grande route, hors des grilles du château.

Chapitre CXXIX – Heureux comme un prince

Au moment où il allait entrer au château, Bragelonne avait rencontré de Guiche.

Mais, avant d’être rencontré par Raoul, de Guiche avait rencontré Manicamp, lequel avait rencontré Malicorne.

Comment Malicorne avait-il rencontré Manicamp? Rien de plus simple: il l’avait attendu à son retour de la messe, à laquelle il avait été en compagnie de M. de Saint-Aignan.

Réunis, ils s’étaient félicités sur cette bonne fortune, et Manicamp avait profité de la circonstance pour demander à son ami si quelques écus n’étaient pas restés au fond de sa poche.

Celui-ci, sans s’étonner de la question, à laquelle il s’attendait peut-être, avait répondu que toute poche dans laquelle on puise toujours sans jamais y rien mettre ressemble aux puits, qui fournissent encore de l’eau pendant l’hiver, mais que les jardiniers finissent par épuiser l’été; que sa poche, à lui, Malicorne, avait certainement de la profondeur, et qu’il y aurait plaisir à y puiser en temps d’abondance, mais que, malheureusement, l’abus avait amené la stérilité.

Ce à quoi Manicamp, tout rêveur, avait répliqué:

– C’est juste.

– Il s’agirait donc de la remplir, avait ajouté Malicorne.

– Sans doute; mais comment?

– Mais rien de plus facile, cher monsieur Manicamp.

– Bon! Dites.

– Un office chez Monsieur, et la poche est pleine.

– Cet office, vous l’avez?

– C’est-à-dire que j’en ai le titre.

– Eh bien?

– Oui; mais le titre sans l’office, c’est la bourse sans l’argent.

– C’est juste, avait répondu une seconde fois Manicamp.

– Poursuivons donc l’office, avait insisté le titulaire.

– Cher, très cher, soupira Manicamp, un office chez Monsieur, c’est une des graves difficultés de notre situation.

– Oh! oh!

– Sans doute, nous ne pouvons rien demander à Monsieur en ce moment ci.

– Pourquoi donc?

– Parce que nous sommes en froid avec lui.

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