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– Eh bien! voyons, parmi tous ces gentilshommes que vous avez à peu près vus, lequel préférez-vous?

– Oui, dit Montalais, oui, de M. de Saint-Aignan, de M. de Guiche, de M…

– Je ne préfère personne, mesdemoiselles, je les trouve également bien.

– Alors dans toute cette brillante assemblée, au milieu de cette cour, la première du monde, personne ne vous a plu?

– Je ne dis pas cela.

– Parlez donc, alors. Voyons, faites-nous part de votre idéal.

– Ce n’est pas un idéal.

– Alors, cela existe?

– En vérité, mesdemoiselles, s’écria La Vallière poussée à bout, je n’y comprends rien. Quoi! comme moi vous avez un cœur, comme moi vous avez des yeux, et vous parlez de M. de Guiche, de M. de Saint-Aignan, de M… qui sais-je? quand le roi était là.

Ces mots, jetés avec précipitation par une voix troublée, ardente, firent à l’instant même éclater aux deux côtés de la jeune fille une exclamation dont elle eut peur.

– Le roi! s’écrièrent à la fois Montalais et Athénaïs.

La Vallière laissa tomber sa tête dans ses deux mains.

– Oh! oui, le roi! le roi! murmura-t-elle; avez-vous donc jamais vu quelque chose de pareil au roi?

– Vous aviez raison de dire tout à l’heure que vous aviez des yeux excellents, mademoiselle; car vous voyez loin, trop loin. Hélas! le roi n’est pas de ceux sur lesquels nos pauvres yeux, à nous, ont le droit de se fixer.

– Oh! c’est vrai, c’est vrai! s’écria La Vallière; il n’est pas donné à tous les yeux de regarder en face le soleil; mais je le regarderai, moi, dussé-je en être aveuglée.

En ce moment, et comme s’il eût été causé par les paroles qui venaient de s’échapper de la bouche de La Vallière, un bruit de feuilles et de froissements soyeux retentit derrière le buisson voisin.

Les jeunes filles se levèrent effrayées. Elles virent distinctement remuer les feuilles, mais sans voir l’objet qui les faisait remuer.

– Oh! un loup ou un sanglier! s’écria Montalais. Fuyons, mesdemoiselles, fuyons!

Et les trois jeunes filles se levèrent en proie à une terreur indicible, et s’enfuirent par la première allée qui s’offrit à elles, et ne s’arrêtèrent qu’à la lisière du bois.

Là, hors d’haleine, appuyées les unes aux autres, sentant mutuellement palpiter leurs cœurs, elles essayèrent de se remettre, mais elles n’y réussirent qu’au bout de quelques instants. Enfin, apercevant des lumières du côté du château, elles se décidèrent à marcher vers les lumières.

La Vallière était épuisée de fatigue.

– Oh! nous l’avons échappé belle, dit Montalais.

– Mesdemoiselles! Mesdemoiselles! dit La Vallière, j’ai bien peur que ce ne soit pis qu’un loup. Quant à moi, je le dis comme je le pense, j’aimerais mieux avoir couru le risque d’être dévorée toute vive par un animal féroce, que d’avoir été écoutée et entendue. Oh! folle! folle que je suis! Comment ai-je pu penser, comment ai-je pu dire de pareilles choses!

Et là-dessus son front plia comme la tête d’un roseau; elle sentit ses jambes fléchir, et, toutes ses forces l’abandonnant, elle glissa, presque inanimée, des bras de ses compagnes sur l’herbe de l’allée.

Chapitre CXVI – L’inquiétude du roi

Laissons la pauvre La Vallière à moitié évanouie entre ses deux compagnes, et revenons aux environs du chêne royal.

Les trois jeunes filles n’avaient pas fait vingt pas en fuyant, que le bruit qui les avait si fort épouvantées redoubla dans le feuillage.

La forme, se dessinant plus distincte en écartant les branches du massif, apparut sur la lisière du bois, et, voyant la place vide, partit d’un éclat de rire.

Il est inutile de dire que cette forme était celle d’un jeune et beau gentilhomme, lequel incontinent fit signe à un autre qui parut à son tour.

– Eh bien! Sire, dit la seconde forme en s’avançant avec timidité, est-ce que Votre Majesté aurait fait fuir nos jeunes amoureuses?

– Eh! mon Dieu, oui, dit le roi; tu peux te montrer en toute liberté, Saint Aignan.

– Mais, Sire, prenez garde, vous serez reconnu.

– Puisque je te dis qu’elles ont fui.

– Voilà une rencontre heureuse, Sire, et, si j’osais donner un conseil à Votre Majesté, nous devrions les poursuivre.

– Elles sont loin.

– Bah! elles se laisseraient facilement rejoindre, surtout si elles savent quels sont ceux qui les poursuivent.

– Comment cela, monsieur le fat?

– Dame! il y en a une qui me trouve de son goût, et l’autre qui vous a comparé au soleil.

– Raison de plus pour que nous demeurions cachés, Saint-Aignan. Le soleil ne se montre pas la nuit.

– Par ma foi! Sire, Votre Majesté n’est pas curieuse. À sa place, moi, je voudrais connaître quelles sont les deux nymphes, les deux dryades, les deux hamadryades qui ont si bonne opinion de nous.

– Oh! je les reconnaîtrai bien sans courir après elles, je t’en réponds.

– Et comment cela?

– Parbleu! à la voix. Elles sont de la cour; et celle qui parlait de moi avait une voix charmante.

– Ah! voilà Votre Majesté qui se laisse influencer par la flatterie.

– On ne dira pas que c’est le moyen que tu emploies, toi.

– Oh! pardon, Sire, je suis un niais.

– Voyons, viens, et cherchons où je t’ai dit…

– Et cette passion dont vous m’aviez fait confidence, Sire, est-elle donc déjà oubliée?

– Oh! par exemple, non. Comment veux-tu qu’on oublie des yeux comme ceux de Mlle de La Vallière?

– Oh! l’autre a une si charmante voix!

– Laquelle?

– Celle qui aime le soleil.

– Monsieur de Saint-Aignan!

– Pardon, Sire.

– D’ailleurs, je ne suis pas fâché que tu croies que j’aime autant les douces voix que les beaux yeux. Je te connais, tu es un affreux bavard, et demain je paierai la confiance que j’ai eue en toi.

– Comment cela?

– Je dis que demain tout le monde saura que j’ai des idées sur cette petite La Vallière; mais, prends garde, Saint-Aignan, je n’ai confié mon secret qu’à toi, et, si une seule personne m’en parle, je saurai qui a trahi mon secret.

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