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À M D G.

– Bien! dit le franciscain, nous voici en présence, parlez.

– J’ai un corps de troupes composé de cinquante mille hommes; tous les officiers sont gagnés. Je campe sur le Danube. Je puis en quatre jours renverser l’empereur, opposé, comme vous savez, au progrès de notre ordre, et le remplacer par celui des princes de sa famille que l’ordre nous désignera.

Le franciscain écoutait sans donner signe d’existence.

– C’est tout? dit-il.

– Il y a une révolution européenne dans mon plan, dit le baron.

– C’est bien, monsieur de Wostpur, vous recevrez la réponse; rentrez chez vous, et soyez parti de Fontainebleau dans un quart d’heure.

Le baron sortit à reculons, et aussi obséquieux que s’il eût pris congé de cet empereur qu’il allait trahir.

– Ce n’est pas là un secret, murmura le franciscain? c’est un complot… D’ailleurs, ajouta-t-il après un moment de réflexion, l’avenir de l’Europe n’est plus aujourd’hui dans la maison d’Autriche.

Et, d’un crayon rouge qu’il tenait à la main, il raya sur la liste le nom du baron de Wostpur.

– Au cardinal, maintenant, dit-il; du côté de l’Espagne, nous devons avoir quelque chose de plus sérieux.

Levant les yeux, il aperçut le confesseur qui attendait ses ordres, soumis comme un écolier.

– Ah! ah! dit-il, remarquant cette soumission, vous avez parlé à l’hôte?

– Oui, monseigneur, et au médecin.

– À Grisart.

– Oui.

– Il est donc là?

– Il attend, avec la potion promise.

– C’est bien! si besoin est, j’appellerai; maintenant, vous comprenez toute l’importance de ma confession, n’est-ce pas?

– Oui, monseigneur.

– Alors, allez me quérir le cardinal espagnol Herrebia. Hâtez-vous. Cette fois seulement, comme vous savez ce dont il s’agit, vous resterez près de moi, car j’éprouve des défaillances.

– Faut-il appeler le médecin?

– Pas encore, pas encore… Le cardinal espagnol, voilà tout… Allez.

Cinq minutes après, le cardinal entrait, pâle et inquiet, dans la petite chambre.

– J’apprends, monseigneur… balbutia le cardinal.

– Au fait, dit le franciscain d’une voix éteinte.

Et il montra au cardinal une lettre écrite par ce dernier au Grand Conseil.

– Est-ce votre écriture? demanda-t-il.

– Oui; mais…

– Et votre convocation?…

Le cardinal hésitait à répondre. Sa pourpre se révoltait contre la bure du pauvre franciscain.

Le moribond étendit la main et montra l’anneau.

L’anneau fit son effet, plus grand à mesure que grandissait le personnage sur lequel le franciscain s’exerçait.

– Le secret, le secret, vite! demanda le malade en s’appuyant sur son confesseur.

– Coram isti? demanda le cardinal, inquiet.

– Parlez espagnol, dit le franciscain en prêtant la plus vive attention.

– Vous savez, monseigneur, dit le cardinal continuant la conversation en castillan, que la condition du mariage de l’infante avec le roi de France est une renonciation absolue des droits de ladite infante, comme aussi du roi Louis, à tout apanage de la couronne d’Espagne?

Le franciscain fit un signe affirmatif.

– Il en résulte, continua le cardinal, que la paix et l’alliance entre les deux royaumes dépendent de l’observation de cette clause du contrat.

Même signe du franciscain.

– Non seulement la France et l’Espagne, dit le cardinal, mais encore l’Europe tout entière seraient ébranlées par l’infidélité d’une des parties.

Nouveau mouvement de tête du malade.

– Il en résulte, continua l’orateur, que celui qui pourrait prévoir les événements et donner comme certain ce qui n’est jamais qu’un nuage dans l’esprit de l’homme, c’est-à-dire l’idée du bien ou du mal à venir, préserverait le monde d’une immense catastrophe; on ferait tourner au profit de l’ordre l’événement deviné dans le cerveau même de celui qui le prépare.

– Pronto! pronto! murmura le franciscain, qui pâlit et se pencha sur le prêtre.

Le cardinal s’approcha de l’oreille du moribond.

– Eh bien! monseigneur, dit-il, je sais que le roi de France a décidé qu’au premier prétexte, une mort par exemple, soit celle du roi d’Espagne, soit celle d’un frère de l’infante, la France revendiquera, les armes à la main, l’héritage, et je tiens tout préparé le plan politique arrêté par Louis XIV à cette occasion.

– Ce plan? dit le franciscain.

– Le voici, dit le cardinal.

– De quelle main est-il écrit?

– De la mienne.

– N’avez-vous rien de plus à dire?

– Je crois avoir dit beaucoup, monseigneur, répondit le cardinal.

– C’est vrai, vous avez rendu un grand service à l’ordre. Mais comment vous êtes-vous procuré les détails à l’aide desquels vous avez bâti ce plan?

– J’ai à ma solde les bas valets du roi de France, et je tiens d’eux tous les papiers de rebut que la cheminée a épargnés.

– C’est ingénieux, murmura le franciscain en essayant de sourire. Monsieur le cardinal, vous partirez de cette hôtellerie dans un quart d’heure; réponse vous sera faite, allez!

Le cardinal se retira.

– Appelez-moi Grisart, et allez me chercher le Vénitien Marini, dit le malade.

Pendant que le confesseur obéissait, le franciscain, au lieu de biffer le nom du cardinal comme il avait fait de celui du baron, traça une croix à côté de ce nom.

Puis, épuisé par l’effort, il tomba sur son lit en murmurant le nom du docteur Grisart.

Quand il revint à lui, il avait bu la moitié d’une potion dont le reste attendait dans un verre, et il était soutenu par le médecin, tandis que le Vénitien et le confesseur se tenaient près de la porte.

Le Vénitien passa par les mêmes formalités que ses deux concurrents, hésita comme eux à la vue des deux étrangers, et, rassuré par l’ordre du général, révéla que le pape, effrayé de la puissance de l’ordre, ourdissait un plan d’expulsion générale des jésuites, et pratiquait les cours de l’Europe à l’effet d’obtenir leur aide. Il indiqua les auxiliaires du pontife, ses moyens d’action, et désigna l’endroit de l’archipel où, par un coup de main, deux cardinaux adeptes de la onzième année, et par conséquent chefs supérieurs, devaient être déportés avec trente-deux des principaux affiliés de Rome.

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