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– Volontiers, va… J’essaierai mes habits de Fontainebleau.

Le chevalier partit, il appela ses gens avec un grand soin, comme s’il leur donnait divers ordres.

Tous partirent dans différentes directions; mais il retint son valet de chambre.

– Sache, dit-il, et sache tout de suite si M. de Guiche n’est pas chez Madame. Vois; comment savoir cela?

– Facilement, monsieur le chevalier; je le demanderai à Malicorne, qui le saura de Mlle de Montalais. Cependant je dois dire que la demande sera vaine, car tous les gens de M. de Guiche sont partis: le maître a dû partir avec eux.

– Informe-toi, néanmoins.

Dix minutes ne s’étaient pas écoulées, que le valet de chambre revint. Il attira mystérieusement son maître dans un escalier de service, et le fit entrer dans une petite chambre dont la fenêtre donnait sur le jardin.

– Qu’y a-t-il? dit le chevalier; pourquoi tant de précautions?

– Regardez, monsieur, dit le valet de chambre.

– Quoi?

– Regardez sous le marronnier, en bas.

– Bien… Ah! mon Dieu! je vois Manicamp qui attend; qu’attend-il?

– Vous allez le voir, si vous prenez patience… Là! voyez-vous, maintenant?

– Je vois un, deux, quatre musiciens avec leurs instruments, et derrière eux, les poussant, de Guiche en personne. Mais que fait-il là?

– Il attend qu’on lui ouvre la porte de l’escalier des dames d’honneur; il montera par là chez Madame, où l’on va faire entendre une nouvelle musique pendant le dîner.

– C’est superbe ce que tu dis là.

– N’est-ce pas, monsieur?

– Et c’est M. Malicorne qui t’a dit cela?

– Lui-même.

– Il t’aime donc?

– Il aime Monsieur.

– Pourquoi?

– Parce qu’il veut être de sa maison.

– Mordieu! il en sera. Combien t’as-t-il donné pour cela?

– Le secret que je vous vends, monsieur.

– Je te le paie cent pistoles. Prends!

– Merci, monsieur… Voyez-vous, la petite porte s’ouvre, une femme fait entrer les musiciens…

– C’est la Montalais?

– Tout beau, monsieur, ne criez pas ce nom; qui dit Montalais dit Malicorne. Si vous vous brouillez avec l’un, vous serez mal avec l’autre.

– Bien, je n’ai rien vu.

– Et moi rien reçu, dit le valet en emportant la bourse.

Le chevalier, ayant la certitude que de Guiche était entré, revint chez Monsieur, qu’il trouva splendidement vêtu et rayonnant de joie comme de beauté.

– On dit, s’écria-t-il, que le roi prend le soleil pour devise; vrai, monseigneur, c’est à vous que cette devise conviendrait.

– Et Guiche?

– Introuvable! Il a fui, il s’est évaporé. Votre algarade du matin l’a effarouché. On ne l’a pas trouvé chez lui.

– Bah! il est capable, ce cerveau fêlé, d’avoir pris la poste pour aller dans ses terres. Pauvre garçon! nous le rappellerons, va. Dînons.

– Monseigneur, c’est le jour des idées; j’en ai encore une.

– Laquelle?

– Monseigneur, Madame vous boude, et elle a raison. Vous lui devez une revanche; allez dîner avec elle.

– Oh! c’est d’un mari faible.

– C’est d’un bon mari. La princesse s’ennuie: elle va pleurer dans son assiette, elle aura les yeux rouges. Un mari se fait odieux qui rougit les yeux de sa femme. Allons, monseigneur, allons!

– Non, mon service est commandé pour ici.

– Voyons, voyons, monseigneur, nous serons tristes; j’aurai le cœur gros de savoir que Madame est seule; vous, tout féroce que vous voudrez être, vous soupirerez. Emmenez-moi au dîner de Madame, et ce sera une charmante surprise. Je gage que nous nous divertirons; vous aviez tort ce matin.

– Peut-être bien.

– Il n’y a pas de peut-être, c’est un fait.

– Chevalier, chevalier! tu me conseilles mal.

– Je vous conseille bien, vous êtes dans vos avantages: votre habit pensée, brodé d’or, vous va divinement. Madame sera encore plus subjuguée par l’homme que par le procédé. Voyons, monseigneur.

– Tu me décides, partons.

Le duc sortit avec le chevalier de son appartement, et se dirigea vers celui de Madame.

Le chevalier glissa ces mots à l’oreille de son valet:

– Du monde devant la petite porte! Que nul ne puisse s’échapper par là! Cours.

Et derrière le duc il parvint aux antichambres de Madame.

Les huissiers allaient annoncer.

– Que nul ne bouge, dit le chevalier en riant, Monseigneur veut faire une surprise.

Chapitre CVI – Monsieur est jaloux de Guiche

Monsieur entra brusquement comme les gens qui ont une bonne intention et qui croient faire plaisir, ou comme ceux qui espèrent surprendre quelque secret, triste aubaine des jaloux.

Madame, enivrée par les premières mesures de la musique, dansait comme une folle, laissant là son dîner commencé.

Son danseur était M. de Guiche, les bras en l’air, les yeux à demi fermés, le genou en terre, comme ces danseurs espagnols aux regards voluptueux, au geste caressant.

La princesse tournait autour de lui avec le même sourire et la même séduction provocante.

Montalais admirait. La Vallière, assise dans un coin, regardait toute rêveuse.

Il est impossible d’exprimer l’effet que produisit sur ces gens heureux la présence de Monsieur. Il serait tout aussi impossible d’exprimer l’effet que produisit sur Philippe la vue de ces gens heureux.

Le comte de Guiche n’eut pas la force de se relever; Madame demeura au milieu de son pas et de son attitude, sans pouvoir articuler un mot.

Le chevalier de Lorraine, adossé au chambranle de la porte, souriait comme un homme plongé dans la plus naïve admiration.

La pâleur du prince, le tremblement convulsif de ses mains et de ses jambes furent les premiers symptômes qui frappèrent les assistants. Un profond silence succéda au bruit de la danse.

Le chevalier de Lorraine profita de cet intervalle pour venir saluer respectivement Madame et de Guiche; en affectant de les confondre dans ses révérences, comme les deux maîtres de la maison.

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