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Rien de plus tendre, de plus gracieux, de plus poétique que ces deux figures noyées sous l’ombre rose du parasol: le roi, dont les dents blanches éclataient dans un continuel sourire; Madame, dont les yeux noirs brillaient comme deux escarboucles au reflet micacé de la soie changeante.

Quand Madame fut arrivée à son cheval, magnifique haquenée andalouse, d’un blanc sans tache, un peu lourde peut-être, mais à la tête intelligente et fine, dans laquelle on retrouvait le mélange du sang arabe si heureusement uni au sang espagnol, et à la longue queue balayant la terre, comme la princesse se faisait paresseuse pour atteindre l’étrier, le roi la prit dans ses bras, de telle façon que le bras de Madame se trouva comme un cercle de feu au cou du roi.

Louis, en se retirant, effleura involontairement de ses lèvres ce bras qui ne s’éloignait pas. Puis, la princesse ayant remercié son royal écuyer, tout le monde fut en selle au même instant.

Le roi et Madame se rangèrent pour laisser passer les calèches, les piqueurs, les courriers.

Bon nombre de cavaliers, affranchis du joug de l’étiquette, rendirent la main à leurs chevaux et s’élancèrent après les carrosses qui emportaient les filles d’honneur, fraîches comme autant d’Orcades autour de Diane, et les tourbillons, riant, jasant, bruissant, s’envolèrent.

Le roi et Madame maintinrent leurs chevaux au pas.

Derrière Sa Majesté et la princesse sa belle-sœur, mais à une respectueuse distance, les courtisans, graves ou désireux de se tenir à la portée et sous les regards du roi, suivirent, retenant leurs chevaux impatients, réglant leur allure sur celle du coursier du roi et de Madame, et se livrèrent à tout ce que présente de douceur et d’agrément le commerce des gens d’esprit qui débitent avec courtoisie mille atroces noirceurs sur le compte du prochain.

Dans les petits rires étouffés, dans les réticences de cette hilarité sardonique, Monsieur, ce pauvre absent, ne fut pas ménagé.

Mais on s’apitoya, on gémit sur le sort de de Guiche, et, il faut l’avouer, la compassion n’était pas là déplacée.

Cependant le roi et Madame ayant mis leurs chevaux en haleine et répété cent fois tout ce que leur mettaient dans la bouche les courtisans qui les faisaient parler, prirent le petit galop de chasse, et alors on entendit résonner sous le poids de cette cavalerie les allées profondes de la forêt.

Aux entretiens à voix basse, aux discours en forme de confidences, aux paroles échangées avec une sorte de mystère, succédèrent les bruyants éclats; depuis les piqueurs jusqu’aux princes, la gaieté s’épandit. Tout le monde se mit à rire et à s’écrier. On vit les pies et les geais s’enfuir avec leurs cris gutturaux sous les voûtes ondoyantes des chênes, le coucou interrompit sa monotone plainte au fond des bois, les pinsons et les mésanges s’envolèrent en nuées, pendant que les daims, les chevreuils et les biches bondissaient, effarés, au milieu des halliers.

Cette foule, répandant, comme en traînée, la joie, le bruit et la lumière sur son passage, fut précédée, pour ainsi dire, au château par son propre retentissement.

Le roi et Madame entrèrent dans la ville, salués tous deux par les acclamations universelles de la foule.

Madame s’empressa d’aller trouver Monsieur. Elle comprenait instinctivement qu’il était resté trop longtemps en dehors de cette joie.

Le roi alla rejoindre les reines; il savait leur devoir, à une surtout, un dédommagement de sa longue absence.

Mais Madame ne fut pas reçue chez Monsieur. Il lui fut répondu que Monsieur dormait.

Le roi, au lieu de rencontrer Marie-Thérèse souriante comme toujours, trouva dans la galerie Anne d’Autriche qui, guettant son arrivée, s’avança au-devant de lui, le prit par la main et l’emmena chez elle.

Ce qu’ils se dirent, ou plutôt ce que la reine mère dit à Louis XIV, nul ne l’a jamais su; mais on aurait pu bien certainement le deviner à la figure contrariée du roi à la sortie de cet entretien.

Mais nous, dont le métier est d’interpréter, comme aussi de faire part au lecteur de nos interprétations, nous manquerions à notre devoir en lui laissant ignorer le résultat de cette entrevue.

Il le trouvera suffisamment développé, nous l’espérons du moins, dans le chapitre suivant.

Chapitre CXI – La chasse aux papillons

Le roi, en rentrant chez lui pour donner quelques ordres et pour asseoir ses idées, trouva sur sa toilette un petit billet dont l’écriture semblait déguisée.

Il l’ouvrit et lut:

«Venez vite, j’ai mille choses à vous dire.»

Il n’y avait pas assez longtemps que le roi et Madame s’étaient quittés, pour que ces mille choses fussent la suite des trois mille que l’on s’était dites pendant la route qui sépare Vulaines de Fontainebleau.

Aussi la confusion du billet et sa précipitation donnèrent-elles beaucoup à penser au roi.

Il s’occupa quelque peu de sa toilette et partit pour aller rendre visite à Madame.

La princesse, qui n’avait pas voulu paraître l’attendre, était descendue aux jardins avec toutes ses dames.

Quand le roi eut appris que Madame avait quitté ses appartements pour se rendre à la promenade, il recueillit tous les gentilshommes qu’il put trouver sous sa main et les convia à le suivre aux jardins.

Madame faisait la chasse aux papillons sur une grande pelouse bordée d’héliotropes et de genêts.

Elle regardait courir les plus intrépides et les plus jeunes de ses dames, et, le dos tourné à la charmille, attendait fort impatiemment l’arrivée du roi, auquel elle avait assigné ce rendez-vous.

Le craquement de plusieurs pas sur le sable la fit retourner. Louis XIV était nu-tête; il avait abattu de sa canne un papillon petit-paon, que M. de Saint Aignan avait ramassé tout étourdi sur l’herbe.

– Vous voyez, madame, dit le roi, que, moi aussi, je chasse pour vous.

Et il s’approcha.

– Messieurs, dit-il en se tournant vers les gentilshommes qui formaient sa suite, rapportez-en chacun autant à ces dames.

C’était congédier tout le monde.

On vit alors un spectacle assez curieux; les vieux courtisans, les courtisans obèses, coururent après les papillons en perdant leurs chapeaux et en chargeant, canne levée, les myrtes et les genêts comme ils eussent fait des Espagnols.

Le roi offrit la main à Madame, choisit avec elle pour centre d’observation un banc couvert d’une toiture de mousse, sorte de chalet ébauché par le génie timide de quelque jardinier qui avait inauguré le pittoresque et la fantaisie dans le style sévère du jardinage d’alors.

Cet auvent, garni de capucines et de rosiers grimpants, recouvrait un banc sans dossier, de manière que les spectateurs, isolés au milieu de la pelouse, voyaient et étaient vus de tous côtés, mais ne pouvaient être entendus sans voir eux-mêmes ceux qui se fussent approchés pour entendre.

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