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– Je t'étranglerais!

– Ah! fort bien, dit Malicorne; je crois que je commence à désirer quelque chose.

– Et que désirez-vous, monsieur le démon! Que je perde mon âme par la colère?

Malicorne roulait respectueusement son chapeau entre ses doigts; mais tout à coup il laissa tomber son chapeau, saisit la jeune fille par les deux épaules, l'approcha de lui et appuya sur ses lèvres deux lèvres bien ardentes pour un homme ayant la prétention d'être si indifférent. Aure voulut pousser un cri, mais ce cri s'éteignit dans le baiser.

Nerveuse et irritée, la jeune fille repoussa Malicorne contre la muraille.

– Bon! dit philosophiquement Malicorne, en voilà pour six semaines; adieu, mademoiselle! agréez mon très humble salut.

Et il fit trois pas pour se retirer.

– Eh bien! non, vous ne sortirez pas! s'écria Montalais en frappant du pied; restez! je vous l'ordonne!

– Vous l'ordonnez?

– Oui; ne suis-je pas la maîtresse?

– De mon âme et de mon esprit, sans aucun doute.

– Belle propriété, ma foi! L'âme est sotte et l'esprit sec.

– Prenez garde, Montalais, je vous connais, dit Malicorne; vous allez vous prendre d'amour pour votre serviteur.

– Eh bien! oui, dit-elle en se pendant à son cou avec une enfantine indolence bien plus qu'avec un voluptueux abandon; eh bien! oui, car il faut que je vous remercie, enfin.

– Et de quoi?

– De cette commission; n'est-ce pas tout mon avenir?

– Et tout le mien.

Montalais le regarda.

– C'est affreux, dit-elle, de ne jamais pouvoir deviner si vous parlez sérieusement.

– On ne peut plus sérieusement; j'allais à Paris, vous y allez, nous y allons.

– Alors, c'est par ce seul motif que vous m'avez servie, égoïste?

– Que voulez-vous, Aure, je ne puis me passer de vous.

– Eh bien! en vérité, c'est comme moi; vous êtes cependant, il faut l'avouer, un bien méchant cœur!

– Aure, ma chère Aure, prenez garde; si vous retombez dans les injures, vous savez l'effet qu'elles me produisent, et je vais vous adorer.

Et, tout en disant ces paroles, Malicorne approcha une seconde fois la jeune fille de lui.

Au même instant un pas retentit dans l'escalier. Les jeunes gens étaient si rapprochés qu'on les eût surpris dans les bras l'un de l'autre, si Montalais n'eût violemment repoussé Malicorne, lequel alla frapper du dos la porte, qui s'ouvrait en ce moment. Un grand cri, suivi d'injures, retentit aussitôt.

C'était Mme de Saint-Remy qui poussait ce cri et qui proférait ces injures: le malheureux Malicorne venait de l'écraser à moitié entre la muraille et la porte qu'elle entrouvrait.

– C'est encore ce vaurien! s'écria la vieille dame; toujours là!

– Ah! madame, répondit Malicorne d'une voix respectueuse, il y a huit grands jours que je ne suis venu ici.

Chapitre LXXVIII – Où l'on voit enfin reparaître la véritable héroïne de cette histoire

Derrière Mme de Saint-Remy montait Mlle de La Vallière. Elle entendit l'explosion de la colère maternelle, et comme elle en devinait la cause, elle entra toute tremblante dans la chambre et aperçut le malheureux Malicorne, dont la contenance désespérée eût attendri ou égayé quiconque l'eût observé de sang-froid. En effet, il s'était vivement retranché derrière une grande chaise, comme pour éviter les premiers assauts de Mme de Saint-Remy; il n’espérait pas la fléchir par la parole, car elle parlait plus haut que lui et sans interruption, mais il comptait sur l'éloquence de ses gestes.

La vieille dame n'écoutait et ne voyait rien; Malicorne, depuis longtemps, était une des ses antipathies. Mais sa colère était trop grande pour ne pas déborder de Malicorne sur sa complice. Montalais eut son tour.

– Et vous, mademoiselle, et vous, comptez-vous que je n'avertirai point Madame de ce qui se passe chez une de ses filles d'honneur?

– Oh! ma mère, s'écria Mlle de La Vallière, par grâce, épargnez…

– Taisez-vous, mademoiselle, et ne vous fatiguez pas inutilement à intercéder pour des sujets indignes; qu'une fille honnête comme vous subisse le mauvais exemple, c'est déjà certes un assez grand malheur; mais qu'elle l'autorise par son indulgence, c'est ce que je ne souffrirai pas.

– Mais, en vérité, dit Montalais se rebellant enfin, je ne sais pas sous quel prétexte vous me traitez ainsi; je ne fais point de mal, je suppose?

– Et ce grand fainéant, mademoiselle, reprit Mme de Saint-Remy montrant Malicorne, est-il ici pour faire le bien? je vous le demande.

– Il n'est ici ni pour le bien ni pour le mal, madame; il vient me voir, voilà tout.

– C'est bien, c'est bien, dit Mme de Saint-Remy; Son Altesse Royale sera instruite, et elle jugera.

– En tout cas, je ne vois pas pourquoi, répondit Montalais, il serait défendu à M. Malicorne d'avoir dessein sur moi, si son dessein est honnête.

– Dessein honnête, avec une pareille figure! s'écria Mme de Saint-Remy.

– Je vous remercie au nom de ma figure, madame, dit Malicorne.

– Venez, ma fille, venez, continua Mme de Saint-Remy; allons prévenir Madame qu'au moment même où elle pleure un époux, au moment où nous pleurons un maître dans ce vieux château de Blois, séjour de la douleur, il y a des gens qui s'amusent et se réjouissent.

– Oh! firent d'un seul mouvement les deux accusés.

– Une fille d'honneur! une fille d'honneur! s'écria la vieille dame en levant les mains au ciel.

– Eh bien! c'est ce qui vous trompe, madame, dit Montalais exaspérée; je ne suis plus fille d'honneur, de Madame du moins.

– Vous donnez votre démission, mademoiselle? Très bien! je ne puis qu'applaudir à une telle détermination et j'y applaudis.

– Je ne donne point ma démission, madame; je prends un autre service, voilà tout.

– Dans la bourgeoisie ou dans la robe? demanda Mme de Saint-Remy avec dédain.

– Apprenez, madame, dit Montalais, que je ne suis point fille à servir des bourgeoises ni des robines, et qu'au lieu de la cour misérable où vous végétez, je vais habiter une cour presque royale.

– Ah! ah! une cour royale, dit Mme de Saint-Remy en s'efforçant de rire; une cour royale, qu'en pensez-vous, ma fille?

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