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– Monsieur Malicorne, que vous voyez, dit de Guiche à de Wardes, est un charmant garçon qui n'a d'autre malheur que de ne pas être gentilhomme. Mais, vous le savez, moi, je fais peu de cas de l'homme qui n'est que gentilhomme.

– D'accord, dit de Wardes; mais seulement je vous ferai observer, mon cher comte, que, sans qualité, on ne peut raisonnablement espérer d'entrer chez Monsieur.

– C'est vrai, dit le comte, l'étiquette est formelle. Diable! diable! nous n'avions pas pensé à cela.

– Hélas! voilà un grand malheur pour moi, dit Malicorne en pâlissant légèrement, un grand malheur, monsieur le comte.

– Mais qui n'est pas sans remède, j'espère, répondit de Guiche.

– Pardieu! s'écria de Wardes, le remède est tout trouvé; on vous fera gentilhomme, mon cher monsieur: Son Éminence le cardinal Mazarini ne faisait pas autre chose du matin au soir.

– Paix, paix, de Wardes! dit le comte, pas de mauvaise plaisanterie; ce n'est point entre nous qu'il convient de plaisanter de la sorte; la noblesse peut s'acheter, c'est vrai, mais c'est un assez grand malheur pour que les nobles n'en rient pas.

– Ma foi! tu es bien puritain, comme disent les Anglais.

– M. le vicomte de Bragelonne, annonça un valet dans la cour, comme il eût fait dans un salon.

– Ah! cher Raoul, viens, viens donc. Tout botté aussi! tout éperonné aussi! Tu pars donc?

Bragelonne s'approcha du groupe de jeunes gens, et salua de cet air grave et doux qui lui était particulier. Son salut s'adressa surtout à de Wardes, qu'il ne connaissait point, et dont les traits s'étaient armés d'une étrange froideur en voyant apparaître Raoul.

– Mon ami, dit-il à de Guiche, je viens te demander ta compagnie. Nous partons pour Le Havre, je présume?

– Ah! c'est au mieux! c'est charmant! Nous allons faire un merveilleux voyage. Monsieur Malicorne, M. de Bragelonne. Ah! M. de Wardes, que je te présente.

Les jeunes gens échangèrent un salut compassé. Les deux natures semblaient dès l'abord disposées à se discuter l'une l'autre. De Wardes était souple, fin, dissimulé; Raoul, sérieux, élevé, droit.

– Mets-nous d'accord, de Wardes et moi, Raoul.

– À quel propos?

– À propos de noblesse.

– Qui s'y connaîtra, si ce n'est un Grammont?

– Je ne te demande pas de compliments, je te demande ton avis.

– Encore faut-il que je connaisse l'objet de la discussion.

– De Wardes prétend que l'on fait abus de titres; moi, je prétends que le titre est inutile à l'homme.

– Et tu as raison, dit tranquillement de Bragelonne.

– Mais, moi aussi, reprit de Wardes avec une espèce d'obstination, moi aussi, monsieur le vicomte, je prétends que j'ai raison.

– Que disiez-vous, monsieur?

– Je disais, moi, que l'on fait tout ce qu'on peut en France pour humilier les gentilshommes.

– Et qui donc cela? demanda Raoul.

– Le roi lui-même; il s'entoure de gens qui ne feraient pas preuve de quatre quartiers.

– Allons donc! fit de Guiche, je ne sais pas où diable vous avez vu cela, de Wardes.

– Un seul exemple.

Et de Wardes couvrit Bragelonne tout entier de son regard.

– Dis.

– Sais-tu qui vient d'être nommé capitaine général des mousquetaires, charge qui vaut plus que la pairie, charge qui donne le pas sur les maréchaux de France?

Raoul commença de rougir, car il voyait où de Wardes en voulait venir.

– Non; qui a-t-on nommé? Il n'y a pas longtemps en tout cas; car il y a huit jours la charge était encore vacante; à telle enseigne que le roi l'a refusée à Monsieur, qui la demandait pour un de ses protégés.

– Eh bien! mon cher, le roi l'a refusée au protégé de Monsieur pour la donner au chevalier d'Artagnan, à un cadet de Gascogne qui a traîné l'épée trente ans dans les antichambres.

– Pardon, monsieur, si je vous arrête, dit Raoul en lançant un regard plein de sévérité à de Wardes; mais vous me faites l'effet de ne pas connaître celui dont vous parlez.

– Je ne connais pas M. d'Artagnan! Eh! mon Dieu! qui donc ne le connaît pas?

– Ceux qui le connaissent, monsieur, reprit Raoul avec plus de calme et de froideur, sont tenus de dire que, s'il n'est pas aussi bon gentilhomme que le roi, ce qui n'est point sa faute, il égale tous les rois du monde en courage et en loyauté. Voilà mon opinion à moi, monsieur, et Dieu merci! je connais M. d'Artagnan depuis ma naissance.

De Wardes allait répliquer, mais de Guiche l'interrompit.

Chapitre LXXXII – Le portrait de Madame

La discussion allait s'aigrir, de Guiche l'avait parfaitement compris.

En effet, il y avait dans le regard de Bragelonne quelque chose d'instinctivement hostile.

Il y avait dans celui de de Wardes quelque chose comme un calcul d'agression. Sans se rendre compte des divers sentiments qui agitaient ses deux amis, de Guiche songea à parer le coup qu'il sentait prêt à être porté par l'un ou l'autre et peut-être par tous les deux.

– Messieurs, dit-il, nous devons nous quitter, il faut que je passe chez Monsieur. Prenons nos rendez-vous: toi, de Wardes, viens avec moi au Louvre; toi, Raoul, demeure le maître de la maison, et comme tu es le conseil de tout ce qui se fait ici, tu donneras le dernier coup d'œil à mes préparatifs de départ.

Raoul, en homme qui ne cherche ni ne craint une affaire, fit de la tête un signe d'assentiment, et s'assit sur un banc au soleil.

– C'est bien, dit de Guiche, reste là, Raoul, et fais-toi montrer les deux chevaux que je viens d'acheter; tu me diras ton sentiment, car je ne les ai achetés qu'à la condition que tu ratifierais le marché. À propos, pardon! j'oubliais de te demander des nouvelles de M. le comte de La Fère. Et tout en prononçant ces derniers mots, il observait de Wardes et essayait de saisir l'effet que produirait sur lui le nom du père de Raoul.

– Merci, répondit le jeune homme. M. le comte se porte bien.

Un éclair de haine passa dans les yeux de de Wardes. De Guiche ne parut pas remarquer cette lueur funèbre, et allant donner une poignée de main à Raoul:

– C'est convenu, n'est-ce pas, Bragelonne, dit-il, tu viens nous rejoindre dans la cour du Palais-Royal?

Puis, faisant signe de le suivre à de Wardes, qui se balançait tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre.

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