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– Ah! ah! vous la connaissez, monsieur?

– Oui, c'est ma fiancée, ou à peu près.

– C'est autre chose, alors… Mille compliments! s'écria de Guiche, sur les lèvres duquel voltigeait déjà une plaisanterie de courtisan, et que ce titre de fiancée donné par Malicorne à Mlle de Montalais rappela au respect des femmes.

– Et le second brevet, pour qui est-ce? demanda de Guiche. Est-ce pour la fiancée de Manicamp?… En ce cas, je la plains. Pauvre fille! elle aura pour mari un méchant sujet.

– Non, monsieur le comte… Le second brevet est pour Mlle La Baume Le Blanc de La Vallière.

– Inconnue, fit de Guiche.

– Inconnue? oui, monsieur, fit Malicorne en souriant à son tour.

– Bon! je vais en parler à Monsieur. À propos, elle est demoiselle?

– De très bonne maison, fille d'honneur de Madame douairière.

– Très bien! Voulez-vous m'accompagner chez Monsieur?

– Volontiers, si vous me faites cet honneur.

– Avez-vous votre carrosse?

– Non, je suis venu à cheval.

– Avec cet habit?

– Non, monsieur; j'arrive d'Orléans en poste, et j'ai changé mon habit de voyage contre celui-ci pour me présenter chez vous.

– Ah! c'est vrai, vous m'avez dit que vous arriviez d'Orléans.

Et il fourra, en la froissant, la lettre de Manicamp dans sa poche.

– Monsieur, dit timidement Malicorne, je crois que vous n'avez pas tout lu.

– Comment, je n'ai pas tout lu?

– Non, il y avait deux billets dans la même enveloppe.

– Ah! ah! vous êtes sûr?

– Oh! très sûr.

– Voyons donc.

Et le comte rouvrit le cachet.

– Ah! fit-il, c'est, ma foi, vrai.

Et il déplia le papier qu'il n'avait pas encore lu.

– Je m'en doutais, dit-il, un autre bon pour une charge chez Monsieur; oh! mais c'est un gouffre que ce Manicamp. Oh! le scélérat, il en fait donc commerce?

– Non, monsieur le comte, il veut en faire don.

– À qui?

– À moi, monsieur.

– Mais que ne disiez-vous cela tout de suite, mon cher monsieur de Mauvaise corne.

– Malicorne!

– Ah! pardon; c'est le latin qui me brouille, l'affreuse habitude des étymologies. Pourquoi diantre fait-on apprendre le latin aux jeunes gens de famille? Mala: mauvaise. Vous comprenez, c'est tout un. Vous me pardonnez, n'est-ce pas, monsieur de Malicorne?

– Votre bonté me touche, monsieur; mais c'est une raison pour que je vous dise une chose tout de suite.

– Quelle chose, monsieur?

– Je ne suis pas gentilhomme: j'ai bon cœur, un peu d'esprit, mais je m'appelle Malicorne tout court.

– Eh bien! s'écria de Guiche en regardant la malicieuse figure de son interlocuteur, vous me faites l'effet, monsieur, d'un aimable homme. J'aime votre figure, monsieur Malicorne; il faut que vous ayez de furieusement bonnes qualités pour avoir plu à cet égoïste de Manicamp. Soyez franc, vous êtes quelque saint descendu sur la terre.

– Pourquoi cela?

– Morbleu! pour qu'il vous donne quelque chose. N'avez-vous pas dit qu'il voulait vous faire don d'une charge chez le roi?

– Pardon, monsieur le comte; si j'obtiens cette charge, ce n'est point lui qui me l'aura donnée, c'est vous.

– Et puis il ne vous l'aura peut-être pas donnée pour rien tout à fait?

– Monsieur le comte…

– Attendez donc: il y a un Malicorne à Orléans. Parbleu! c'est cela! qui prête de l'argent à M. le prince.

– Je crois que c'est mon père, monsieur.

– Ah! voilà! M. le prince a le père, et cet affreux dévorateur de Manicamp a le fils. Prenez garde, monsieur, je le connais; il vous rongera, mordieu! jusqu'aux os.

– Seulement, je prête sans intérêt, moi, monsieur, dit en souriant Malicorne.

– Je disais bien que vous étiez un saint ou quelque chose d'approchant, monsieur Malicorne. Vous aurez votre charge ou j'y perdrai mon nom.

– Oh! monsieur le comte, quelle reconnaissance! dit Malicorne transporté.

– Allons chez le prince, mon cher monsieur Malicorne, allons chez le prince.

Et de Guiche se dirigea vers la porte en faisant signe à Malicorne de le suivre.

Mais au moment où ils allaient en franchir le seuil, un jeune homme apparut de l'autre côté.

C'était un cavalier de vingt-quatre à vingt-cinq ans, au visage pâle, aux lèvres minces, aux yeux brillants, aux cheveux et aux sourcils bruns.

– Eh! bonjour, dit-il tout à coup en repoussant pour ainsi dire Guiche dans l'intérieur de la cour.

– Ah! ah! vous ici, de Wardes. Vous, botté, éperonné, et le fouet à la main!

– C'est la tenue qui convient à un homme qui part pour Le Havre. Demain, il n'y aura plus personne à Paris.

Et le nouveau venu salua cérémonieusement Malicorne, à qui son bel habit donnait des airs de prince.

– M. Malicorne, dit de Guiche à son ami.

De Wardes salua.

– M. de Wardes, dit de Guiche à Malicorne.

Malicorne salua à son tour.

– Voyons, de Wardes, continua de Guiche, dites-nous cela, vous qui êtes à l'affût de ces sortes de choses: quelles charges y a-t-il encore à donner à la cour, ou plutôt dans la maison de Monsieur?

– Dans la maison de Monsieur? dit de Wardes en levant les yeux en l'air pour chercher. Attendez donc… celle de grand écuyer, je crois.

– Oh! s'écria Malicorne, ne parlons point de pareils postes, monsieur; mon ambition ne va pas au quart du chemin.

De Wardes avait le coup d'œil plus défiant que de Guiche, il devina tout de suite Malicorne.

– Le fait est, dit-il en le toisant, que, pour occuper cette charge, il faut être duc et pair.

– Tout ce que je demande, moi, dit Malicorne, c'est une charge très humble; je suis peu et ne m'estime point au-dessus de ce que je suis.

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