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– Oh! moi, fit la jeune reine, je suis l’effroi de tous ceux qui se divertissent.

– Et moi aussi, à ce qu’il paraît, reprit Monsieur.

Anne d’Autriche fit un signe muet à sa bru, qui se retira en fondant en larmes.

Monsieur fronça le sourcil.

– Voilà une triste maison, dit-il, qu’en pensez-vous, ma mère?

– Mais… non… non… tout le monde ici cherche son plaisir.

– C’est pardieu bien ce qui attriste ceux que ce plaisir gêne.

– Comme vous dites cela, mon cher Philippe!

– Ma foi! ma mère, je le dis comme je le pense.

– Expliquez-vous; qu’y a-t-il?

– Mais demandez à ma belle-sœur, qui tout à l’heure vous contait ses peines.

– Ses peines… quoi?…

– Oui, j’écoutais; par hasard, je l’avoue, mais enfin j’écoutais… Eh bien! j’ai trop entendu ma sœur se plaindre des fameux bains de Madame.

– Ah! folie…

– Non, non, non, lorsqu’on pleure, on n’est pas toujours fou… Banos, disait la reine; cela ne veut-il pas dire bains?

– Je vous répète, mon fils, dit Anne d’Autriche, que votre belle-sœur est d’une jalousie puérile.

– En ce cas, madame, répondit le prince, je m’accuse bien humblement d’avoir le même défaut qu’elle.

– Vous aussi, mon fils?

– Certainement.

– Vous aussi, vous êtes jaloux de ces bains?

– Parbleu!

– Oh!

– Comment! le roi va se baigner avec ma femme et n’emmène pas la reine? Comment! Madame va se baigner avec le roi, et l’on ne me fait pas l’honneur de me prévenir? Et vous voulez que ma belle-sœur soit contente? et vous voulez que je sois content?

– Mais, mon cher Philippe, dit Anne d’Autriche, vous extravaguez; vous avez fait chasser M. de Buckingham, vous avez fait exiler M. de Guiche; ne voulez-vous pas maintenant renvoyer le roi de Fontainebleau?

– Oh! telle n’est point ma prétention, madame, dit aigrement Monsieur. Mais je puis bien me retirer, moi, et je me retirerai.

– Jaloux du roi! jaloux de votre frère!

– Jaloux de mon frère! du roi! oui, madame, jaloux! jaloux! jaloux!

– Ma foi, monsieur, s’écria Anne d’Autriche en jouant l’indignation et la colère, je commence à vous croire fou et ennemi juré de mon repos, et vous quitte la place, n’ayant pas de défense contre de pareilles imaginations.

Elle dit, leva le siège et laissa Monsieur en proie au plus furieux emportement.

Monsieur resta un instant tout étourdi; puis, revenant à lui, pour retrouver toutes ses forces, il descendit de nouveau à l’écurie, retrouva le palefrenier, lui redemanda un carrosse, lui redemanda un cheval; et sur sa double réponse qu’il n’y avait ni cheval ni carrosse, Monsieur arracha une chambrière aux mains d’un valet d’écurie et se mit à poursuivre le pauvre diable à grands coups de fouet tout autour de la cour des communs, malgré ses cris et ses excuses; puis, essoufflé, hors d’haleine, ruisselant de sueur, tremblant de tous ses membres, il remonta chez lui, mit en pièces ses plus charmantes porcelaines, puis se coucha, tout botté, tout éperonné dans son lit, en criant:

– Au secours!

Chapitre CX – Le bain

À Vulaines, sous des voûtes impénétrables d’osiers fleuris, de saules qui, inclinant leurs têtes vertes, trempaient les extrémités de leur feuillage dans l’onde bleue, une barque, longue et plate, avec des échelles couvertes de longs rideaux bleus, servait de refuge aux Dianes baigneuses que guettaient à leur sortie de l’eau vingt Actéons empanachés qui galopaient, ardents et pleins de convoitise, sur le bord moussu et parfumé de la rivière.

Mais Diane, même la Diane pudique, vêtue de la longue chlamyde, était moins chaste, moins impénétrable que Madame, jeune et belle comme la déesse. Car, malgré la fine tunique de la chasseresse, on voyait son genou rond et blanc; malgré le carquois sonore, on apercevait ses brunes épaules; tandis qu’un long voile cent fois roulé enveloppait Madame, alors qu’elle se remettait aux bras de ses femmes, et la rendait inabordable aux plus indiscrets comme aux plus pénétrants regards.

Lorsqu’elle remonta l’escalier, les poètes présents, et tous étaient poètes quand il s’agissait de Madame, les vingt poètes galopants s’arrêtèrent, et, d’une voix commune, s’écrièrent que ce n’étaient pas des gouttes d’eau, mais bien des perles qui tombaient du corps de Madame et s’allaient perdre dans l’heureuse rivière.

Le roi, centre de ces poésies et de ces hommages, imposa silence aux amplificateurs dont la verve n’eût pas tari, et tourna bride, de peur d’offenser, même sous les rideaux de soie, la modestie de la femme et la dignité de la princesse.

Il se fit donc un grand vide dans la scène et un grand silence dans la barque. Aux mouvements, au jeu des plis, aux ondulations des rideaux, on devinait les allées et venues des femmes empressées pour leur service.

Le roi écoutait en souriant les propos de ses gentilshommes, mais on pouvait deviner en le regardant que son attention n’était point à leurs discours.

En effet, à peine le bruit des anneaux glissant sur les tringles eut-il annoncé que Madame était vêtue et que la déesse allait paraître, que le roi, se retournant sur-le-champ, et courant auprès du rivage, donna le signal à tous ceux que leur service ou leur plaisir appelaient auprès de Madame.

On vit les pages se précipiter, amenant avec eux les chevaux de main; on vit les calèches, restées à couvert sous les branches, s’avancer auprès de la tente, plus cette nuée de valets, de porteurs, de femmes qui, pendant le bain des maîtres, avaient échangé à l’écart leurs observations, leurs critiques, leurs discussions d’intérêts, journal fugitif de cette époque, dont nul ne se souvient, pas même les flots, miroir des personnages, écho des discours; les flots, témoins que Dieu a précipités eux-mêmes dans l’immensité, comme il a précipité les acteurs dans l’éternité.

Tout ce monde encombrant les bords de la rivière, sans compter une foule de paysans attirés par le désir de voir le roi et la princesse, tout ce monde fut, pendant huit ou dix minutes, le plus désordonné, le plus agréable pêle-mêle qu’on pût imaginer.

Le roi avait mis pied à terre: tous les courtisans l’avaient imité; il avait offert la main à Madame, dont un riche habit de cheval développait la taille élégante, qui ressortait sous ce vêtement de fine laine, broché d’argent.

Ses cheveux, humides encore, et plus foncés que le jais, mouillaient son cou si blanc et si pur. La joie et la santé brillaient dans ses beaux yeux; elle était reposée, nerveuse, elle aspirait l’air à longs traits sous le parasol brodé que lui portait un page.

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