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Puis après un silence:

– Vous m’aimez donc bien? demanda-t-elle.

– Oh! follement. Au point d’en mourir, comme vous le disiez. Au point d’en mourir, soit que vous me chassiez, soit que vous m’écoutiez encore.

– Alors, c’est un mal sans espoir, dit-elle d’un air enjoué, un mal qu’il convient de traiter par les adoucissants. Là! donnez-moi votre main… Elle est glacée!

De Guiche s’agenouilla, collant sa bouche, non pas sur l’une, mais sur les deux mains brûlantes de Madame.

– Allons, aimez-moi donc, dit la princesse, puisqu’il n’en saurait être autrement.

Et elle lui serra les doigts presque imperceptiblement, le relevant ainsi, moitié comme eût fait une reine, et moitié comme eût fait une amante.

De Guiche frissonna par tout le corps.

Madame sentit courir ce frisson dans les veines du jeune homme, et comprit que celui-là aimait véritablement.

– Votre bras, comte, dit-elle, et rentrons.

– Ah! madame, lui dit le comte chancelant, ébloui, un nuage de flamme sur les yeux. Ah! vous avez trouvé un troisième moyen de me tuer.

– Heureusement que c’est le plus long, n’est-ce pas? répliqua-t-elle.

Et elle l’entraîna vers le quinconce.

Chapitre CXX – La correspondance d’Aramis

Tandis que les affaires de de Guiche, raccommodées ainsi tout à coup sans qu’il pût deviner la cause de cette amélioration, prenaient cette tournure inespérée que nous leur avons vu prendre, Raoul, ayant compris l’invitation de Madame, s’était éloigné pour ne pas troubler cette explication dont il était loin de deviner les résultats, et il avait rejoint les dames d’honneur éparses dans le parterre.

Pendant ce temps, le chevalier de Lorraine, remonté dans sa chambre, lisait avec surprise la lettre de de Wardes, laquelle lui racontait ou plutôt lui faisait raconter, par la main de son valet de chambre, le coup d’épée reçu à Calais et tous les détails de cette aventure avec invitation d’en communiquer à de Guiche et à Monsieur ce qui, dans cet événement, pouvait être particulièrement désagréable à chacun d’eux.

De Wardes s’attachait surtout à démontrer au chevalier la violence de cet amour de Buckingham pour Madame, et il terminait sa lettre en annonçant qu’il croyait cette passion payée de retour.

À la lecture de ce dernier paragraphe, le chevalier haussa les épaules; en effet, de Wardes était fort arriéré, comme on a pu le voir.

De Wardes n’en était encore qu’à Buckingham.

Le chevalier jeta par-dessus son épaule le papier sur une table voisine, et, d’un ton dédaigneux:

– En vérité, dit-il, c’est incroyable; ce pauvre de Wardes est pourtant un garçon d’esprit; mais, en vérité, il n’y paraît pas, tant on s’encroûte en province. Que le diable emporte ce benêt, qui devait m’écrire des choses importantes et qui m’écrit de pareilles niaiseries! Au lieu de cette pauvreté de lettre qui ne signifie rien, j’eusse trouvé là-bas, dans les quinconces, une bonne petite intrigue qui eût compromis une femme, valu peut-être un coup d’épée à un homme et diverti Monsieur pendant trois jours.

Il regarda sa montre.

– Maintenant, fit-il, il est trop tard. Une heure du matin: tout le monde doit être rentré chez le roi, où l’on achève la nuit; allons, c’est une piste perdue, et à moins de chance extraordinaire…

Et, en disant ces mots, comme pour en appeler à sa bonne étoile, le chevalier s’approcha avec dépit de la fenêtre qui donnait sur une portion assez solitaire du jardin.

Aussitôt, et comme si un mauvais génie eût été à ses ordres, il aperçut, revenant vers le château en compagnie d’un homme, une mante de soie de couleur sombre, et reconnut cette tournure qui l’avait frappé une demi-heure auparavant.

«Eh! mon Dieu! pensa-t-il en frappant des mains, Dieu me damne! comme dit notre ami Buckingham, voici mon mystère.»

Et il s’élança précipitamment à travers les degrés dans l’espérance d’arriver à temps dans la cour pour reconnaître la femme à la mante et son compagnon.

Mais, en arrivant à la porte de la petite cour, il se heurta presque avec Madame, dont le visage radieux apparaissait plein de révélations charmantes sous cette mante qui l’abritait sans la cacher. Malheureusement, Madame était seule.

Le chevalier comprit que, puisqu’il l’avait vue, il n’y avait pas cinq minutes, avec un gentilhomme, le gentilhomme ne devait pas être bien loin.

En conséquence, il prit à peine le temps de saluer la princesse, tout en se rangeant pour la laisser passer; puis, lorsqu’elle eut fait quelques pas avec la rapidité d’une femme qui craint d’être reconnue, lorsque le chevalier vit qu’elle était trop préoccupée d’elle-même pour s’inquiéter de lui, il s’élança dans le jardin, regardant rapidement de tous côtés et embrassant le plus d’horizon qu’il pouvait dans son regard.

Il arrivait à temps: le gentilhomme qui avait accompagné Madame était encore à portée de la vue; seulement, il s’avançait rapidement vers une des ailes du château derrière laquelle il allait disparaître.

Il n’y avait pas une minute à perdre; le chevalier s’élança à sa poursuite, quitte à ralentir le pas en s’approchant de l’inconnu; mais, quelque diligence qu’il fit, l’inconnu avait tourné le perron avant lui.

Cependant, il était évident que comme celui que le chevalier poursuivait marchait doucement, tout pensif, et la tête inclinée sous le poids du chagrin ou du bonheur, une fois l’angle tourné, à moins qu’il ne fût entré par quelque porte, le chevalier ne pouvait manquer de le rejoindre.

C’est ce qui fût certainement arrivé si, au moment où il tournait cet angle, le chevalier ne se fût jeté dans deux personnes qui le tournaient elles-mêmes dans le sens opposé.

Le chevalier était tout prêt à faire un assez mauvais parti à ces deux fâcheux, lorsqu’en relevant la tête il reconnut M. le surintendant.

Fouquet était accompagné d’une personne que le chevalier voyait pour la première fois.

Cette personne, c’était Sa Grandeur l’évêque de Vannes.

Arrêté par l’importance du personnage, et forcé par les convenances à faire des excuses là où il s’attendait à en recevoir, le chevalier fit un pas en arrière; et comme M. Fouquet avait sinon l’amitié, du moins les respects de tout le monde, comme le roi lui-même, quoiqu’il fût plutôt son ennemi que son ami, traitait M. Fouquet en homme considérable, le chevalier fit ce que le roi eût fait, il salua M. Fouquet, qui le saluait avec une bienveillante politesse, voyant que ce gentilhomme l’avait heurté par mégarde et sans mauvaise intention aucune.

Puis, presque aussitôt, ayant reconnu le chevalier de Lorraine, il lui fit quelques compliments auxquels force fut au chevalier de répondre.

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