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Si court que fût ce dialogue, le chevalier de Lorraine vit peu à peu avec un déplaisir mortel son inconnu diminuer et s’effacer dans l’ombre.

Le chevalier se résigna, et, une fois résigné, revint complètement à M. Fouquet.

– Ah! monsieur, dit-il, vous arrivez bien tard. On s’est fort occupé ici de votre absence, et j’ai entendu Monsieur s’étonner de ce qu’ayant été invité par le roi, vous n’étiez pas venu.

– La chose m’a été impossible, monsieur, et, aussitôt libre, j’arrive.

– Paris est tranquille?

– Parfaitement. Paris a fort bien reçu sa dernière taxe.

– Ah! je comprends que vous ayez voulu vous assurer de ce bon vouloir avant de venir prendre part à nos fêtes.

– Je n’en arrive pas moins un peu tard. Je m’adresserai donc à vous, monsieur, pour vous demander si le roi est dehors ou au château, si je pourrai le voir ce soir ou si je dois attendre à demain.

– Nous avons perdu de vue le roi depuis une demi-heure à peu près, dit le chevalier.

– Il sera peut-être chez Madame? demanda Fouquet.

– Chez Madame, je ne crois pas, car je viens de rencontrer Madame qui rentrait par le petit escalier; et à moins que ce gentilhomme que vous venez de croiser tout à l’heure ne fût le roi en personne…

Et le chevalier attendit, espérant qu’il saurait ainsi le nom de celui qu’il avait poursuivi.

Mais Fouquet, qu’il eût reconnu ou non de Guiche, se contenta de répondre:

– Non, monsieur, ce n’était pas lui.

Le chevalier, désappointé, salua; mais, tout en saluant, ayant jeté un dernier coup d’œil autour de lui et ayant aperçu M. Colbert au milieu d’un groupe:

– Tenez, monsieur, dit-il au surintendant, voici là-bas, sous les arbres, quelqu’un qui vous renseignera mieux que moi.

– Qui? demanda Fouquet, dont la vue faible ne perçait pas les ombres.

– M. Colbert, répondit le chevalier.

– Ah! fort bien. Cette personne qui parle là-bas à ces hommes portant des torches, c’est M. Colbert?

– Lui-même. Il donne ses ordres pour demain aux dresseurs d’illuminations.

– Merci, monsieur.

Et Fouquet fit un mouvement de tête qui indiquait qu’il avait appris tout ce qu’il désirait savoir.

De son côté, le chevalier, qui, tout au contraire, n’avait rien appris, se retira sur un profond salut.

À peine fut-il éloigné, que Fouquet, fronçant le sourcil, tomba dans une profonde rêverie.

Aramis le regarda un instant avec une espèce de compassion pleine de tristesse.

– Eh bien, lui dit-il, vous voilà ému au seul nom de cet homme. Eh quoi! triomphant et joyeux tout à l’heure, voilà que vous vous rembrunissez à l’aspect de ce médiocre fantôme. Voyons, monsieur, croyez-vous en votre fortune?

– Non, répondit tristement Fouquet.

– Et pourquoi?

– Parce que je suis trop heureux en ce moment, répliqua-t-il d’une voix tremblante. Ah! mon cher d’Herblay, vous qui êtes si savant, vous devez connaître l’histoire d’un certain tyran de Samos. Que puis-je jeter à la mer qui désarme le malheur à venir? Oh! je vous le répète, mon ami, je suis trop heureux! si heureux que je ne désire plus rien au-delà de ce que j’ai… Je suis monté si haut… Vous savez ma devise: Quo non ascendam? Je suis monté si haut, que je n’ai plus qu’à descendre. Il m’est donc impossible de croire au progrès d’une fortune qui est déjà plus qu’humaine.

Aramis sourit en fixant sur Fouquet son œil si caressant et si fin.

– Si je connaissais votre bonheur, dit-il, je craindrais peut-être votre disgrâce; mais vous me jugez en véritable ami, c’est-à-dire que vous me trouvez bon pour l’infortune, voilà tout. C’est déjà immense et précieux, je le sais; mais, en vérité, j’ai bien le droit de vous demander de me confier de temps en temps les choses heureuses qui vous arrivent et auxquelles je prendrais part, vous le savez, plus qu’à celles qui m’arriveraient à moi même.

– Mon cher prélat, dit en riant Fouquet, mes secrets sont par trop profanes pour que je les confie à un évêque, si mondain qu’il soit.

– Bah! en confession?

– Oh! je rougirais trop si vous étiez mon confesseur.

Et Fouquet se mit à soupirer.

Aramis le regarda encore sans autre manifestation de sa pensée que son muet sourire.

– Allons, dit-il, c’est une grande vertu que la discrétion.

– Silence! dit Fouquet. Voici cette venimeuse bête qui m’a reconnu et qui s’approche de nous.

– Colbert?

– Oui; écartez-vous, mon cher d’Herblay; je ne veux pas que ce cuistre vous voie avec moi, il vous prendrait en aversion.

Aramis lui serra la main.

– Qu’ai-je de son amitié? dit-il; n’êtes-vous pas là?

– Oui; mais peut-être n’y serai-je pas toujours, répondit mélancoliquement Fouquet.

– Ce jour-là, si ce jour-là vient jamais, dit tranquillement Aramis, nous aviserons à nous passer de l’amitié ou à braver l’aversion de M. Colbert. Mais dites-moi, cher monsieur Fouquet, au lieu de vous entretenir avec ce cuistre, comme vous lui faites l’honneur de l’appeler, conversation dont je ne sens pas l’utilité, que ne vous rendez-vous, sinon auprès du roi, du moins auprès de Madame?

– De Madame? fit le surintendant distrait par ses souvenirs. Oui, sans doute, près de Madame.

– Vous vous rappelez, continua Aramis, qu’on nous a appris la grande faveur dont Madame jouit depuis deux ou trois jours. Il entre, je crois, dans votre politique et dans nos plans que vous fassiez assidûment votre cour aux amies de Sa Majesté. C’est le moyen de balancer l’autorité naissante de M. Colbert. Rendez-vous donc le plus tôt possible près de Madame et ménagez-vous cette alliée.

– Mais, dit Fouquet, êtes-vous bien sûr que c’est véritablement sur elle que le roi a les yeux fixés en ce moment?

– Si l’aiguille avait tourné, ce serait depuis ce matin. Vous savez que j’ai ma police.

– Bien! j’y vais de ce pas et à tout hasard j’aurai mon moyen d’introduction: c’est une magnifique paire de camées antiques enchâssés dans des diamants.

– Je l’ai vue; rien de plus riche et de plus royal.

Ils furent interrompus en ce moment par un laquais conduisant un courrier.

– Pour Monsieur le surintendant, dit tout haut ce courrier en présentant à Fouquet une lettre.

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