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– Pour Monseigneur l’évêque de Vannes, dit tout bas le laquais en remettant une lettre à Aramis.

Et, comme le laquais portait une torche, il se plaça entre le surintendant et l’évêque, afin que tous deux pussent lire en même temps.

À l’aspect de l’écriture fine et serrée de l’enveloppe, Fouquet tressaillit de joie; ceux-là seuls qui aiment ou qui ont aimé comprendront son inquiétude d’abord, puis son bonheur ensuite.

Il décacheta vivement la lettre, qui ne renfermait que ces seuls mots:

«Il y a une heure que je t’ai quitté, il y a un siècle que je ne t’ai dit: Je t’aime.»

C’était tout.

Mme de Bellière avait, en effet, quitté Fouquet depuis une heure, après avoir passé deux jours avec lui; et de peur que son souvenir ne s’écartât trop longtemps du cœur qu’elle regrettait, elle lui envoyait le courrier porteur de cette importante missive.

Fouquet baisa la lettre et la paya d’une poignée d’or.

Quant à Aramis, il lisait, comme nous avons dit, de son côté, mais avec plus de froideur et de réflexion, le billet suivant:

«Le roi a été frappé ce soir d’un coup étrange: une femme l’aime. Il l’a su par hasard en écoutant la conversation de cette jeune fille avec ses compagnes. De sorte que le roi est tout entier à ce nouveau caprice. La femme s’appelle Mlle de La Vallière et est d’une assez médiocre beauté pour que ce caprice devienne une grande passion. Prenez garde à Mlle de La Vallière.»

Pas un mot de Madame.

Aramis replia lentement le billet et le mit dans sa poche.

Quant à Fouquet, il savourait toujours les parfums de sa lettre.

– Monseigneur! dit Aramis touchant le bras de Fouquet.

– Hein! demanda celui-ci.

– Il me vient une idée. Connaissez-vous une petite fille qu’on appelle La Vallière?

– Ma foi! non.

– Cherchez bien.

– Ah! oui, je crois, une des filles d’honneur de Madame.

– Ce doit être cela.

– Eh bien! après?

– Eh bien! monseigneur, c’est à cette petite fille qu’il faut que vous rendiez une visite ce soir.

– Bah! et comment?

– Et, de plus, c’est à cette petite fille qu’il faut que vous donniez vos camées.

– Allons donc!

– Vous savez, monseigneur, que je suis de bon conseil.

– Mais cet imprévu…

– C’est mon affaire. Vite une cour en règle à la petite La Vallière, monseigneur. Je me ferai garant près de Mme de Bellière que c’est une cour toute politique.

– Que dites-vous là, mon ami, s’écria vivement Fouquet, et quel nom avez vous prononcé?

– Un nom qui doit vous prouver, monsieur le surintendant, que, bien instruit pour vous, je puis être aussi bien instruit pour les autres. Faites la cour à la petite La Vallière.

– Je ferai la cour à qui vous voudrez, répondit Fouquet avec le paradis dans le cœur.

– Voyons, voyons, redescendez sur la terre, voyageur du septième ciel, dit Aramis; voici M. de Colbert. Oh! mais il a recruté tandis que nous lisions; il est entouré, loué, congratulé; décidément, c’est une puissance.

En effet, Colbert s’avançait escorté de tout ce qui restait de courtisans dans les jardins, et chacun lui faisait, sur l’ordonnance de la fête, des compliments dont il s’enflait à éclater.

– Si La Fontaine était là, dit en souriant Fouquet, quelle belle occasion pour lui de réciter la fable de la grenouille qui veut se faire aussi grosse qu’un bœuf.

Colbert arriva dans un cercle éblouissant de lumière; Fouquet l’attendit impassible et légèrement railleur.

Colbert lui souriait aussi; il avait vu son ennemi déjà depuis près d’un quart d’heure, il s’approchait tortueusement.

Le sourire de Colbert présageait quelque hostilité.

– Oh! oh! dit Aramis tout bas au surintendant, le coquin va vous demander encore quelques millions pour payer ses artifices et ses verres de couleur.

Colbert salua le premier d’un air qu’il s’efforçait de rendre respectueux.

Fouquet remua la tête à peine.

– Eh bien! monseigneur, demanda Colbert, que disent vos yeux? Avons nous eu bon goût?

– Un goût parfait, répondit Fouquet, sans qu’on pût remarquer dans ces paroles la moindre raillerie.

– Oh! dit Colbert méchamment, vous y mettez de l’indulgence… Nous sommes pauvres, nous autres gens du roi, et Fontainebleau n’est pas un séjour comparable à Vaux.

– C’est vrai, répondit flegmatiquement Fouquet, qui dominait tous les acteurs de cette scène.

– Que voulez-vous, monseigneur! continua Colbert, nous avons agi selon nos petites ressources.

Fouquet fit un geste d’assentiment.

– Mais, poursuivit Colbert, il serait digne de votre magnificence, monseigneur, d’offrir à Sa Majesté une fête dans vos merveilleux jardins… dans ces jardins qui vous ont coûté soixante millions.

– Soixante-douze, dit Fouquet.

– Raison de plus, reprit Colbert. Voilà qui serait vraiment magnifique.

– Mais, croyez-vous, monsieur, dit Fouquet, que Sa Majesté daigne accepter mon invitation?

– Oh! je n’en doute pas, s’écria vivement Colbert, et je m’en porterai caution.

– C’est fort aimable à vous, dit Fouquet. J’y puis donc compter?

– Oui, monseigneur, oui, certainement.

– Alors, je me consulterai, dit Fouquet.

– Acceptez, acceptez, dit tout bas et vivement Aramis.

– Vous vous consulterez? répéta Colbert.

– Oui, répondit Fouquet, pour savoir quel jour je pourrai faire mon invitation au roi.

– Oh! dès ce soir, monseigneur, dès ce soir.

– Accepté, fit le surintendant. Messieurs, je voudrais vous faire mes invitations; mais vous savez que, partout où va le roi, le roi est chez lui, c’est donc à vous de vous faire inviter par Sa Majesté.

Il y eut une rumeur joyeuse dans la foule.

Fouquet salua et partit.

– Misérable orgueilleux! dit Colbert, tu acceptes, et tu sais que cela te coûtera dix millions.

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