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Quatre laquais y avaient essayé en vain, tirant à eux comme des cabestans.

Ils n'avaient pas même réussi à réveiller Porthos. On lui enleva ses bottes par lanières, et ses jambes retombèrent sur le lit; on lui coupa le reste de ses habits, on le porta dans un bain, on l'y laissa une heure, puis on le revêtit de linge blanc et on l'introduisit dans un lit bassiné, le tout avec des efforts et des peines qui eussent incommodé un mort, mais qui ne firent pas même ouvrir l'œil à Porthos et n'interrompirent pas une seconde l'orgue formidable de ses ronflements.

Aramis voulait, de son côté, nature sèche et nerveuse, armée d'un courage exquis, braver aussi la fatigue et travailler avec Gourville et Pellisson; mais il s'évanouit sur la chaise où il s'était obstiné à rester. On l'enleva pour le porter dans une chambre voisine, où le repos du lit ne tarda point à provoquer le calme de la tête.

Chapitre LXXV – Où M. Fouquet agit

Cependant Fouquet courait vers le Louvre au grand galop de son attelage anglais.

Le roi travaillait avec Colbert. Tout à coup le roi demeura pensif. Ces deux arrêts de mort qu'il avait signés en montant sur le trône lui revenaient parfois en mémoire. C'étaient deux taches de deuil qu'il voyait les yeux ouverts; deux taches de sang qu'il voyait les yeux fermés.

– Monsieur, dit-il tout à coup à l'intendant, il me semble parfois que ces deux hommes que vous avez fait condamner n'étaient pas de bien grands coupables.

– Sire, ils avaient été choisis dans le troupeau des traitants, qui avait besoin d'être décimé.

– Choisis par qui?

– Par la nécessité, Sire, répondit froidement Colbert.

– La nécessité! grand mot! murmura le jeune roi.

– Grande déesse, Sire.

– C'étaient des amis fort dévoués au surintendant, n'est-ce pas?

– Oui, Sire, des amis qui eussent donné leur vie pour M. Fouquet.

– Ils l'ont donnée, monsieur, dit le roi.

– C'est vrai, mais inutilement, par bonheur, ce qui n'était pas leur intention.

– Combien ces hommes avaient-ils dilapidé d'argent?

– Dix millions peut-être, dont six ont été confisqués sur eux.

– Et cet argent est dans mes coffres? demanda le roi avec un certain sentiment de répugnance.

– Il y est, Sire; mais cette confiscation, tout en menaçant M. Fouquet, ne l'a point atteint.

– Vous concluez, monsieur Colbert?…

– Que si M. Fouquet a soulevé contre Votre Majesté une troupe de factieux pour arracher ses amis au supplice, il soulèvera une armée quand il s'agira de se soustraire lui-même au châtiment.

Le roi fit jaillir sur son confident un de ces regards qui ressemblent au feu sombre d'un éclair d'orage; un de ces regards qui vont illuminer les ténèbres des plus profondes consciences.

– Je m'étonne, dit-il, que, pensant sur M. Fouquet de pareilles choses, vous ne veniez pas me donner un avis.

– Quel avis, Sire?

– Dites-moi d'abord, clairement et précisément, ce que vous pensez, monsieur Colbert.

– Sur quoi?

– Sur la conduite de M. Fouquet.

– Je pense, Sire, que M. Fouquet, non content d'attirer à lui l'argent, comme faisait M. de Mazarin, et de priver par-là Votre Majesté d'une partie de sa puissance, veut encore attirer à lui tous les amis de la vie facile et des plaisirs, de ce qu'enfin les fainéants appellent la poésie, et les politiques la corruption; je pense qu'en soudoyant les sujets de Votre Majesté il empiète sur la prérogative royale, et ne peut, si cela continue ainsi, tarder à reléguer Votre Majesté parmi les faibles et les obscurs.

– Comment qualifie-t-on tous ces projets, monsieur Colbert?

– Les projets de M. Fouquet, Sire?

– Oui.

– On les nomme crimes de lèse-majesté.

– Et que fait-on aux criminels de lèse-majesté?

– On les arrête, on les juge, on les punit.

– Vous êtes bien sûr que M. Fouquet a conçu la pensée du crime que vous lui imputez?

– Je dirai plus, Sire, il y a eu chez lui commencement d'exécution.

– Eh bien! j'en reviens à ce que je disais, monsieur Colbert.

– Et vous disiez, Sire?

– Donnez-moi un conseil.

– Pardon, Sire, mais auparavant j'ai encore quelque chose à ajouter.

– Dites.

– Une preuve évidente, palpable, matérielle de trahison.

– Laquelle?

– Je viens d'apprendre que M. Fouquet fait fortifier Belle-Île-en-Mer.

– Ah! vraiment!

– Oui, Sire.

– Vous en êtes sûr?

– Parfaitement; savez-vous, Sire, ce qu'il y a de soldats à Belle-Île?

– Non, ma foi; et vous?

– Je l'ignore, Sire, je voulais donc proposer à Votre Majesté d'envoyer quelqu'un à Belle-Île.

– Qui cela?

– Moi, par exemple.

– Qu'iriez-vous faire à Belle-Île?

– M'informer s'il est vrai qu'à l'exemple des anciens seigneurs féodaux, M. Fouquet fait créneler ses murailles.

– Et dans quel but ferait-il cela?

– Dans le but de se défendre un jour contre son roi.

– Mais s'il en est ainsi, monsieur Colbert, dit Louis, il faut faire tout de suite comme vous disiez: il faut arrêter M. Fouquet.

– Impossible!

– Je croyais vous avoir déjà dit, monsieur, que je supprimais ce mot dans mon service.

– Le service de Votre Majesté ne peut empêcher M. Fouquet d’être surintendant général.

– Eh bien?

– Et que par conséquent, par cette charge, il n'ait pour lui tout le Parlement, comme il a toute l'armée par ses largesses, toute la littérature par ses grâces, toute la noblesse par ses présents.

– C'est-à-dire alors que je ne puis rien contre M. Fouquet?

– Rien absolument, du moins à cette heure, Sire.

– Vous êtes un conseiller stérile, monsieur Colbert.

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