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– Qu'y a-t-il? dit Raoul.

– Ce billet, monsieur. M. le comte a su que vous étiez de retour, et il vous a écrit sur-le-champ; je vous cherche depuis une heure.

Raoul se rapprocha d'Athos pour décacheter la lettre.

– Vous permettez, monsieur? dit-il.

– Faites.

«Cher Raoul, disait le comte de Guiche, j'ai une affaire d'importance à traiter sans retard; je sais que vous êtes arrivé; venez vite.»

Il achevait à peine de lire, lorsque, débouchant de la galerie, un valet, à la livrée de Buckingham, reconnaissant Raoul, s'approcha de lui respectueusement.

– De la part de milord duc, dit-il.

– Ah! s'écria Athos, je vois, Raoul, que vous êtes déjà en affaires comme un général d'armée; je vous laisse, je trouverai seul M. d'Artagnan.

– Veuillez m'excuser, je vous prie, dit Raoul.

– Oui, oui, je vous excuse; adieu, Raoul. Vous me retrouverez chez moi jusqu'à demain; au jour, je pourrai partir pour Blois, à moins de contrordre.

– Monsieur, je vous présenterai demain mes respects.

Athos partit.

Raoul ouvrit la lettre de Buckingham.

«Monsieur de Bragelonne, disait le duc, vous êtes de tous les Français que j'ai vus celui qui me plaît le plus; je vais avoir besoin de votre amitié. Il m'arrive certain message écrit en bon français. Je suis Anglais, moi, et j'ai peur de ne pas assez bien comprendre. La lettre est signée d’un bon nom, voilà tout ce que je sais. Serez-vous assez obligeant pour me venir voir, car j'apprends que vous êtes arrivé de Blois? Votre dévoué, Villiers, duc de Buckingham.»

– Je vais trouver ton maître, dit Raoul au valet de Guiche en le congédiant. Et, dans une heure, je serai chez M. de Buckingham, ajouta-t-il en faisant de la main un signe au messager du duc.

Chapitre XCIV – Une foule de coups d'épée dans l'eau

Raoul, en se rendant chez de Guiche, trouva celui-ci causant avec de Wardes et Manicamp. De Wardes, depuis l'aventure de la barrière, traitait Raoul en étranger.

On eût dit qu'il ne s'était rien passé entre eux; seulement, ils avaient l'air de ne pas se connaître.

Raoul entra, de Guiche marcha au-devant de lui. Raoul, tout en serrant la main de son ami, jeta un regard rapide sur les deux jeunes gens. Il espérait lire sur leur visage ce qui s'agitait dans leur esprit.

De Wardes était froid et impénétrable. Manicamp semblait perdu dans la contemplation d'une garniture qui l'absorbait.

De Guiche emmena Raoul dans un cabinet voisin et le fit asseoir.

– Comme tu as bonne mine! lui dit-il.

– C'est assez étrange, répondit Raoul, car je suis fort peu joyeux.

– C'est comme moi, n'est-ce pas, Raoul? L'amour va mal.

– Tant mieux, de ton côté, comte; la pire nouvelle, celle qui pourrait le plus m'attrister, serait une bonne nouvelle.

– Oh! alors, ne t'afflige pas, car non seulement je suis très malheureux, mais encore je vois des gens heureux autour de moi.

– Voilà ce que je ne comprends plus, répondit Raoul; explique, mon ami, explique.

– Tu vas comprendre. J'ai vainement combattu le sentiment que tu as vu naître en moi, grandir en moi, s'emparer de moi; j'ai appelé à la fois tous les conseils et toute ma force; j'ai bien considéré le malheur où je m'engageais; je l'ai sondé, c'est un abîme, je le sais; mais n'importe, je poursuivrai mon chemin.

– Insensé! tu ne peux faire un pas de plus sans vouloir aujourd’hui ta ruine, demain ta mort.

– Advienne que pourra!

– De Guiche!

– Toutes réflexions sont faites; écoute.

– Oh! tu crois réussir, tu crois que Madame t'aimera!

– Raoul, je ne crois rien, j'espère, parce que l'espoir est dans l'homme et qu'il y vit jusqu'au tombeau.

– Mais j'admets que tu obtiennes ce bonheur que tu espères, et tu es plus sûrement perdu encore que si tu ne l'obtiens pas.

– Je t'en supplie, ne m'interromps plus, Raoul, tu ne me convaincras point; car, je te le dis d'avance, je ne veux pas être convaincu; j'ai tellement marché que je ne puis reculer, j'ai tellement souffert que la mort me paraîtrait un bienfait. Je ne suis plus seulement amoureux jusqu'au délire, Raoul, je suis jaloux jusqu'à la fureur.

Raoul frappa l'une contre l'autre ses deux mains avec un sentiment qui ressemblait à de la colère.

– Bien! dit-il.

– Bien ou mal, peu importe. Voici ce que je réclame de toi, de mon ami, de mon frère. Depuis trois jours, Madame est en fêtes, en ivresse. Le premier jour, je n'ai point osé la regarder; je la haïssais de ne pas être aussi malheureuse que moi. Le lendemain, je ne la pouvais plus perdre de vue; et de son côté, oui, je crus le remarquer, du moins, Raoul, de son côté, elle me regarda, sinon avec quelque pitié, du moins avec quelque douceur. Mais entre ses regards et les miens vint s'interposer une ombre; le sourire d'un autre provoque son sourire. À côté de son cheval galope éternellement un cheval qui n'est pas le mien; à son oreille vibre incessamment une voix caressante qui n'est pas ma voix. Raoul, depuis trois jours, ma tête est en feu; c'est de la flamme qui coule dans mes veines. Cette ombre, il faut que je la chasse; ce sourire, que je l'éteigne; cette voix, que je l'étouffe.

– Tu veux tuer Monsieur? s'écria Raoul.

– Eh! non. Je ne suis pas jaloux de Monsieur; je ne suis pas jaloux du mari; je suis jaloux de l'amant.

– De l'amant?

– Mais ne l'as-tu donc pas remarqué ici, toi qui là-bas étais si clairvoyant?

– Tu es jaloux de M. de Buckingham?

– À en mourir!

– Encore.

– Oh! cette fois la chose sera facile à régler entre nous, j'ai pris les devants, je lui ai fait passer un billet.

– Tu lui as écrit? c'est toi?

– Comment sais-tu cela?

– Je le sais, parce qu'il me l'a appris. Tiens.

Et il tendit à de Guiche la lettre qu'il avait reçue presque en même temps que la sienne. De Guiche la lut avidement.

– C'est d'un brave homme et surtout d'un galant homme, dit-il.

– Oui, certes, le duc est un galant homme; je n'ai pas besoin de te demander si tu lui as écrit en aussi bons termes.

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