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Raoul ouvrit une des fenêtres latérales, et là, seul avec Mlle de La Vallière:

– Louise, dit-il, vous savez que, dès mon enfance, je vous ai chérie comme une sœur et que vous avez été la confidente de tous mes chagrins, la dépositaire de toutes mes espérances.

– Oui, répondit-elle bien bas, oui, monsieur Raoul, je sais cela.

– Vous aviez l'habitude, de votre côté, de me témoigner la même amitié, la même confiance; pourquoi, en cette rencontre, n'avez-vous pas été mon amie? pourquoi vous êtes-vous défiée de moi? La Vallière ne répondit point.

– J'ai cru que vous m'aimiez, dit Raoul, dont la voix devenait de plus en plus tremblante; j'ai cru que vous aviez consenti à tous les plans faits en commun pour notre bonheur, alors que tous deux nous nous promenions dans les grandes allées de Cour-Cheverny et sous les peupliers de l'avenue qui conduit à Blois. Vous ne répondez pas, Louise?

Il s'interrompit.

– Serait-ce, demanda-t-il en respirant à peine, que vous ne m'aimeriez plus?

– Je ne dis point cela, répliqua tout bas Louise.

– Oh! dites-le-moi bien, je vous en prie; j'ai mis tout l’espoir de ma vie en vous, je vous ai choisie pour vos habitudes douces et simples. Ne vous laissez pas éblouir, Louise, à présent que vous voilà au milieu de la cour, où tout ce qui est pur se corrompt, où tout ce qui est jeune vieillit vite. Louise, fermez vos oreilles pour ne pas entendre les paroles, fermez vos yeux pour ne pas voir les exemples, fermez vos lèvres pour ne point respirer les souffles corrupteurs. Sans mensonges, sans détours, Louise, faut-il que je croie ces mots de Mlle de Montalais? Louise, êtes-vous venue à Paris parce que je n'étais plus à Blois?

La Vallière rougit et cacha son visage dans ses mains.

– Oui, n'est-ce pas, s'écria Raoul exalté, oui, c'est pour cela que vous êtes venue? oh! je vous aime comme jamais je ne vous ai aimée! Merci, Louise, de ce dévouement; mais il faut que je prenne un parti pour vous mettre à couvert de toute insulte, pour vous garantir de toute tache. Louise, une fille d'honneur, à la cour d'une jeune princesse, en ce temps de mœurs faciles et d'inconstantes amours, une fille d'honneur est placée dans le centre des attaques sans aucune défense; cette condition ne peut vous convenir: il faut que vous soyez mariée pour être respectée.

– Mariée?

– Oui.

– Mon Dieu!

– Voici ma main, Louise, laissez-y tomber la vôtre.

– Mais votre père?

– Mon père me laisse libre.

– Cependant…

– Je comprends ce scrupule, Louise; je consulterai mon père.

– Oh! monsieur Raoul, réfléchissez, attendez.

– Attendre, c'est impossible; réfléchir, Louise, réfléchir, quand il s'agit de vous! ce serait vous insulter; votre main, chère Louise, je suis maître de moi; mon père dira oui, je vous le promets; votre main, ne me faites point attendre ainsi, répondez vite un mot, un seul, sinon je croirais que, pour vous changer à jamais, il a suffi d'un seul pas dans le palais, d'un seul souffle de la faveur, d'un seul sourire des reines, d'un seul regard du roi.

Raoul n'avait pas prononcé ce dernier mot que La Vallière était devenue pâle comme la mort, sans doute par la crainte qu'elle avait de voir s'exalter le jeune homme.

Aussi, par un mouvement rapide comme la pensée, jeta-t-elle ses deux mains dans celles de Raoul.

Puis elle s'enfuit sans ajouter une syllabe et disparut sans avoir regardé en arrière. Raoul sentit son corps frissonner au contact de cette main. Il reçut le serment, comme un serment solennel arraché par l’amour à la timidité virginale.

Chapitre XC – Le consentement d'Athos

Raoul était sorti du Palais-Royal avec des idées qui n'admettaient point de délais dans leur exécution.

Il monta donc à cheval dans la cour même et prit la route de Blois, tandis que s'accomplissaient, avec une grande allégresse des courtisans et une grande désolation de Guiche et de Buckingham, les noces de Monsieur et de la princesse d'Angleterre.

Raoul fit diligence; en dix-huit heures il arriva à Blois. Il avait préparé en route ses meilleurs arguments. La fièvre aussi est un argument sans réplique, et Raoul avait la fièvre.

Athos était dans son cabinet, ajoutant quelques pages à ses mémoires, lorsque Raoul entra conduit par Grimaud. Le clairvoyant gentilhomme n'eut besoin que d'un coup d'œil pour reconnaître quelque chose d'extraordinaire dans l'attitude de son fils.

– Vous me paraissez venir pour affaire de conséquence, dit-il en montrant un siège à Raoul après l'avoir embrassé.

– Oui, monsieur, répondit le jeune homme, et je vous supplie de me prêter cette bienveillante attention qui ne m'a jamais fait défaut.

– Parlez, Raoul.

– Monsieur, voici le fait dénué de tout préambule indigne d’un homme comme vous: Mlle de La Vallière est à Paris en qualité de fille d'honneur de Madame; je me suis bien consulté, j'aime Mlle de La Vallière par-dessus tout, et il ne me convient pas de la laisser dans un poste où sa réputation, sa vertu peuvent être exposées; je désire donc l'épouser, monsieur, et je viens vous demander votre consentement à ce mariage.

Athos avait gardé, pendant cette communication, un silence et une réserve absolus.

Raoul avait commencé son discours avec l'affectation du sang-froid, et il avait fini par laisser voir à chaque mot une émotion des plus manifestes.

Athos fixa sur Bragelonne un regard profond, voilé d'une certaine tristesse.

– Donc, vous avez bien réfléchi? demanda-t-il.

– Oui, monsieur.

– Il me semblait vous avoir déjà dit mon sentiment à l'égard de cette alliance.

– Je le sais, monsieur, répondit Raoul bien bas; mais vous avez répondu que si j'insistais…

– Et vous insistez?

Bragelonne balbutia un oui presque inintelligible.

– Il faut, en effet, monsieur, continua tranquillement Athos, que votre passion soit bien forte, puisque, malgré ma répugnance pour cette union, vous persistez à la désirer.

Raoul passa sur son front une main tremblante, il essuyait ainsi la sueur qui l'inondait.

Athos le regarda, et la pitié descendit au fond de son cœur.

Il se leva.

– C'est bien, dit-il, mes sentiments personnels, à moi, ne signifient rien, puisqu'il s'agit des vôtres; vous me requérez, je suis à vous. Au fait, voyons, que désirez-vous de moi?

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