Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Le chevalier de Lorraine reprit sa place à côté de Monsieur, et, tout en l'accompagnant, il lui glissa dans l'oreille quelques gouttes de ce poison qu'il avait amassé depuis une heure, en regardant de nouveaux visages et en soupçonnant quelques cœurs d'être heureux. Le roi, en sortant, avait entraîné derrière lui une partie des assistants; mais ceux qui, parmi les courtisans, faisaient profession d'indépendance ou de galanterie, commencèrent à s'approcher des dames. M. le prince complimenta Mlle de Tonnay-Charente. Buckingham fit la cour à Mme de Chalais et à Mme de La Fayette, que déjà Madame avait distinguées et qu'elle aimait. Quant au comte de Guiche, abandonnant Monsieur depuis qu'il pouvait se rapprocher seul de Madame, il s'entretenait vivement avec Mme de Valentinois, sa sœur, et Mlles de Créquy et de Châtillon.

Au milieu de tous ces intérêts politiques ou amoureux, Malicorne voulait s'emparer de Montalais, mais celle-ci aimait bien mieux causer avec Raoul, ne fût-ce que pour jouir de toutes ses questions et de toutes ses surprises.

Raoul était allé droit à Mlle de La Vallière, et l'avait saluée avec le plus profond respect.

Ce que voyant, Louise rougit et balbutia; mais Montalais s'empressa de venir à son secours.

– Eh bien! dit-elle, nous voilà, monsieur le vicomte.

– Je vous vois bien, dit en souriant Raoul, et c'est justement sur votre présence que je viens vous demander une petite explication.

Malicorne s'approcha avec son plus charmant sourire.

– Éloignez-vous donc, monsieur Malicorne, dit Montalais. En vérité, vous êtes fort indiscret.

Malicorne se pinça les lèvres et fit deux pas en arrière sans dire un seul mot.

Seulement, son sourire changea d'expression, et, d'ouvert qu’il était, devint railleur.

– Vous voulez une explication, monsieur Raoul? demanda Montalais.

– Certainement, la chose en vaut bien la peine, il me semble; Mlle de la Vallière fille d'honneur de Madame!

– Pourquoi ne serait-elle pas fille d'honneur aussi bien que moi? demanda Montalais.

– Recevez mes compliments, mesdemoiselles, dit Raoul, qui crut s'apercevoir qu'on ne voulait pas lui répondre directement.

– Vous dites cela d'un air fort complimenteur, monsieur le vicomte.

– Moi?

– Dame? j'en appelle à Louise.

– M. de Bragelonne pense peut-être que la place est au-dessus de ma condition, dit Louise en balbutiant.

– Oh! non pas, mademoiselle, répliqua vivement Raoul; vous savez très bien que tel n'est pas mon sentiment; je ne m'étonnerais pas que vous occupassiez la place d'une reine, à plus forte raison celle-ci. La seule chose dont je m'étonne, c'est de l'avoir appris aujourd'hui seulement et par accident.

– Ah! c'est vrai, répondit Montalais avec son étourderie ordinaire. Tu ne comprends rien à cela, et, en effet, tu n'y dois rien comprendre. M. de Bragelonne t'avait écrit quatre lettres, mais ta mère seule était restée à Blois; il fallait éviter que ces lettres ne tombassent entre ses mains; je les ai interceptées et renvoyées à M. Raoul, de sorte qu'il te croyait à Blois quand tu étais à Paris, et ne savait pas surtout que tu fusses montée en dignité.

– Eh quoi! tu n'avais pas fait prévenir M. Raoul comme je t'en avais priée? s'écria Louise.

– Bon! pour qu'il fit de l'austérité, pour qu'il prononçât des maximes, pour qu'il défît ce que nous avions eu tant de peine à faire? Ah! non certes.

– Je suis donc bien sévère? demanda Raoul.

– D'ailleurs, fit Montalais, cela me convenait ainsi. Je partais pour Paris, vous n'étiez pas là, Louise pleurait à chaudes larmes; interprétez cela comme vous voudrez; j'ai prié mon protecteur, celui qui m'avait fait obtenir mon brevet, d'en demander un pour Louise; le brevet est venu. Louise est partie pour commander ses habits; moi, je suis restée en arrière, attendu que j'avais les miens; j'ai reçu vos lettres, je vous les ai renvoyées en y ajoutant un mot qui vous promettait une surprise. Votre surprise, mon cher monsieur, la voilà; elle me paraît bonne, ne demandez pas autre chose.

«Allons, monsieur Malicorne, il est temps que nous laissions ces jeunes gens ensemble; ils ont une foule de choses à se dire; donnez-moi votre main: j'espère que voilà un grand honneur que l'on vous fait, monsieur Malicorne.

– Pardon, mademoiselle, dit Raoul en arrêtant la folle jeune fille et en donnant à ses paroles une intonation dont la gravité contrastait avec celles de Montalais; pardon, mais pourrais-je savoir le nom de ce protecteur? Car si l'on vous protège, vous, mademoiselle, et avec toutes sortes de raisons…

Raoul s'inclina:

– … je ne vois pas les mêmes raisons pour que Mlle de La Vallière soit protégée.

– Mon Dieu! monsieur Raoul, dit naïvement Louise, la chose est bien simple, et je ne vois pas pourquoi je ne vous le dirais pas moi-même… Mon protecteur, c'est M. Malicorne.

Raoul resta un instant stupéfait, se demandant si l'on se jouait de lui; puis il se retourna pour interpeller Malicorne.

Mais celui-ci était déjà loin, entraîné qu'il était par Montalais.

Mlle de La Vallière fit un mouvement pour suivre son amie; mais Raoul la retint avec une douce autorité.

– Je vous en supplie, Louise, dit-il, un mot.

– Mais, monsieur Raoul, dit Louise toute rougissante, nous sommes seuls… Tout le monde est parti… On va s'inquiéter, nous chercher.

– Ne craignez rien, dit le jeune homme en souriant, nous ne sommes ni l'un ni l'autre des personnages assez importants pour que notre absence se remarque.

– Mais mon service, monsieur Raoul?

– Tranquillisez-vous, mademoiselle, je connais les usages de la cour; votre service ne doit commencer que demain; il vous reste donc quelques minutes, pendant lesquelles vous pouvez me donner l'éclaircissement que je vais avoir l'honneur de vous demander.

– Comme vous êtes sérieux, monsieur Raoul! dit Louise tout inquiète.

– C'est que la circonstance est sérieuse, mademoiselle. M'écoutez-vous?

– Je vous écoute; seulement, monsieur, je vous le répète, nous sommes bien seuls.

– Vous avez raison, dit Raoul.

Et, lui offrant la main, il conduisit la jeune fille dans la galerie voisine de la salle de réception, et dont les fenêtres donnaient sur la place.

Tout le monde se pressait à la fenêtre du milieu, qui avait un balcon extérieur d'où l'on pouvait voir dans tous leurs détails les lents préparatifs du départ.

45
{"b":"125136","o":1}