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Monsieur, s’approchant à son tour:

– Je suis enchanté, dit-il d’une voix rauque; j’arrivais ici croyant vous trouver malade et triste, je vous vois livrée à de nouveaux plaisirs; en vérité, c’est heureux! Ma maison est la plus joyeuse de l’univers.

Se retournant vers de Guiche:

– Comte, dit-il, je ne vous savais pas si brave danseur.

Puis, revenant à sa femme:

– Soyez meilleure pour moi, dit-il avec une amertume qui voilait sa colère; chaque fois qu’on se réjouira chez vous, invitez-moi… Je suis un prince fort abandonné.

De Guiche avait repris toute son assurance, et, avec une fierté naturelle qui lui allait bien:

– Monseigneur, dit-il, sait bien que toute ma vie est à son service; quand il s’agira de la donner, je suis prêt; pour aujourd’hui il ne s’agit que de danser aux violons, je danse.

– Et vous avez raison, dit froidement le prince. Et puis, Madame, continua-t-il, vous ne remarquez pas que vos dames m’enlèvent mes amis: M. de Guiche n’est pas à vous, madame, il est à moi. Si vous voulez dîner sans moi, vous avez vos dames. Quand je dîne seul, j’ai mes gentilshommes; ne me dépouillez pas tout à fait.

Madame sentit le reproche et la leçon.

La rougeur monta soudain jusqu’à ses yeux.

– Monsieur, répliqua-t-elle, j’ignorais, en venant à la cour de France, que les princesses de mon rang dussent être considérées comme les femmes de Turquie. J’ignorais qu’il fût défendu de voir des hommes; mais, puisque telle est votre volonté, je m’y conformerai; ne vous gênez point si vous voulez faire griller mes fenêtres.

Cette riposte, qui fit sourire Montalais et de Guiche, ramena dans le cœur du prince la colère, dont une bonne partie venait de s’évaporer en paroles.

– Très bien! dit-il d’un ton concentré, voilà comme on me respecte chez moi!

– Monseigneur! monseigneur! murmura le chevalier à l’oreille de Monsieur, de façon que tout le monde remarquât bien qu’il le modérait.

– Venez! répliqua le duc pour toute réponse, en l’entraînant et en pirouettant par un mouvement brusque, au risque de heurter Madame.

Le chevalier suivit son maître jusque dans l’appartement, où le prince ne fut pas plutôt assis, qu’il donna un libre cours à sa fureur.

Le chevalier levait les yeux au ciel, joignait les mains et ne disait mot.

– Ton avis? s’écria Monsieur.

– Sur quoi, monseigneur?

– Sur tout ce qui se passe ici.

– Oh! monseigneur, c’est grave.

– C’est odieux! la vie ne peut se passer ainsi.

– Voyez, comme c’est malheureux! dit le chevalier. Nous espérions avoir la tranquillité après le départ de ce fou de Buckingham.

– Et c’est pire!

– Je ne dis pas cela, monseigneur.

– Non, mais je le dis, moi, car Buckingham n’eût jamais osé faire le quart de ce que nous avons vu.

– Quoi donc?

– Se cacher pour danser, feindre une indisposition pour dîner tête à tête.

– Oh! monseigneur, non! non!

– Si! si! cria le prince en s’excitant lui-même comme les enfants volontaires; mais je n’endurerai pas cela plus longtemps, il faut qu’on sache ce qui se passe.

– Monseigneur, un éclat…

– Pardieu! dois-je me gêner quand on se gêne si peu avec moi? Attends moi ici, chevalier, attends-moi!

Le prince disparut dans la chambre voisine, et s’informa de l’huissier si la reine mère était revenue de la chapelle.

Anne d’Autriche était heureuse: la paix revenue au foyer de sa famille, tout un peuple charmé par la présence d’un souverain jeune et bien disposé pour les grandes choses, les revenus de l’État agrandis, la paix extérieure assurée, tout lui présageait un avenir tranquille.

Elle se reprenait parfois au souvenir de ce pauvre jeune homme qu’elle avait reçu en mère et chassé en marâtre.

Un soupir achevait sa pensée. Tout à coup le duc d’Orléans entra chez elle.

– Ma mère, s’écria-t-il en fermant vivement les portières, les choses ne peuvent subsister ainsi.

Anne d’Autriche leva sur lui ses beaux yeux, et, avec une inaltérable douceur:

– De quelle chose voulez-vous parler? dit-elle.

– Je veux parler de Madame.

– Votre femme?

– Oui, ma mère.

– Je gage que ce fou de Buckingham lui aura écrit quelque lettre d’adieu.

– Ah bien! oui, ma mère, est-ce qu’il s’agit de Buckingham!

– Et de qui donc alors? Car ce pauvre garçon était bien à tort le point de mire de votre jalousie, et je croyais…

– Ma mère, Madame a déjà remplacé M. de Buckingham.

– Philippe, que dites-vous? Vous prononcez là des paroles légères.

– Non pas, non pas. Madame a si bien fait que je suis encore jaloux.

– Et de qui, bon Dieu?

– Quoi! vous n’avez pas remarqué?

– Non.

– Vous n’avez pas vu que M. de Guiche est toujours chez elle, toujours avec elle?

La reine frappa ses deux mains l’une contre l’autre et se mit à rire.

– Philippe, dit-elle, ce n’est pas un défaut que vous avez là; c’est une maladie.

– Défaut ou maladie, madame, j’en souffre.

– Et vous prétendez qu’on guérisse un mal qui existe seulement dans votre imagination? Vous voulez qu’on vous approuve, jaloux, quand il n’y a aucun fondement à votre jalousie?

– Allons, voilà que vous allez recommencer pour celui-ci ce que vous disiez pour celui-là.

– C’est que, mon fils, dit sèchement la reine, ce que vous faisiez pour celui-là, vous le recommencez pour celui-ci.

Le prince s’inclina un peu piqué.

– Et si je cite des faits, dit-il, croirez-vous?

– Mon fils, pour toute autre chose que la jalousie, je vous croirais sans l’allégation des faits; mais, pour la jalousie, je ne vous promets rien.

– Alors, c’est comme si Votre Majesté m’ordonnait de me taire et me renvoyait hors de cause.

– Nullement; vous êtes mon fils, je vous dois toute l’indulgence d’une mère.

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