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– Écoutez ou je saute de mon nid dans le vôtre, et prenez garde de me défier, car il y a juste, en ce moment, une branche de marronnier qui m’est gênante et qui me provoque à des excès. N’imitez pas cette branche et écoutez-moi.

– Je vous écoute, j’y consens; mais soyez bref, car, si vous avez une branche qui vous provoque, j’ai, moi, un échelon triangulaire qui s’introduit dans la plante de mes pieds. Mes souliers sont minés, je vous en préviens.

– Faites-moi l’amitié de me donner la main, mademoiselle.

– Et pourquoi?

– Donnez toujours.

– Voici ma main; mais que faites-vous donc?

– Je vous tire à moi.

– Dans quel but? Vous ne voulez pas que j’aille vous rejoindre dans votre arbre, j’espère?

– Non; mais je désire que vous vous asseyiez sur le mur; là, bien! la place est large et belle et je donnerais beaucoup pour que vous me permissiez de m’y asseoir à côté de vous.

– Non pas! vous êtes bien où vous êtes; on vous verrait.

– Croyez-vous? demanda Manicamp d’une voix insinuante.

– J’en suis sûre.

– Soit! je reste sur mon marronnier, quoique j’y sois on ne peut plus mal.

– Monsieur Manicamp! monsieur Manicamp! nous nous éloignons du fait.

– C’est juste.

– Vous m’avez écrit?

– Très bien.

– Mais pourquoi m’avez-vous écrit?

– Imaginez-vous qu’aujourd’hui, à deux heures, de Guiche est parti.

– Après?

– Le voyant partir, je l’ai suivi, comme c’est mon habitude.

– Je le vois bien, puisque vous voilà.

– Attendez donc… Vous savez, n’est-ce pas, que ce pauvre de Guiche était jusqu’au cou dans la disgrâce?

– Hélas! oui.

– C’était donc le comble de l’imprudence à lui de venir trouver à Fontainebleau ceux qui l’avaient exilé à Paris, et surtout ceux dont on l’éloignait.

– Vous raisonnez comme feu Pythagore, monsieur Manicamp.

– Or, de Guiche est têtu comme un amoureux; il n’écouta donc aucune de mes remontrances. Je le priai, je le suppliai, il ne voulut rien entendre à rien… Ah! diable!

– Qu’avez-vous?

– Pardon, mademoiselle, mais c’est cette maudite branche dont j’ai déjà eu l’honneur de vous entretenir et qui vient de déchirer mon haut-de-chausses.

– Il fait nuit, répliqua Montalais en riant: continuons, monsieur Manicamp.

– De Guiche partit donc à cheval tout courant, et moi, je le suivis, mais au pas. Vous comprenez, s’aller jeter à l’eau avec un ami aussi vite qu’il y va lui-même, c’est d’un sot ou d’un insensé. Je laissai donc de Guiche prendre les devants et cheminai avec une sage lenteur, persuadé que j’étais que le malheureux ne serait pas reçu, ou, s’il l’était, tournerait bride au premier coup de boutoir, et que je le verrais revenir encore plus vite qu’il n’était allé, sans avoir été plus loin, moi, que Ris ou Melun, et c’était déjà trop, vous en conviendrez, que onze lieues pour aller et autant pour revenir.

Montalais haussa les épaules.

– Riez tant qu’il vous plaira, mademoiselle; mais si, au lieu d’être carrément assise sur la tablette d’un mur comme vous êtes, vous vous trouviez à cheval sur la branche que voici, vous aspireriez à descendre.

– Un peu de patience, mon cher monsieur Manicamp! un instant est bientôt passé: vous disiez donc que vous aviez dépassé Ris et Melun.

– Oui, j’ai dépassé Ris et Melun; j’ai continué de marcher, toujours étonné de ne point le voir revenir; enfin, me voici à Fontainebleau, je m’informe, je m’enquiers partout de de Guiche; personne ne l’a vu, personne ne lui a parlé dans la ville: il est arrivé au grand galop, est entré dans le château et a disparu. Depuis huit heures du soir, je suis à Fontainebleau, demandant de Guiche à tous les échos; pas de de Guiche. Je meurs d’inquiétude! vous comprenez que je n’ai pas été me jeter dans la gueule du loup, en entrant moi-même au château, comme a fait mon imprudent ami: je suis venu droit aux communs, et je vous ai fait parvenir une lettre. Maintenant, mademoiselle, au nom du Ciel, tirez-moi d’inquiétude.

– Ce ne sera pas difficile, mon cher monsieur Manicamp: votre ami de Guiche a été reçu admirablement.

– Bah!

– Le roi lui a fait fête.

– Le roi, qui l’avait exilé!

– Madame lui a souri; Monsieur paraît l’aimer plus que devant!

– Ah! ah! fit Manicamp, cela m’explique pourquoi et comment il est resté. Et il n’a point parlé de moi?

– Il n’en a pas dit un mot.

– C’est mal à lui. Que fait-il en ce moment?

– Selon toute probabilité, il dort, ou, s’il ne dort pas, il rêve.

– Et qu’a-t-on fait pendant toute la soirée?

– On a dansé.

– Le fameux ballet? Comment a été de Guiche?

– Superbe.

– Ce cher ami! Maintenant, pardon, mademoiselle, mais il me reste à passer de chez moi chez vous.

– Comment cela?

– Vous comprenez: je ne présume pas que l’on m’ouvre la porte du château à cette heure, et, quant à coucher sur cette branche, je le voudrais bien, mais je déclare la chose impossible à tout autre animal qu’un papegai.

– Mais moi, monsieur Manicamp, je ne puis pas comme cela introduire un homme par-dessus un mur?

– Deux, mademoiselle, dit une seconde voix, mais avec un accent si timide, que l’on comprenait que son propriétaire sentait toute l’inconvenance d’une pareille demande.

– Bon Dieu! s’écria Montalais essayant de plonger son regard jusqu’au pied du marronnier; qui me parle?

– Moi, mademoiselle.

– Qui vous?

– Malicorne, votre très humble serviteur.

Et Malicorne, tout en disant ces paroles, se hissa de la tête aux premières branches, et des premières branches à la hauteur du mur.

– M. Malicorne!… Bonté divine! mais vous êtes enragés tous deux!

– Comment vous portez-vous, mademoiselle, demanda Malicorne avec force civilités.

– Celui-là me manquait! s’écria Montalais désespérée.

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