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Cette voix faillit renverser Aramis. Malgré lui il fit un pas en avant, les lèvres frémissantes.

Ce mouvement était si visible, qu’il ne put échapper à Baisemeaux, tout préoccupé qu’il était.

– Voici un architecte qui va examiner votre cheminée, dit Baisemeaux; fume-t-elle?

– Jamais, monsieur.

– Vous disiez qu’on ne pouvait pas être heureux en prison, dit le gouverneur en se frottant les mains; voici pourtant un prisonnier qui l’est. Vous ne vous plaignez pas, j’espère?

– Jamais.

– Vous ne vous ennuyez pas? dit Aramis.

– Jamais.

– Hein! fit tout bas Baisemeaux, avais-je raison?

– Dame! que voulez-vous, mon cher gouverneur, il faut bien se rendre à l’évidence. Est-il permis de lui faire des questions?

– Tout autant qu’il vous plaira.

– Eh bien! faites-moi donc le plaisir de lui demander s’il sait pourquoi il est ici.

– Monsieur me charge de vous demander, dit Baisemeaux, si vous connaissez la cause de votre détention.

– Non, monsieur, dit simplement le jeune homme, je ne la connais pas.

– Mais c’est impossible, dit Aramis emporté malgré lui. Si vous ignoriez la cause de votre détention, vous seriez furieux.

– Je l’ai été pendant les premiers jours.

– Pourquoi ne l’êtes-vous plus?

– Parce que j’ai réfléchi.

– C’est étrange, dit Aramis.

– N’est-ce pas qu’il est étonnant? fit Baisemeaux.

– Et à quoi avez-vous réfléchi? demanda Aramis. Peut-on vous le demander, monsieur?

– J’ai réfléchi que, n’ayant commis aucun crime, Dieu ne pouvait me châtier.

– Mais qu’est-ce donc que la prison, demanda Aramis, si ce n’est un châtiment?

– Hélas! dit le jeune homme, je ne sais; tout ce que je puis vous dire, c’est que c’est tout le contraire de ce que j’avais dit il y a sept ans.

– À vous entendre, monsieur, à voir votre résignation, on serait tenté de croire que vous aimez la prison.

– Je la supporte.

– C’est dans la certitude d’être libre un jour?

– Je n’ai pas de certitude, monsieur; de l’espoir, voilà tout; et cependant, chaque jour, je l’avoue, cet espoir se perd.

– Mais enfin, pourquoi ne seriez-vous pas libre, puisque vous l’avez déjà été?

– C’est justement, répondit le jeune homme, la raison qui m’empêche d’attendre la liberté; pourquoi m’eût-on emprisonné, si l’on avait l’intention de me faire libre plus tard?

– Quel âge avez-vous?

– Je ne sais.

– Comment vous nommez-vous?

– J’ai oublié le nom qu’on me donnait.

– Vos parents?

– Je ne les ai jamais connus.

– Mais ceux qui vous ont élevé?

– Ils ne m’appelaient pas leur fils.

– Aimiez-vous quelqu’un avant de venir ici?

– J’aimais ma nourrice et mes fleurs.

– Est-ce tout?

– J’aimais aussi mon valet.

– Vous regrettez cette nourrice et ce valet?

– J’ai beaucoup pleuré quand ils sont morts.

– Sont-ils morts depuis que vous êtes ici ou auparavant que vous y fussiez?

– Ils sont morts la veille du jour où l’on m’a enlevé.

– Tous deux en même temps?

– Tous deux en même temps.

– Et comment vous enleva-t-on?

– Un homme me vint chercher, me fit monter dans un carrosse qui se trouva fermé avec des serrures, et m’amena ici.

– Cet homme, le reconnaîtriez-vous?

– Il avait un masque.

– N’est-ce pas que cette histoire est extraordinaire? dit tout bas Baisemeaux à Aramis.

Aramis pouvait à peine respirer.

– Oui, extraordinaire, murmura-t-il.

– Mais ce qu’il y a de plus extraordinaire encore, c’est que jamais il ne m’en a dit autant qu’il vient de vous en dire.

– Peut-être cela tient-il aussi à ce que vous ne l’avez jamais questionné, dit Aramis.

– C’est possible, répondit Baisemeaux, je ne suis pas curieux. Au reste, vous voyez la chambre: elle est belle, n’est-ce pas?

– Fort belle.

– Un tapis…

– Superbe.

– Je gage qu’il n’en avait pas de pareil avant de venir ici.

– Je le crois.

Puis, se retournant vers le jeune homme:

– Ne vous rappelez-vous point avoir été jamais visité par quelque étranger ou quelque étrangère? demanda Aramis au jeune homme.

– Oh! si fait, trois fois par une femme, qui chaque fois s’arrêta en voiture à la porte, entra, couverte d’un voile qu’elle ne leva que lorsque nous fûmes enfermés et seuls.

– Vous vous rappelez cette femme?

– Oui.

– Que vous disait-elle?

Le jeune homme sourit tristement.

– Elle me demandait ce que vous me demandez, si j’étais heureux et si je m’ennuyais.

– Et lorsqu’elle arrivait ou partait?

– Elle me pressait dans ses bras, me serrait sur son cœur, m’embrassait.

– Vous vous la rappelez?

– À merveille.

– Je vous demande si vous vous rappelez les traits de son visage.

– Oui.

– Donc, vous la reconnaîtriez si le hasard l’amenait devant vous ou vous conduisait à elle?

– Oh! bien certainement.

Un éclair de fugitive satisfaction passa sur le visage d’Aramis.

En ce moment Baisemeaux entendit le porte-clefs qui remontait.

– Voulez-vous que nous sortions? dit-il vivement à Aramis.

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