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«Décidément, se dit Manicamp, voilà un mari à qui le nom de sa femme portera malheur, et feu le roi Candaule était un véritable tigre auprès de monseigneur.»

– Enfin, ajouta le prince, tu reviendras sur le compte de ma femme, de Guiche; je te le garantis. Seulement, il faut que je te montre le chemin. Elle n’est point banale, et ne parvient pas qui veut à son cœur.

– Monseigneur…

– Pas de résistance, de Guiche, ou nous nous fâcherons, répliqua le prince.

– Mais puisqu’il le veut, murmura Manicamp à l’oreille de de Guiche, satisfaites-le donc.

– Monseigneur, dit le comte, j’obéirai.

– Et pour commencer, reprit Monseigneur, on joue ce soir chez Madame; tu dîneras avec moi et je te conduirai chez elle.

– Oh! pour cela, monseigneur, objecta de Guiche, vous me permettrez de résister.

– Encore! mais c’est de la rébellion.

– Madame m’a trop mal reçu hier devant tout le monde.

– Vraiment! dit le prince en riant.

– À ce point qu’elle ne m’a pas même répondu quand je lui ai parlé; il peut être bon de n’avoir pas d’amour-propre, mais trop peu, c’est trop peu, comme on dit.

– Comte, après le dîner, tu iras t’habiller chez toi et tu viendras me reprendre, je t’attendrai.

– Puisque Votre Altesse le commande absolument…

– Absolument.

– Il n’en démordra point, dit Manicamp, et ces sortes de choses sont celles qui tiennent le plus obstinément à la tête des maris. Ah! pourquoi donc M. Molière n’a-t-il pas entendu celui-là, il l’aurait mis en vers.

Le prince et sa cour, ainsi devisant, rentrèrent dans les plus frais appartements du château.

– À propos, dit de Guiche sur le seuil de la porte, j’avais une commission pour Votre Altesse Royale.

– Fais ta commission.

– M. de Bragelonne est parti pour Londres avec un ordre du roi, et il m’a chargé de tous ses respects pour Monseigneur.

– Bien! bon voyage au vicomte, que j’aime fort. Allons, va t’habiller, de Guiche, et reviens-nous. Et si tu ne reviens pas…

– Qu’arrivera-t-il, monseigneur?

– Il arrivera que je te fais jeter à la Bastille.

– Allons, décidément, dit de Guiche en riant, Son Altesse Royale Monsieur est la contrepartie de Son Altesse Royale Madame. Madame me fait exiler parce qu’elle ne m’aime pas assez, Monsieur me fait emprisonner parce qu’il m’aime trop. Merci, monsieur! Merci, madame!

– Allons, allons, dit le prince, tu es un charmant ami, et tu sais bien que je ne puis me passer de toi. Reviens vite.

– Soit, mais il me plaît de faire de la coquetterie à mon tour, monseigneur.

– Bah?

– Aussi je ne rentre chez Votre Altesse qu’à une seule condition.

– Laquelle?

– J’ai l’ami d’un de mes amis à obliger.

– Tu l’appelles?

– Malicorne.

– Vilain nom.

– Très bien porté, monseigneur.

– Soit. Eh bien?

– Eh bien! je dois à M. Malicorne une place chez vous, monseigneur.

– Une place de quoi?

– Une place quelconque; une surveillance, par exemple.

– Parbleu! cela se trouve bien, j’ai congédié hier le maître des appartements.

– Va pour le maître des appartements, monseigneur. Qu’a-t-il à faire?

– Rien, sinon à regarder et à rapporter.

– Police intérieure?

– Justement.

– Oh! comme cela va bien à Malicorne, se hasarda de dire Manicamp.

– Vous connaissez celui dont il s’agit, monsieur Manicamp? demanda le prince.

– Intimement, monseigneur. C’est mon ami.

– Et votre opinion est?

– Que Monseigneur n’aura jamais un maître des appartements pareil à celui-là.

– Combien rapporte l’office? demanda le comte au prince.

– Je l’ignore; seulement, on m’a toujours dit qu’il ne pouvait assez se payer quand il était bien occupé.

– Qu’appelez-vous bien occupé, prince?

– Cela va sans dire, quand le fonctionnaire est homme d’esprit.

– Alors, je crois que Monseigneur sera content, car Malicorne a de l’esprit comme un diable.

– Bon! l’office me coûtera cher en ce cas, répliqua le prince en riant. Tu me fais là un véritable cadeau, comte.

– Je le crois, monseigneur.

– Eh bien! va donc annoncer à ton M. Mélicorne…

– Malicorne, monseigneur.

– Je ne me ferai jamais à ce nom-là.

– Vous dites bien Manicamp, monseigneur.

– Oh! je dirais très bien aussi Manicorne. L’habitude m’aiderait.

– Dites, dites, monseigneur, je vous promets que votre inspecteur des appartements ne se fâchera point; il est du plus heureux caractère qui se puisse voir.

– Eh bien! alors, mon cher de Guiche, annoncez-lui sa nomination… Mais, attendez…

– Quoi, monseigneur?

– Je veux le voir auparavant. S’il est aussi laid que son nom, je me dédis.

– Monseigneur le connaît.

– Moi?

– Sans doute. Monseigneur l’a déjà vu au Palais-Royal; à telles enseignes que c’est même moi qui le lui ai présenté.

– Ah! fort bien, je me rappelle… Peste! c’est un charmant garçon!

– Je savais bien que Monseigneur avait dû le remarquer.

– Oui, oui, oui! Vois-tu, de Guiche, je ne veux pas que, ma femme ni moi, nous ayons des laideurs devant les yeux. Ma femme prendra pour demoiselles d’honneur toutes filles jolies; je prendrai, moi, tous gentilshommes bien faits. De cette façon, vois-tu, de Guiche, si je fais des enfants, ils seront d’une bonne inspiration, et, si ma femme en fait, elle aura vu de beaux modèles.

– C’est puissamment raisonné, monseigneur, dit Manicamp approuvant de l’œil et de la voix.

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