Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– De laquelle, monseigneur? Votre Altesse m’effraie.

– Elle t’aura tout à fait renié.

Et le prince de rire de plus belle.

«Décidément, pensa Manicamp, le rang n’y fait rien, et ils sont tous pareils.»

Le prince continua.

– Enfin, te voilà revenu; il y a espoir que le chevalier redevienne aimable.

– Comment, cela, monseigneur, et par quel miracle puis-je avoir cette influence sur M. de Lorraine?

– C’est tout simple, il est jaloux de toi.

– Ah bah! vraiment?

– C’est comme je te le dis.

– Il me fait trop d’honneur.

– Tu comprends, quand tu es là, il me caresse; quand tu es parti, il me martyrise. Je règne par bascule. Et puis tu ne sais pas l’idée qui m’est venue?

– Je ne m’en doute pas, monseigneur.

– Eh bien! quand tu étais en exil, car tu as été exilé, mon pauvre Guiche…

– Pardieu! monseigneur, à qui la faute? dit de Guiche en affectant un air bourru.

– Oh! ce n’est certainement pas à moi, cher comte, répliqua Son Altesse Royale. Je n’ai pas demandé au roi de t’exiler, foi de prince!

– Non pas vous, monseigneur, je le sais bien; mais…

– Mais Madame? Oh! quant à cela, je ne dis pas non. Que diable lui as-tu donc fait, à Madame?

– En vérité, monseigneur…

– Les femmes ont leur rancune, je le sais bien, et la mienne n’est pas exempte de ce travers. Mais, si elle t’a fait exiler, elle, je ne t’en veux pas, moi.

– Alors, monseigneur, dit de Guiche, je ne suis qu’à moitié malheureux.

Manicamp, qui venait derrière de Guiche et qui ne perdait pas une parole de ce que disait le prince, plia les épaules jusque sur le cou de son cheval pour cacher le rire qu’il ne pouvait réprimer.

– D’ailleurs, ton exil m’a fait pousser un projet dans la tête.

– Bon!

– Quand le chevalier, ne te voyant plus là et sûr de régner seul, me malmenait, voyant, au contraire de ce méchant garçon, ma femme si aimable et si bonne pour moi qui la néglige, j’eus l’idée de me faire un mari modèle, une rareté, une curiosité de cour; j’eus l’idée d’aimer ma femme.

De Guiche regarda le prince avec un air de stupéfaction qui n’avait rien de joué.

– Oh! balbutia de Guiche tremblant, cette idée-là, monseigneur, elle ne vous est pas venue sérieusement?

– Ma foi, si! J’ai du bien que mon frère m’a donné au moment de mon mariage; elle a de l’argent, elle, et beaucoup, puisqu’elle en tire tout à la fois de son frère et de son beau-frère, d’Angleterre et de France. Eh bien! nous eussions quitté la cour. Je me fusse retiré au château de Villers-Cotterets, qui est de mon apanage, au milieu d’une forêt, dans laquelle nous eussions filé le parfait amour aux mêmes endroits que faisait mon grand père Henri IV avec la belle Gabrielle, Que dis-tu de cette idée, de Guiche?

– Je dis que c’est à faire frémir, monseigneur, répondit de Guiche, qui frémissait réellement.

– Ah! je vois que tu ne supporterais pas d’être exilé une seconde fois.

– Moi, monseigneur?

– Je ne t’emmènerai donc pas avec nous comme j’en avais eu le dessein d’abord.

– Comment, avec vous, monseigneur?

– Oui, si par hasard l’idée me reprend de bouder la cour.

– Oh! monseigneur, qu’à cela ne tienne, je suivrai Votre Altesse jusqu’au bout du monde.

– Maladroit que vous êtes! grommela Manicamp en poussant son cheval sur de Guiche, de façon à le désarçonner.

Puis, en passant près de lui comme s’il n’était pas maître de son cheval:

– Mais pensez donc à ce que vous dites, lui glissa-t-il tout bas.

– Alors, dit le prince, c’est convenu; puisque tu m’es si dévoué, je t’emmène.

– Partout, monseigneur, partout, répliqua joyeusement de Guiche; partout, à l’instant même. Êtes-vous prêt?

Et de Guiche rendit en riant la main à son cheval, qui fit deux bonds en avant.

– Un instant, un instant, dit le prince; passons par le château.

– Pour quoi faire?

– Pour prendre ma femme, parbleu!

– Comment? demanda de Guiche.

– Sans doute, puisque je te dis que c’est un projet d’amour conjugal; il faut bien que j’emmène ma femme.

– Alors, monseigneur, répondit le comte, j’en suis désespéré, mais pas de de Guiche pour vous.

– Bah!

– Oui. Pourquoi emmenez-vous Madame?

– Tiens! parce que je m’aperçois que je l’aime.

De Guiche pâlit légèrement, en essayant toutefois de conserver son apparente gaieté.

– Si vous aimez Madame, monseigneur, dit-il, cet amour doit vous suffire, et vous n’avez plus besoin de vos amis.

– Pas mal, pas mal, murmura Manicamp.

– Allons, voilà la peur de Madame qui te reprend, répliqua le prince.

– Écoutez donc, monseigneur, je suis payé pour cela; une femme qui m’a fait exiler.

– Oh! mon Dieu! le vilain caractère que tu as, de Guiche; comme tu es rancunier, mon ami.

– Je voudrais bien vous y voir, vous, monseigneur.

– Décidément, c’est à cause de cela que tu as si mal dansé hier; tu voulais te venger en faisant faire à Madame de fausses figures; ah! de Guiche, ceci est mesquin, et je le dirai à Madame.

– Oh! vous pouvez lui dire tout ce que vous voudrez, monseigneur. Son Altesse ne me haïra point plus qu’elle ne le fait.

– Là! là! tu exagères, pour quinze pauvres jours de campagne forcée qu’elle t’a imposés.

– Monseigneur, quinze jours sont quinze jours, et, quand on les passe à s’ennuyer, quinze jours sont une éternité.

– De sorte que tu ne lui pardonneras pas?

– Jamais.

– Allons, allons, de Guiche, sois meilleur garçon, je veux faire ta paix avec elle; tu reconnaîtras, en la fréquentant, qu’elle n’a point de méchanceté et qu’elle est pleine d’esprit.

– Monseigneur…

– Tu verras qu’elle sait recevoir comme une princesse et rire comme une bourgeoise; tu verras qu’elle fait, quand elle le veut, que les heures s’écoulent comme des minutes. De Guiche, mon ami, il faut que tu reviennes sur le compte de ma femme.

153
{"b":"125136","o":1}