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– Mais, reprit la princesse, en vérité, vous parlez, monsieur, comme si vous aviez lu au fond de l’âme de ma fille d’honneur. Qui vous a dit qu’elle consent à répondre à la passion du roi?

– Et qui vous dit, à vous, qu’elle n’y répondra pas?

– Elle aime le vicomte de Bragelonne.

– Ah! vous croyez?

– Elle est même sa fiancée.

– Elle l’était.

– Comment cela?

– Mais, quand on est venu demander au roi la permission de conclure le mariage, il a refusé cette permission.

– Refusé?

– Oui, quoique ce fût au comte de La Fère lui-même, que le roi honore, vous le savez, d’une grande estime pour le rôle qu’il a joué dans la restauration de votre frère, et dans quelques autres événements encore, arrivés depuis longtemps.

– Eh bien! les pauvres amoureux attendront qu’il plaise au roi de changer d’avis; ils sont jeunes, ils ont le temps.

– Ah! ma mie, dit Philippe en riant à son tour, je vois que vous ne savez pas le plus beau de l’affaire.

– Non.

– Ce qui a le plus profondément touché le roi.

– Le roi a été profondément touché?

– Au cœur.

– Mais de quoi? Dites vite, voyons!

– D’une aventure on ne peut plus romanesque.

– Vous savez combien j’aime ces aventures-là, et vous me faites attendre, dit la princesse avec impatience.

– Eh bien! voici…

Et Monsieur fit une pause.

– J’écoute.

– Sous le chêne royal… Vous savez où est le chêne royal?

– Peu importe: sous le chêne royal, dites-vous?

– Eh bien! Mlle de La Vallière, se croyant seule avec deux amies, leur a fait confidence de sa passion pour le roi.

– Ah! fit Madame avec un commencement d’inquiétude, de sa passion pour le roi?

– Oui.

– Et quand cela?

– Il y a une heure.

Madame tressaillit.

– Et cette passion, personne ne la connaissait?

– Personne.

– Pas même Sa Majesté?

– Pas même Sa Majesté. La petite personne gardait son secret entre cuir et chair, quand tout à coup son secret a été plus fort qu’elle et lui a échappé.

– Et de qui la tenez-vous, cette absurdité?

– Mais comme tout le monde.

– De qui la tient tout le monde, alors?

– De La Vallière elle-même, qui avouait cet amour à Montalais et à Tonnay-Charente, ses compagnes.

Madame s’arrêta, et, par un brusque mouvement, lâcha la main de son mari.

– Il y a une heure qu’elle faisait cet aveu? demanda Madame.

– À peu près.

– Et le roi en a-t-il connaissance?

– Mais voilà où est justement le romanesque de la chose, c’est que le roi était avec Saint-Aignan derrière le chêne royal, et qu’il a entendu toute cette intéressante conversation sans en perdre un seul mot.

Madame se sentit frappée d’un coup au cœur.

– Mais j’ai vu le roi depuis, dit-elle étourdiment, et il ne m’a pas dit un mot de tout cela.

– Parbleu! dit Monsieur, naïf comme un mari qui triomphe, il n’avait garde de vous en parler lui-même, puisqu’il recommandait à tout le monde de ne pas vous en parler.

– Plaît-il? s’écria Madame irritée.

– Je dis qu’on voulait vous escamoter la chose.

– Et pourquoi donc se cacherait-on de moi?

– Dans la crainte que votre amitié ne vous entraîne à révéler quelque chose à la jeune reine, voilà tout.

Madame baissa la tête; elle était blessée mortellement.

Alors elle n’eut plus de repos qu’elle n’eût rencontré le roi.

Comme un roi est tout naturellement le dernier du royaume qui sache ce que l’on dit de lui, comme un amant est le seul qui ne sache point ce que l’on dit de sa maîtresse, quand le roi aperçut Madame qui le cherchait, il vint à elle un peu troublé, mais toujours empressé et gracieux.

Madame attendit qu’il parlât le premier de La Vallière.

Puis, comme il n’en parlait pas:

– Et cette petite? demanda-t-elle.

– Quelle petite? fit le roi.

– La Vallière… Ne m’avez-vous pas dit, Sire, qu’elle avait perdu connaissance?

– Elle est toujours fort mal, dit le roi en affectant la plus grande indifférence.

– Mais voilà qui va nuire au bruit que vous deviez répandre, Sire.

– À quel bruit?

– Que vous vous occupiez d’elle.

– Oh! j’espère qu’il se répandra la même chose, répondit le roi distraitement.

Madame attendit encore; elle voulait savoir si le roi lui parlerait de l’aventure du chêne royal.

Mais le roi n’en dit pas un mot.

Madame, de son côté, n’ouvrit pas la bouche de l’aventure de sorte que le roi prit congé d’elle, sans lui avoir fait la moindre confidence.

À peine eut-elle vu le roi s’éloigner, qu’elle chercha Saint-Aignan. Saint-Aignan était facile à trouver, il était comme les bâtiments de suite qui marchent toujours de conserve avec les gros vaisseaux.

Saint-Aignan était bien l’homme qu’il fallait à Madame dans la disposition d’esprit où Madame se trouvait.

Il ne cherchait qu’une oreille un peu plus digne que les autres pour y raconter l’événement dans tous ses détails.

Aussi ne fit-il pas grâce à Madame d’un seul mot. Puis, quand il eut fini:

– Avouez, dit Madame, que voilà un charmant conte.

– Conte, non; histoire, oui.

– Avouez, conte ou histoire, qu’on vous l’a dit comme vous me le dites à moi, mais que vous n’y étiez pas?

– Madame, sur l’honneur, j’y étais.

– Et vous croyez que ces aveux auraient fait impression sur le roi?

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