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– Vous avez trop marché, dit le roi, et peut-être la fatigue…

– Non, Sire, répliqua vivement Montalais répondant pour son amie, ce ne peut être la fatigue, car nous avons passé une partie de la soirée assises sous le chêne royal.

– Sous le chêne royal? reprit le roi en tressaillant. Je ne m’étais pas trompé, et c’est bien cela.

Et il adressa au comte un coup d’œil d’intelligence.

– Ah! oui, dit Saint-Aignan, sous le chêne royal, avec Mlle de Tonnay Charente.

– Comment savez-vous cela? demanda Montalais.

– Mais je le sais d’une façon bien simple; Mlle de Tonnay-Charente me l’a dit.

– Alors elle a dû vous apprendre aussi la cause de l’évanouissement de La Vallière?

– Dame! elle m’a parlé d’un loup ou d’un voleur, je ne sais plus trop.

La Vallière écoutait les yeux fixes, la poitrine haletante comme si elle eût pressenti une partie de la vérité, grâce à un redoublement d’intelligence. Louis prit cette attitude et cette agitation pour la suite d’un effroi mal éteint.

– Ne craignez rien, mademoiselle, dit-il avec un commencement d’émotion qu’il ne pouvait cacher; ce loup qui vous a fait si grand-peur était tout simplement un loup à deux pieds.

– C’était un homme! c’était un homme! s’écria Louise; il y avait là un homme aux écoutes?

– Eh bien! mademoiselle, quel grand mal voyez-vous donc à avoir été écoutée? Auriez-vous dit, selon vous, des choses qui ne pouvaient être entendues?

La Vallière frappa ses deux mains l’une contre l’autre et les porta vivement à son front dont elle essaya de cacher ainsi la rougeur.

– Oh! demanda-t-elle, au nom du Ciel, qui donc était caché? qui donc a entendu?

Le roi s’avança pour prendre une de ses mains.

– C’était moi, mademoiselle, dit-il en s’inclinant avec un doux respect; vous ferais-je peur, par hasard?

La Vallière poussa un grand cri; pour la seconde fois, ses forces l’abandonnèrent, et froide, gémissante, désespérée, elle retomba tout d’une pièce dans son fauteuil.

Le roi eut le temps d’étendre le bras, de sorte qu’elle se trouva à moitié soutenue par lui.

À deux pas du roi et de La Vallière, Mlles de Tonnay-Charente et de Montalais, immobiles et comme pétrifiées au souvenir de leur conversation avec La Vallière, ne songeaient même pas à lui porter secours, retenues qu’elles étaient par la présence du roi, qui, un genou en terre, tenait La Vallière à bras-le-corps.

– Vous avez entendu, Sire? murmura Athénaïs.

Mais le roi ne répondit pas; il avait les yeux fixés sur les yeux à moitié fermés de La Vallière; il tenait sa main pendante dans sa main.

– Parbleu! répliqua Saint-Aignan, qui espérait de son côté l’évanouissement de Mlle de Tonnay-Charente, et qui s’avançait les bras ouverts, nous n’en avons même pas perdu un mot.

Mais la fière Athénaïs n’était pas femme à s’évanouir ainsi; elle lança un regard terrible à Saint-Aignan et s’enfuit.

Montalais, plus courageuse, s’avança vivement vers Louise et la reçut des mains du roi, qui déjà perdait la tête en se sentant le visage inondé des cheveux parfumés de la mourante.

– À la bonne heure, dit Saint-Aignan, voilà une aventure, et, si je ne suis pas le premier à la raconter, j’aurai du malheur.

Le roi s’approcha de lui, la voix tremblante, la main furieuse.

– Comte, dit-il, pas un mot.

Le pauvre roi oubliait qu’une heure auparavant il faisait au même homme la même recommandation, avec le désir tout opposé, c’est-à-dire que cet homme fût indiscret.

Aussi cette recommandation fut-elle aussi superflue que la première.

Une demi-heure après, tout Fontainebleau savait que Mlle de La Vallière avait eu sous le chêne royal une conversation avec Montalais et Tonnay-Charente, et que dans cette conversation elle avait avoué son amour pour le roi.

On savait aussi que le roi, après avoir manifesté toute l’inquiétude que lui inspirait l’état de Mlle de La Vallière, avait pâli et tremblé en recevant dans ses bras la belle évanouie; de sorte qu’il fut bien arrêté, chez tous les courtisans, que le plus grand événement de l’époque venait de se révéler; que Sa Majesté aimait Mlle de La Vallière, et que, par conséquent, Monsieur pouvait dormir parfaitement tranquille.

C’est, au reste, ce que la reine mère, aussi surprise que les autres de ce brusque revirement, se hâta de déclarer à la jeune reine et à Philippe d’Orléans.

Seulement, elle opéra d’une façon bien différente en s’attaquant à ces deux intérêts.

À sa bru:

– Voyez, Thérèse, dit-elle, si vous n’aviez pas grandement tort d’accuser le roi; voilà qu’on lui donne aujourd’hui une nouvelle maîtresse; pourquoi celle d’aujourd’hui serait-elle plus vraie que celle d’hier, et celle d’hier que celle d’aujourd’hui?

Et à Monsieur, en lui racontant l’aventure du chêne royal:

– Êtes-vous absurde dans vos jalousies, mon cher Philippe? Il est avéré que le roi perd la tête pour cette petite La Vallière. N ’allez pas en parler à votre femme: la reine le saurait tout de suite.

Cette dernière confidence eut son ricochet immédiat.

Monsieur, rasséréné, triomphant, vint retrouver sa femme, et, comme il n’était pas encore minuit et que la fête devait durer jusqu’à deux heures du matin, il lui offrit la main pour la promenade.

Mais, au bout de quelques pas, la première chose qu’il fit fut de désobéir à sa mère.

– N’allez pas dire à la reine, au moins, tout ce que l’on raconte du roi, fit-il mystérieusement.

– Et que raconte-t-on? demanda Madame.

– Que mon frère s’était épris tout à coup d’une passion étrange.

– Pour qui?

– Pour cette petite La Vallière.

Il faisait nuit, Madame put sourire à son aise.

– Ah! dit-elle, et depuis quand cela le tient-il?

– Depuis quelques jours, à ce qu’il paraît. Mais ce n’était que fumée, et c’est seulement ce soir que la flamme s’est révélée.

– Le roi a bon goût, dit Madame, et à mon avis la petite est charmante.

– Vous m’avez l’air de vous moquer, ma toute chère.

– Moi! et comment cela?

– En tout cas, cette passion fera toujours le bonheur de quelqu’un, ne fût-ce que celui de La Vallière.

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