– Est-ce que la danse ne vous a point amusée?
– Non.
– Et tout le spectacle?
– Non plus. En fait de spectacle, j’aime bien mieux celui de ces bois noirs au fond desquels brille çà et là une lumière qui passe comme un œil rouge, tantôt ouvert, tantôt fermé.
– Elle est poète, cette La Vallière, dit Tonnay-Charente.
– C’est-à-dire insupportable, fit Montalais. Toutes les fois qu’il s’agit de rire un peu ou de s’amuser de quelque chose, La Vallière pleure; toutes les fois qu’il s’agit de pleurer, pour nous autres femmes, chiffons perdus, amour-propre piqué, parure sans effet, La Vallière rit.
– Oh! quant à moi, je ne puis être de ce caractère, dit Mlle de Tonnay-Charente. Je suis femme, et femme comme on ne l’est pas; qui m’aime me flatte, qui me flatte me plaît par sa flatterie, et qui me plaît…
– Eh bien! tu n’achèves pas? dit Montalais.
– C’est trop difficile, répliqua Mlle de Tonnay-Charente en riant aux éclats. Achève pour moi, toi qui as tant d’esprit.
– Et vous, Louise, dit Montalais, vous plaît-on?
– Cela ne regarde personne, dit la jeune fille en se levant du banc de mousse où elle était restée étendue pendant tout le temps qu’avait duré le ballet. Maintenant, mesdemoiselles, nous avons formé le projet de nous divertir cette nuit sans surveillants et sans escorte. Nous sommes trois, nous nous plaisons l’une à l’autre, il fait un temps superbe; regardez là-bas, voyez la lune qui monte doucement au ciel et argente les cimes des marronniers et des chênes. Oh! la belle promenade! oh! la belle liberté! la belle herbe fine des bois, la belle faveur que me fait votre amitié; prenons-nous par le bras et gagnons les grands arbres. Ils sont tous, en ce moment, attablés et actifs là-bas, occupés à se parer pour une promenade d’apparat; on selle les chevaux, on attelle les voitures, les mules de la reine ou les quatre cavales blanches de Madame. Nous, gagnons vite un endroit où nul œil ne vous devine, où nul pas ne marche dans notre pas. Vous rappelez-vous, Montalais, les bois de Cheverny et de Chambord, les peupliers sans fin de Blois? nous avons échangé là-bas bien des espérances.
– Bien des confidences aussi.
– Oui.
– Moi, dit Mlle de Tonnay-Charente, je pense beaucoup aussi; mais prenez garde…
– Elle ne dit rien, fit Montalais, de sorte que ce que pense Mlle de Tonnay Charente, Athénaïs seule le sait.
– Chut! s’écria Mlle de La Vallière, j’entends des pas qui viennent de ce côté.
– Eh! vite! vite! dans les roseaux, dit Montalais; baissez-vous, Athénaïs, vous qui êtes si grande.
Mlle de Tonnay-Charente se baissa effectivement.
Presque aussitôt on vit, en effet, deux gentilshommes s’avancer, la tête inclinée, les bras entrelacés et marchant sur le sable fin de l’allée parallèle au rivage.
Les femmes se firent petites, imperceptibles.
– C’est M. de Guiche, dit Montalais à l’oreille de Mlle de Tonnay Charente.
– C’est M. de Bragelonne, dit celle-ci à l’oreille de La Vallière.
Les deux jeunes gens continuaient de s’approcher en causant d’une voix animée.
– C’est par ici qu’elle était tout à l’heure, dit le comte. Si je n’avais fait que la voir, je dirais que c’est une apparition; mais je lui ai parlé.
– Ainsi, vous êtes sûr?
– Oui; mais peut-être aussi lui ai-je fait peur.
– Comment cela?
– Eh! mon Dieu! j’étais encore fou de ce que vous savez, de sorte qu’elle n’aura rien compris à mes discours et aura pris peur.
– Oh! dit Bragelonne, ne vous inquiétez pas, mon ami. Elle est bonne, elle excusera; elle a de l’esprit, elle comprendra.
– Oui; mais si elle a compris, trop bien compris.
– Après?
– Et qu’elle parle.
– Oh! vous ne connaissez pas Louise, comte, dit Raoul. Louise a toutes les vertus, et n’a pas un seul défaut.
Et les jeunes gens passèrent là-dessus, et, comme ils s’éloignaient, leurs voix se perdirent peu à peu.
– Comment! La Vallière, dit Mlle de Tonnay-Charente. M. le vicomte de Bragelonne a dit «Louise» en parlant de vous. Comment cela se fait-il?
– Nous avons été élevés ensemble, répondit Mlle de La Vallière; tout enfants, nous nous connaissions.
– Et puis M. de Bragelonne est ton fiancé, chacun sait cela.
– Oh! je ne le savais pas, moi. Est-ce vrai, mademoiselle?
– C’est-à-dire, répondit Louise en rougissant, c’est-à-dire que M. de Bragelonne m’a fait l’honneur de me demander ma main… mais…
– Mais quoi?
– Mais il paraît que le roi…
– Eh bien?
– Que le roi ne veut pas consentir à ce mariage.
– Eh! pourquoi le roi? et qu’est-ce que le roi? s’écria Aure avec aigreur. Le roi a-t-il donc le droit de se mêler de ces choses-là, bon Dieu?…» La poulitique est la poulitique, comme disait M. de Mazarin; ma l’amor, il est l’amor.» Si donc tu aimes M. de Bragelonne, et, s’il t’aime, épousez-vous. Je vous donne mon consentement, moi.
Athénaïs se mit à rire.
– Oh! je parle sérieusement, répondit Montalais, et mon avis en ce cas vaut bien l’avis du roi, je suppose. N’est-ce pas, Louise?
– Voyons, voyons, ces messieurs sont passés, dit La Vallière; profitons donc de la solitude pour traverser la prairie et nous jeter dans le bois.
– D’autant mieux, dit Athénaïs, que voilà des lumières qui partent du château et du théâtre, et qui me font l’effet de précéder quelque illustre compagnie.
– Courons, dirent-elles toutes trois.
Et relevant gracieusement les longs plis de leurs robes de soie, elles franchirent lestement l’espace qui s’étendait entre l’étang et la partie la plus ombragée du parc.
Montalais, légère comme une biche, Athénaïs, ardente comme une jeune louve, bondissaient dans l’herbe sèche, et parfois un Actéon téméraire eût pu apercevoir dans la pénombre leur jambe pure et hardie se dessinant sous l’épais contour des jupes de satin.
La Vallière, plus délicate et plus pudique, laissa flotter ses robes; retardée ainsi par la faiblesse de son pied, elle ne tarda point à demander sa grâce.
Et, demeurée en arrière, elle força ses deux compagnes à l’attendre.