Madame demeura un instant les lèvres crispées.
– Mais vous-même, monsieur, dit-elle, n’êtes-vous pas aussi un danseur parfait?
– Oh! moi, madame, je suis de ceux qu’on ne distingue point, et qu’on oublie si par hasard on les a distingués.
Et sur ces paroles, accompagnées d’un de ces soupirs profonds qui font tressaillir les dernières fibres de l’être, le cœur plein d’angoisses et de palpitations, la tête en feu, l’œil vacillant, il salua, haletant, et se retira derrière le buisson de toile.
Madame, pour toute réponse, haussa légèrement les épaules.
Et comme ses dames d’honneur s’étaient, ainsi que nous l’avons dit, retirées par discrétion durant le colloque, elle les rappela du regard.
C’étaient Mlles de Tonnay-Charente et de Montalais.
Toutes deux, à ce signe de Madame, s’approchèrent avec empressement.
– Avez-vous entendu, mesdemoiselles? demanda la princesse.
– Quoi, madame?
– Ce que M. le comte de Guiche a dit.
– Non.
– En vérité, c’est une chose remarquable, continua la princesse avec l’accent de la compassion, combien l’exil a fatigué l’esprit de ce pauvre M. de Guiche.
Et plus haut encore, de peur que le malheureux ne perdît une parole:
– Il a mal dansé d’abord, continua-t-elle; puis, ensuite, il n’a dit que des pauvretés.
Puis elle se leva, fredonnant l’air sur lequel elle allait danser.
Guiche avait tout entendu. Le trait pénétra au plus profond de son cœur et le déchira.
Alors, au risque d’interrompre tout l’ordre de la fête par son dépit, il s’enfuit, mettant en lambeaux son bel habit de Vertumne, et semant sur son chemin les pampres, les mûres, les feuilles d’amandier et tous les petits attributs artificiels de sa divinité.
Un quart d’heure après, il était de retour sur le théâtre. Mais il était facile de comprendre qu’il n’y avait qu’un puissant effort de la raison sur la folie qui avait pu le ramener, ou peut-être, le cœur est ainsi fait, l’impossibilité même de rester plus longtemps éloigné de celle qui lui brisait le cœur.
Madame achevait son pas.
Elle le vit, mais ne le regarda point; et lui, irrité, furieux, lui tourna le dos à son tour lorsqu’elle passa escortée de ses nymphes et suivie de cent flatteurs.
Pendant ce temps, à l’autre bout du théâtre, près de l’étang, une femme était assise, les yeux fixés sur une des fenêtres du théâtre.
De cette fenêtre s’échappaient des flots de lumière.
Cette fenêtre, c’était celle de la loge royale.
De Guiche en quittant le théâtre, de Guiche en allant chercher l’air dont il avait si grand besoin, de Guiche passa près de cette femme et la salua.
Elle, de son côté, en apercevant le jeune homme, s’était levée comme une femme surprise au milieu d’idées qu’elle voudrait se cacher à elle-même.
Guiche la reconnut. Il s’arrêta.
– Bonsoir, mademoiselle! dit-il vivement.
– Bonsoir, monsieur le comte!
– Ah! mademoiselle de La Vallière, continua de Guiche, que je suis heureux de vous rencontrer!
– Et moi aussi, monsieur le comte, je suis heureuse de ce hasard, dit la jeune fille en faisant un mouvement pour se retirer.
– Oh! non! non! ne me quittez pas, dit de Guiche en étendant la main vers elle; car vous démentiriez ainsi les bonnes paroles que vous venez de dire. Restez, je vous en supplie, il fait la plus belle soirée du monde. Vous fuyez le bruit, vous! Vous aimez votre société à vous seule, vous! Eh bien! oui, je comprends cela; toutes les femmes qui ont du cœur sont ainsi. Jamais on n’en verra une s’ennuyer loin du tourbillon de tous ces plaisirs bruyants! Oh! mademoiselle! mademoiselle!
– Mais qu’avez-vous donc, monsieur le comte? demanda La Vallière avec un certain effroi. Vous semblez agité.
– Moi? Non pas; non.
– Alors, monsieur de Guiche, permettez-moi de vous faire ici le remerciement que je me proposais de vous faire à la première occasion. C’est à votre protection, je le sais, que je dois d’avoir été admise parmi les filles d’honneur de Madame.
– Ah! oui, vraiment, je m’en, souviens et je m’en félicite, mademoiselle. Aimez-vous quelqu’un, vous?
– Moi?
– Oh! pardon, je ne sais ce que je dis; pardon mille fois. Madame avait raison, bien raison; cet exil brutal a complètement bouleversé mon esprit.
– Mais le roi vous a bien reçu, ce me semble, monsieur le comte?
– Trouvez-vous?… Bien reçu… peut-être… Oui…
– Sans doute, bien reçu; car, enfin, vous revenez sans congé de lui?
– C’est vrai, et je crois que vous avez raison, mademoiselle. Mais n’avez vous point vu par ici M. le vicomte de Bragelonne?
La Vallière tressaillit à ce nom.
– Pourquoi cette question? demanda-t-elle.
– Oh! mon Dieu! vous blesserais-je encore? fit de Guiche. En ce cas, je suis bien malheureux, bien à plaindre!
– Oui, bien malheureux, bien à plaindre, monsieur de Guiche, car vous paraissez horriblement souffrir.
– Oh! mademoiselle, que n’ai-je une sœur dévouée, une amie véritable!
– Vous avez des amis, monsieur de Guiche, et M. le vicomte de Bragelonne, dont vous parliez tout à l’heure, est, il me semble, un de ces bons amis.
– Oui, oui, en effet, c’est un de mes bons amis. Adieu, mademoiselle, adieu! recevez tous mes respects.
Et il s’enfuit comme un fou du côté de l’étang.
Son ombre noire glissait grandissante parmi les ifs lumineux et les larges moires resplendissantes de l’eau.
La Vallière le regarda quelque temps avec compassion.
– Oh! oui, oui, dit-elle, il souffre et je commence à comprendre pourquoi.
Elle achevait à peine, lorsque ses compagnes, Mlles de Montalais et de Tonnay-Charente, accoururent.
Elles avaient fini leur service, dépouillé leurs habits de nymphes, et, joyeuses de cette belle nuit, du succès de la soirée, elles revenaient trouver leur compagne.
– Eh quoi! déjà! lui dirent-elles. Nous croyions arriver les premières au rendez-vous.
– J’y suis depuis un quart d’heure, répondit La Vallière.