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– Ne bougez pas!

Les pas de Jacques s’approchèrent. Le Subdamoun ouvrit la porte de la chambre de sa mère. Il avait toujours le revolver à la main. Sa rage et sa déconvenue le faisaient écumer:

– Où sont les domestiques? Il n’y a pas un domestique ici? C’est à croire que cet homme avait pour complices tous les domestiques!

Sa mère ne lui répondait pas. Elle s’était mise à son prie-Dieu et priait.

Le Subdamoun ressortit, continuant ses affolantes recherches. Il entra dans la chambre de Lydie que l’absorption d’un narcotique faisait dormir cette nuit-là plus qu’à l’ordinaire, sans doute à la suite de certaines précautions de Chéri-Bibi.

Pendant l’absence du Subdamoun de la chambre de sa mère, il n’y eut entre la marquise et l’homme qui était caché là quelque part, pas un mot d’échangé: il n’y eut entre eux que la prière qu’elle disait.

Jacques revint. Il dit:

– Cet homme est le démon et c’est cet homme qui m’a sauvé!

– Oui, fit-elle en quittant son prie-Dieu…

– Vous doutiez-vous de cela? ma mère.

– Oui, dit-elle encore.

– Mais c’est la plus épouvantable des catastrophes! Nous ne connaissons pas cet homme!

– Si, interrompit-elle. Moi, je le connais!

– Vous le connaissez!

– Oui…

Il s’était levé. Il la fit asseoir de force. Il la brutalisait. Elle ne se défendit pas.

– Depuis longtemps?

– Oui…

– Son nom?

– Chéri-Bibi!

Il eut un sursaut. Sa raison chancelait. S’il n’y avait pas eu devant lui la figure tragique de sa mère, il aurait dû croire qu’elle se moquait de lui ou qu’elle était elle-même une folle: Il était le protégé de Chéri-Bibi, de Chéri-Bibi qui avait assassiné ses deux grands-pères! Chéri-Bibi! Ah! ce nom! Il l’avait entendu autour de lui quand il était tout petit! Il avait été élevé dans un pays plein de la légende de ses crimes! Dans une maison toute sanglante encore de son passage! Il savait qu’on ne comptait plus, à cette époque, le nombre des victimes de Chéri-Bibi! Quand il passait près d’une boucherie du Pollet, à Dieppe, sa miss l’arrêtait pour lui conter l’histoire du jeune garçon boucher qui avait appris derrière ces grillages à donner son premier coup de couteau!

Il se rappelait encore qu’on cessait tout à coup de parler de Chéri-Bibi, quand la bonne, l’excellente Jacqueline, en religion sœur Sainte-Marie-des-Anges, s’approchait. Car cette sainte était la sœur de ce monstre!

Tout à coup le Subdamoun se mit à rire d’une façon effrayante.

– Voyons! voyons! voyons! Qu’est-ce que tout cela veut dire? Ce Chéri-Bibi est mort depuis longtemps!

– Non!

– Mais vous croyiez vous-même qu’il était mort!

– Oui!

– Et depuis quand savez-vous qu’il est vivant?

– Depuis que je sais que le marchand de cacahuètes et lui ne font qu’un!

– Et il y a longtemps de cela?

– Non! Il y a quelques jours!

– Et vous ne l’avez pas dénoncé?

– Il vous a sauvé!

– Que ne m’a-t-il tué à la place de ses victimes! s’écria le Subdamoun.

– Et moi aussi, hélas! gémit Cécily d’une voix étrange… Oui, vous avez raison, dix mille fois raison, Jacques. Il n’y a point au monde de personnes plus misérables que nous à cause de ce monstre! Je ne l’ai point dénoncé, mais je le maudis. J’aurais préféré mourir de sa main que de nous savoir défendus par lui!

Le Subdamoun regardait sa mère. Elle parlait sans le regarder, avec une singulière énergie dans son affreux état de faiblesse. Il comprenait de moins en moins!

– Mais au nom de qui, mais au nom de quoi, s’écria-t-il, ce bandit a-t-il répandu autour de nous tant de sang? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi cette infernale protection? C’est cela que je voudrais que vous me disiez, ma mère!

Cécily ne baissa pas la tête. Elle parlait comme les voyantes qui aperçoivent des choses que les autres ne voient pas.

– J’ai eu bien des malheurs dans ma vie, Jacques, mais je viens d’apprendre que le plus grand est celui d’avoir été aimée jadis de ce petit misérable…

– Vous, ma mère!

– Oh! il ne m’en a jamais dit un mot, mais hélas! je le sais tout de même… Un Chéri-Bibi n’ose pas parler en face à une honnête femme, mais il l’aime dans l’ombre!

– Et il lui voue ses coups de couteau!

Le Subdamoun avait jeté ce cri sauvage, puis s’était affalé sur le coin d’un canapé… Soudain il releva le front:

– Ma mère, vous m’écrirez tout ce que vous savez de cet homme. Je ne veux plus vivre que pour une chose, et quand je l’aurai accomplie, nous disparaîtrons: je veux retrouver Chéri-Bibi et le conduire moi-même à ses juges!

Jacques avait à peine achevé de prononcer cette phrase que la porte d’un placard s’ouvrit et que l’homme se présenta:

– Me voilà, dit-il, en croisant les bras. Je suis prêt à vous suivre! Livrez-moi!

Le Subdamoun avait toujours son revolver à la main; il eut un mouvement instinctif et visa l’homme.

L’homme ajouta:

– Ou tuez-moi!

– Cela vaudrait peut-être mieux, fit le Subdamoun en repoussant la marquise qui s’était jetée sur son bras… mais pas devant ma mère!

– Où vous voudrez!

Cécily conseilla, d’une voix sourde, entre ses dents claquantes:

– Jacques, laisse partir cet homme! et que nous ne le revoyions jamais plus! Qu’il disparaisse comme nous disparaîtrons nous-mêmes!

– Oh! fit Jacques, monsieur et moi, nous avons quelques petits secrets à nous dire!

Et il ouvrit la porte de la chambre.

– Monsieur veut-il descendre dans mon cabinet? L’homme passa. Le Subdamoun, revolver au poing, suivait.

La marquise n’avait plus la force de se soutenir. Elle n’essaya même pas de les suivre. Elle avait accompli un effort surhumain en essayant de cacher le monstre. Elle laissa faire le destin.

Et sa porte fut refermée. Mais elle n’était pas plutôt refermée qu’elle s’ouvrit à nouveau et qu’une ombre se glissait dans la pièce. Cécily était en plein cauchemar. Elle ne s’étonnait plus de rien. Elle revint encore une fois à la réalité des choses en entendant la voix de l’ombre qui disait:

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