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M. Talbot toussa, prisa, regarda M. Hilaire dans les yeux.

– Vous avez parlé de tout cela à Coudry? finit-il par demander.

– Mon Dieu! vous savez comment il est! je lui en ai parlé en l’air, comme d’une chose qui peut arriver à tous les directeurs de prison! Il a souri! C’est plus qu’il ne nous en faut!

– Hum! hum! Écoutez, j’ai une idée… pour qu’il n’y ait de surprise pour personne, exprima Talbot non sans un certain embarras et en s’enfournant à nouveau une énorme prise dans son énorme nez.

– Voyons votre idée?

– Notre affaire n’est que pour sept heures et demie… J’ai grandement le temps d’aller faire un petit tour du côté de l’Hôtel de Ville.

– À votre aise, laissa tomber M. Hilaire.

– Comme vous me dites cela! Verriez-vous quelque inconvénient?

– Mon Dieu! si vous voulez mon avis, je crois que notre ami ne sera point tout à fait enchanté de votre visite, à la veille d’une affaire pareille! Il y a de méchants esprits qui pourraient peut-être s’en souvenir le lendemain!

M. Hilaire disant cela refaisait, avec une grande mélancolie, le nœud de son écharpe.

– Quoi qu’il arrive, fit-il, c’est entendu, n’est-ce pas, pour sept heures et demie?

– Écoutez! déclara le directeur. Tout bien réfléchi, je crois qu’il vaut mieux que je laisse Coudry tranquille.

– C’est mon avis!

– Je sais dans quels termes vous êtes avec eux… J’ai confiance en vous!

– Je crois que votre confiance est bien placée, mon cher M. Talbot… donc à sept heures et demie et préparez tout sur votre bureau… Avez-vous un revolver?

– Oui, dans ce tiroir! je le sortirai pour montrer que j’étais prêt à me défendre…

– Si vous le sortez, Manol et Garot qui sont peu délicats et qui sont justement démunis d’armes à feu pourraient vous le prendre! Donnez-le moi… je le déposerai près de vous quand je viendrai vous retrouver, une fois que vous serez ficelé et que les gars seront partis! C’est plus sûr!

– Vous pensez à tout! fit Talbot en passant son revolver à M. Hilaire qui le glissa dans sa poche.

– Au revoir, mon cher directeur… je vais faire un tour chez Garot et Manol pour m’assurer moi-même que nous sommes bien d’accord!

Quand il fut parti, ce qu’avait prévu M. Hilaire arriva; Talbot sortit de son bureau et bientôt quitta la Conciergerie. Hilaire – qui le guettait derrière un pilier de la salle des gardes – se dirigea aussitôt vers la cellule du baron d’Askof et se la fit ouvrir.

Askof était seul. L’entretien dura dix minutes.

En sortant de chez Askof, Hilaire alla jeter un coup d’œil dans le cachot du Subdamoun où il distribua quelques cacahuètes qu’il s’amusait à éplucher au cours de son inspection. Au fond du cachot, le Subdamoun lisait. En entendant parler de cacahuètes le commandant leva la tête. Hilaire le salua et lui proposa, en riant, des cacahuètes, comme aux gardes. Le Subdamoun tendit la main. M. Hilaire lui en compta un certain nombre et le Subdamoun dit: «Merci!»

Puis l’inspecteur s’en fut dans la partie cellulaire de la prison qu’il visita de fond en comble, s’attardant cependant dans le cachot où Garot et Manol avaient été enfermés.

De retour dans la salle des gardes il monta l’escalier de la Tour de l’Ouest. Il frappa à la porte du directeur. N’entendant point de réponse, il entra et referma la porte. La pièce était vide. Il regarda l’heure à la pendule. Il dit tout haut: «Talbot ne sera pas revenu de l’Hôtel de Ville avant vingt minutes.»

Puis il fit le tour de cette salle, en examinant toutes choses.

Pas de meubles, ou si peu! Le bureau et quelques chaises, un fauteuil.

Une fenêtre lourdement grillée trouait le mur formidable et prenait jour sur le quai.

Aucune surprise ne semblait pouvoir venir de cette pièce toute nue dont la vaste cheminée n’était cachée par aucun écran. En cette saison, on ne faisait point de feu. Les dalles nues étaient aussi nettes que le plancher.

M. Hilaire s’arrêta devant la cheminée, lui tournant le dos, les mains croisées à la taille. Il paraissait soucieux, et, de temps à autre, un profond soupir s’exhalait de la poitrine de monsieur l’inspecteur général. Certes oui! il regrettait le temps où les épiciers ne se mêlaient point de diriger les choses de l’État!

Soudain il tressaillit de la tête aux pieds: une cacahuète venait de rouler entre ses pieds. Aussitôt, il rectifia la position, et, présentant toujours le dos à la cheminée, et bien qu’il n’y eût personne de visible, ni devant lui, ni derrière, ni autour de lui, il parla à mi-voix:

– Tout est prêt! J’ai vu Garot et Manol et leur ai remis les vingt mille balles, le revolver et la scie. Ils s’enfuiront cette nuit par la cour du Dépôt. Tout à l’heure les gardes les conduiront directement au parloir des parents… j’en reviens. Rien à craindre. Il y fait noir comme dans un four. J’y conduirai moi-même Askof et le Subdamoun. Je resterai dehors avec les gardes dont j’aurai pris le commandement. J’ai remis à Askof les perruques et les fausses barbes. Ils changeront de vêtements avec Garot et Manol dans le parloir. Tout sera fait en cinq sec! Les gardes les conduiront ensuite, Askof et le Subdamoun, ici, chez le directeur sur mon ordre, croyant conduire les deux autres. Talbot est allé chez Coudry, il va se faire ramasser.

M. Hilaire avait fini de parler. Il se pencha, ramassa la cacahuète et la mangea. Pendant cette opération, son regard fut soudain attiré par un pli qui se trouvait sur le bureau et sur l’enveloppe duquel on avait écrit: Pour M. le directeur: urgent! Tiens! fit-il, je connais cette écriture-là, moi! et sans plus balancer il décacheta, lut, poussa un cri:

– N. de D.! Tout est perdu!

Et il s’affala.

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