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Ainsi M. Florent serait absent! Nul ne l’aurait revu! Pendant ce temps, M. Florent vivrait sans bruit, au fond de son appartement, de conserves et d’eau fraîche… Cela durerait ce que cela durerait!

Notre homme vécut ainsi dans une sécurité relative pendant une douzaine de jours. Nous disons «relative» parce que, s’il avait la sécurité physique, il vivait dans des transes morales effrayantes.

Le père Talon lui glissait, de temps à autre, sous sa porte, un journal, et ce qu’il y lisait le rejetait à l’effroi le plus farouche.

Les nouvelles de l’Hôtel de Ville, les décrets du comité de Salut public, les arrêts du comité central de surveillance, les proclamations de Coudry, dans sa gazette des clubs, l’anéantissaient.

– Ce Coudry! Mais c’est Hébert! mais c’est le père Duchesne! murmurait le pauvre Florent! Qu’est-ce que je disais qu’on ne recommence pas la Révolution? Mais nous y sommes en plein!

Et son érudition quant à l’histoire de la grande Révolution française, érudition dont il était si fier, lui laissait entrevoir mille tableaux plus angoissants les uns que les autres.

Un matin, il lut un article qui le fit bondir de son lit. Cet article était intitulé: «Parisiens, levez-vous!»

Et cela commençait ainsi: «Du sang! citoyens! du sang! Périssent quelques hommes! Il faut couper les bras pour sauver le corps!»

Cela était signé: «SAW.».

– Saw! râle M. Florent, Saw! mais c’est ce monsieur très bien qui venait à ma bibliothèque et qui, l’autre jour, m’a rappelé qu’il «n’y avait plus de lanternes». Ainsi, lui aussi! Un article pareil! un client si tranquille, si comme il faut! Mais c’est la fin du monde!

«Après tout, reprit-il, quelques instants plus tard, quand il eut essuyé la sueur de son angoisse, après tout, il a bien raison! Il ne s’embarrasse pas de ses opinions passées… Il n’y a que les présentes qui comptent! puisque ce sont les seules qui sont utiles! Il faut savoir s’adapter aux circonstances! Il y en a qui commencent par la révolution et qui finissent par la réaction! On peut aussi bien, que diable! commencer par la réaction et finir par la révolution! Pourquoi serais-je plus bête que ce Saw?

Et il imagina ceci: d’écrire, lui aussi, des articles signés d’un pseudonyme, articles qu’il enverrait à la Gazette des clubs et dans lesquels il ferait preuve d’un amour farouche de la liberté, et qu’il animerait du plus pur esprit de la grande Révolution française qu’il connaissait si bien!

Il avait justement gardé chez lui, de son ancienne bibliothèque circulante, une demi-douzaine de volumes allant des discours de Mirabeau aux réquisitoires de Fouquier-Tinville et il s’empressa, illico, de puiser sans vergogne à cette source sacrée.

Comme disait l’ancêtre: «De l’audace, de l’audace et encore de l’audace!».

Il en eut au fond de son trou obscur plus qu’on ne saurait dire et il voua à l’échafaud tous ceux qui, sur commandement, ne sauraient énumérer les Droits de l’homme, ce catéchisme de tout bon citoyen de tous les pays.

Son plan était, après quelques envois de cette sorte, de se présenter à la rédaction du journal de Coudry et de dévoiler sa personnalité désormais glorieuse et à l’abri des coups de la révolution.

Le foudroyant succès de la nouvelle politique de M. Barkimel, qui lui fut révélé par les feuilles publiques, lui donna un prodigieux coup de fouet et il espéra surpasser son ancien compagnon par l’intransigeance de son civisme!

En vérité! que pouvait-il avoir fait? ce Barkimel, à l’intelligence si médiocre, pour avoir été choisi, élu, présenté par la section de l’Arsenal comme membre du tribunal révolutionnaire?

M. Barkimel était juge, maintenant!

Et M. Hilaire, l’épicier Hilaire, était «commissaire de sa section»!

Les articles, soigneusement cachetés, étaient portés à la boîte de la place de l’Hôtel-de-Ville par le père Talon lui-même qui venait de toucher son deuxième billet de mille francs et qui trouvait plus que jamais que le régime de la Terreur avait du bon.

Avec quelle anxiété M. Florent ouvrait tous les matins la Gazette des Clubs pour y lire sa prose… Mais, hélas! C’était en vain qu’il y cherchait son chef-d’œuvre et sa signature: le Vieux Cordelier!

Trois articles étaient déjà portés et il venait de remettre le quatrième, un quart d’heure auparavant, au père Talon, quand un grand tumulte et un grand bruit de crosses emplit la rue des Francs-Bourgeois.

Il était sept heures du soir, M. Florent, qui habitait sous les toits, se risqua à mettre le nez à sa lucarne.

Alors, il aperçut au-dessous de lui, le père Talon qu’accompagnaient des civils ceinturés de rouge et suivis d’une section en armes! Il ne douta plus que le père Talon, à qui il avait eu l’imprudence, en lui donnant le deuxième billet de mille francs, de déclarer qu’il n’avait plus le sou, il ne douta plus que l’horrible savetier fût allé le dénoncer pour toucher une prime!

Déjà on entendait des pas pesants dans l’escalier et les cris des officiers.

M. Florent n’hésita point à se glisser comme un chat dans les gouttières; et, favorisé par les ombres d’un obscur et lourd crépuscule, il put parvenir de toit en toit, après avoir failli se rompre vingt fois les os, jusqu’à la fenêtre entrouverte d’une mansarde dans laquelle il se jeta à genoux, à tout hasard.

Mais la pièce était vide.

M. Florent se releva, ouvrit la porte et descendit l’escalier de son air le plus tranquille.

Le sort le gâta encore jusqu’au rez-de-chaussée où il se trouva dans une cour étroite, mal éclairée par les feux d’un petit cabaret bien connu de lui et de M. Barkimel au temps où ils s’offraient l’extra d’une tripe à la mode de Caen, arrosée d’un cidre mousseux!

Pour fuir, il fallait traverser cette cour; et la fenêtre du petit cabaret était justement ouverte! La salle était pleine de dîneurs qui trinquaient bruyamment «au triomphe de la Ville sur l’Assemblée!»

M. Florent venait d’apercevoir M. Barkimel!

Oui. M. Barkimel, triomphant, le ventre ceinturé des insignes de sa fonction, M. Barkimel, trônant, mangeant, buvant, M. Barkimel traitant les principaux de sa section en grand seigneur, M. Barkimel que l’on écoutait quand il parlait!

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